Michel Olivier (83) entrepreneur et philosophe
Pour un X, créer et diriger une entreprise de tourisme culturel, c’est s’écarter résolument des sentiers battus. Et consacrer une part de son temps à enseigner la philosophie à l’université de Nanterre est encore plus singulier. C’est pourtant le cas de Michel Olivier qui a bien voulu répondre à notre curiosité.
Qu’est-ce qui t’a conduit à faire l’X ?
Je suis issu d’une famille parisienne de trois enfants. Mon père importait des articles d’entretien et ma mère était femme au foyer. En terminale, j’ai hésité entre la taupe et la khâgne. J’aimais les maths et j’aimais la philo. J’ai finalement choisi math sup car j’ai pensé que la filière scientifique offrait une intégration intéressante dans la vie économique. Je me suis donc retrouvé en classe préparatoire à Janson-de-Sailly. J’ai été tout particulièrement marqué par M. Djian, qui consacrait la moitié de ses cours à enseigner les maths et l’autre moitié à nous faire partager sa vision du monde (comme il fallait bien couvrir tout le programme, il nous donnait des polycopiés). Je me souviens tout particulièrement de son admiration pour le langage mathématique qui, selon lui, est le seul domaine de la culture où il y a une perfection dans l’écriture. Une fois en classe préparatoire, entrer à l’X est un désir presque évident pour l’excellence de la formation et la réputation.
Que retiens-tu de ton passage à l’École ?
Beaucoup de choses. Globalement très positives. Notamment un enseignement qui dispense des savoirs universels et des approches pluridisciplinaires qui nous habitue à examiner les situations sous divers angles, sans se cantonner à un aspect. Et aussi quelques grandes figures, comme Jean-Louis Basdevant ou Thierry de Montbrial (63).
J’ai également particulièrement apprécié le privilège de pouvoir pratiquer ce qui était mon sport passion, l’équitation. Tout comme j’ai aimé cette vie de campus au cours de laquelle je me suis fait quelques amis pour la vie.
L’École a beaucoup changé depuis les années 80 et je suis impressionné par la diversité des filières qui sont offertes aux élèves d’aujourd’hui. J’ai conservé un enthousiasme intact pour cette Institution.
Après l’X, tu fais l’Ensae et un master de finances à Dauphine. Quelles sont les raisons de ce choix ?
Il y avait le cœur et la raison. Côté cœur, c’était le goût pour l’économie. Côté raison, il y avait mon orientation professionnelle. Je voulais commencer ma carrière par quelques années dans un cabinet de conseil en stratégie et une formation approfondie en économie et en finance me paraissait un bon complément à la formation pluridisciplinaire de l’X. L’expérience dans le conseil en stratégie était pour moi une initiation exceptionnelle à la vie des affaires et des entreprises. Cette initiation, je l’ai vécue pendant cinq années au BCG. L’intensité de travail y était extraordinaire et on côtoie très vite de grands décideurs avec qui se nouent des relations parfois privilégiées. Ce mélange d’enjeux économiques importants et de quasi-vie de campus entre nous était très plaisant. Cela a été aussi pour moi l’occasion de découvrir le monde des grands éditeurs de logiciels, celui de la grande distribution et celui du tourisme.
En 1994, tu quittes le conseil pour créer Intermèdes, société de tourisme culturel. Quelle démarche t’a conduit là ?
Je n’imaginais pas faire toute ma carrière dans le conseil : je ne voulais pas me contenter d’influencer les gens mais devenir moi-même acteur. Et j’avais toujours eu en tête l’idée de fonder une entreprise. Cette démarche était aussi celle de François Labbé, un ingénieur des Mines que j’ai connu au BCG et nous avons bâti ensemble notre projet d’entreprise. Nous cherchions un secteur et un type d’activité B2C dans lequel nous pourrions nous lancer avec des investissements à notre portée et construire une position solide sans actionnaire extérieur. Le tourisme culturel a retenu notre attention. Il répond aux soucis que je viens d’énoncer, et la commercialisation en vente directe que nous avons mise en place était à l’époque innovante et permettait une finesse marketing intéressante. L’autre mérite, et non le moindre, du tourisme culturel est de proposer des produits et services qui ne relèvent pas de l’utilitaire mais apportent un complément de vie, et parfois même du sens. Nous avons donc construit, sans apports de fonds extérieurs, Intermèdes, une société qui en 2018 employait 55 personnes et 200 guides conférenciers pour un chiffre d’affaires de près de 35 millions d’euros avec une croissance annuelle régulière de l’ordre de 10 %.
En même temps, tu te lances dans des études puis l’enseignement de la philosophie à l’Université. Comment expliquer ce choix inattendu ?
Si j’avais choisi la filière scientifique après la classe de terminale, je n’avais pour autant pas renoncé à étudier la philosophie et en 2002, alors que j’avais trente-huit ans, je me suis inscrit à l’université de Nanterre pour suivre des cours à distance. J’ai passé une licence, puis une maîtrise, un DEA et une thèse de doctorat que j’ai soutenue en 2010. J’ai complété ce cursus par une qualification qui me permet d’être maître de conférences, mais je n’ai finalement pas postulé pour un poste titulaire, pour pouvoir poursuivre cette vie hybride, philosophie et entrepreneuriat. On me confie donc des cours, je participe à des colloques et j’ai écrit quelques articles et livres. J’ai été accueilli avec bienveillance par les enseignants chercheurs de l’université et ai eu le plaisir de retrouver un bon ami en la personne de François Valérian qui est sorti major de ma promotion. Il suivait des cours d’histoire.
Ce temps que je consacre à la philosophie me permet de ne pas être investi exclusivement dans des projets de nature économique. Il faut se souvenir que, pendant l’essentiel de l’histoire de l’humanité, l’économie n’était pas un sujet dominant. Pour la Grèce de Périclès, c’était la politique, pour le Moyen Âge européen, la religion, et pour la Renaissance, la vie intellectuelle et artistique. La prééminence de l’économie a commencé au xviiie siècle. Il ne faut pas la laisser devenir monopolistique dans nos vies.
Quelle appréciation portes-tu sur ce que t’a apporté l’École et sur la façon dont elle évolue ?
Le passage à l’X marque une vie, car cette formation a une identité forte. On y apprend à développer une approche très « cérébrale » de tout : problèmes à comprendre, situations à analyser, décisions à préparer, mise en œuvre des décisions… Et le caractère multidisciplinaire de l’enseignement évite le travers consistant à ne se consacrer qu’à un domaine d’expertise et à ignorer le reste. Cette ouverture d’esprit sert beaucoup à un entrepreneur. Je suis attentif aux évolutions de l’X car mon fils Raphaël (2014) y termine bientôt sa scolarité. Certains élèves déplorent un certain manque de possibilité de spécialisation et une approche superficielle du management. Mais l’X n’est ni la rue d’Ulm ni HEC. Il faut former des cadres ayant une forte agilité intellectuelle et capables d’appréhender de nombreuses disciplines sans s’y enfermer. Tous les domaines souffrent de l’existence de chapelles alors que l’X est un lieu où l’on s’efforce d’apprendre à dépasser l’esprit de chapelle.
Le dossier de ce numéro est consacré au développement durable et traite en particulier de la RSE. Comment conçois-tu cette responsabilité en temps qu’entrepreneur ?
En matière sociale, il est clair pour moi que le bon fonctionnement et le bon développement de l’entreprise reposent sur des relations harmonieuses où chacun trouve sa place légitimement aux yeux des autres, qu’il soit client, fournisseur, salarié ou actionnaire. Et surtout créer un esprit d’équipe en développant une identité forte. En ce qui concerne la responsabilité environnementale, la profession réfléchit beaucoup sur les principes permettant de développer un tourisme responsable. Dans l’immédiat, nous nous attachons à faire des choix qui respectent au mieux les pays et leurs habitants.
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Foisonnement d’idées et de sujets excellent