Méthodes épidémiologiques : une indispensable rigueur
Extraits du compte rendu de la réunion-débat du 3 juin 1998 :
Méthodes générales d’évaluation des risques sanitaires.
Les fumeurs risquent-ils plus de mourir d’un cancer du poumon que les non-fumeurs ? Pour répondre à cette question, 40 000 médecins anglais volontaires ont accepté de quantifier leurs habitudes tabagiques en vue d’un traitement statistique de leur mortalité. Cette « étude de cohorte » a abouti aux constats suivants après quelques années pour les décès par cancer du poumon.
Des études ultérieures ont permis de confirmer qu’il s’agissait bien de la cause principale. Mais si l’usage du tabac augmente nettement le risque, il n’est ni nécessaire ni suffisant pour mourir d’un cancer du poumon.
Des populations hétérogènes
Les populations humaines sont constituées d’individus présentant une extraordinaire variabilité :
- constitution, génétique,
- âge, sexe,
- caractéristiques socio-économiques,
- exposition antérieure et actuelle à de multiples agents de l’environnement,
- habitudes de vie (alimentation, tabac, alcool…),
- antécédents médicaux,
- consommation médicamenteuse,
- modalités d’exposition à l’environnement étudié (nature précise de l’exposition, intensité, fréquence, durée d’exposition, voies de pénétration…).
Une très petite partie de ces facteurs est connue, la grande majorité ne l’est pas. Ils sont autant de sources de variabilité de la réponse de différents individus à une même exposition environnementale. Il n’est pas possible de prédire qui sera ou ne sera pas atteint par une pathologie du fait d’une exposition environnementale. On s’intéresse au risque de pathologie dans une population.
Une conjonction de facteurs
Un grand nombre d’altérations de la santé tiennent à la conjonction de l’exposition à plusieurs facteurs, la plupart inconnus ; une même pathologie peut provenir selon les individus d’exposition à des ensembles différents de facteurs ; elle comporte une part purement « aléatoire », non explicable par des facteurs caractérisant l’individu dans son ensemble.
L’étude des risques au niveau des populations permet d’identifier des causes d’accroissement de ces risques alors même que l’ensemble des facteurs de risque, des voies étiologiques et des mécanismes qui régissent la composante purement aléatoire des risques resteront largement inconnus.
Études épidémiologiques descriptives
Elles constatent la fréquence des pathologies, les variations selon des caractéristiques collectives globales et les facteurs de variation selon la distribution individuelle des niveaux d’exposition.
L’étude de la mortalité par le cancer de la vessie dans différents comtés du Royaume-Uni selon l’importance relative d’un secteur industriel est un exemple de la méthode de prise en compte des variations géographiques.
De telles études sont de simples constats, insuffisants pour rechercher les causes d’une pathologie.
Études épidémiologiques analytiques
Elles visent à cerner une relation entre une pathologie et un facteur de risque en constatant des fréquences dans des collections d’individus sur lesquels on recueille le maximum d’information.
On utilise des études de cohorte en suivant un groupe pendant une longue période, comme dans l’exemple des « médecins fumeurs ».
Les études de cas-témoins comparent les fréquences d’une pathologie entre groupes exposés non exposés à un facteur de risque ou groupes malades non malades selon les facteurs d’exposition.
Par exemple le suivi pendant dix ans d’individus répartis en deux groupes selon l’exposition au sulfure de carbone (CS2) a permis de constater un risque relatif de décès par maladie coronarienne de 2,6, valeur qui s’avère indépendante des autres facteurs de risques.
Ces études permettent d’évaluer des relations dose-effet. Par exemple, l’étude de la mortalité par cancer du poumon des individus exposés aux fibres d’amiante selon l’exposition cumulée (fibres/ml x 50 ans) permet d’établir la relation ci-dessous :
L’étude d’expositions simultanées permet de déceler des interactions et d’évaluer d’éventuels effets multiplicateurs que l’on constate par exemple pour le risque relatif de mortalité par cancer du poumon chez les mineurs d’uranium.
Consommation de tabac | Expositions cumulées (mois x niveau) |
||
< 360 | 360 – 1800 | > 1800 | |
Non-fumeurs 1 à 9 cigarettes/jour 20 cigarettes et plus |
1,0 7,9 13,6 |
4,3 5,7 23,4 |
6,9 41,5 66,5 |
Mais il est heureusement des études qui apportent une touche optimiste. Par exemple celle qui compare l’évolution du risque relatif de décès par maladies cardiovasculaires à celle de la concentration aérienne de sulfure de carbone.
Des constats réalistes…
Plus le risque relatif est faible, plus les moyens à mettre en œuvre sont importants. On admet qu’un risque relatif inférieur à 2 impose une méthodologie particulièrement rigoureuse.
Pour les relations environnement- santé, l’épidémiologie permet :
- de regarder ce qui se passe pour l’homme lui-même,
– dans ses conditions d’exposition réelles,
– en présence de la myriade des autres facteurs de risque environnementaux … et constitutionnels (modulant la sensibilité personnelle aux facteurs environnementaux).
… nécessitant une grande rigueur
Il est indispensable de reprendre l’ensemble des études sur le même sujet et si l’on constate une incohérence d’en rechercher les causes. Il faut enfin s’informer pour savoir s’il existe une explication physiologique plausible.
Pour diminuer l’incertitude attachée aux résultats, l’épidémiologiste doit étudier les sources de variation indépendantes de la cause, qui constituent le « bruit de fond » :
- aléa statistique dû à la dimension de l’échantillon,
– biais sur le mode de sélection,
– mauvaise représentation du phénomène par insuffisance de la qualité de la mesure des facteurs,
– confusion si la cause présumée masque un autre phénomène.