L’événement Woman Can avec la participation de Patricia Crifo, économiste et professeure à Polytechnique.

« La diversité sous toutes ses formes est une véritable richesse »

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°797 Septembre 2024
Par Marine LIANG

Diver­si­té, mul­ti­cul­tu­ra­li­té, pari­té et lea­der­ship sont au cœur du par­cours de Marine Liang, CFO au sein de Miche­lin Chine. Dans cet entre­tien, elle nous en dit plus sur sa car­rière pro­fes­sion­nelle et ses mis­sions, la place qu’occupent la pari­té et la diver­si­té dans son entre­prise. Rencontre.

Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ? 

Née en Chine, j’ai fait l’intégralité de mes études en France. Je suis titu­laire d’un mas­ter de l’école de com­merce pari­sienne ESLSCA où je me suis spé­cia­li­sée dans les affaires inter­na­tio­nales. J’ai ensuite com­plé­té ma for­ma­tion avec un pro­gramme en finance que j’ai sui­vi à Whar­ton Busi­ness School. Mariée et mère de trois enfants, aujourd’hui, je vis à Shan­ghai où j’occupe les fonc­tions de CFO pour l’entité Grande Chine au sein du groupe Miche­lin.

Mes pre­mières années dans le monde du tra­vail m’ont per­mis d’acquérir et de déve­lop­per mes com­pé­tences en occu­pant dif­fé­rentes fonc­tions dans le domaine de la finance : comp­ta­bi­li­té, cré­dit, contrôle de ges­tion… Ces postes m’ont per­mis de com­prendre l’importance de défi­nir un bon plan­ning et de s’y tenir de manière rigou­reuse, de l’adaptabilité et de l’agilité. Au fil des années et des res­pon­sa­bi­li­tés qui m’ont été confiées, j’ai été confron­tée à une plus forte dimen­sion busi­ness. Cette nou­velle étape m’a per­mis de déve­lop­per des com­pé­tences nou­velles et com­plé­men­taires à mes exper­tises métiers : l’écoute active, l’empathie, l’intelligence émo­tion­nelle. Enfin, j’ai aus­si la chance de béné­fi­cier d’une cer­taine ouver­ture géo­gra­phique et cultu­relle. J’ai tra­vaillé et inter­agi avec des col­lègues d’abord en Europe du Sud, puis par­tout en Europe. 

Au cours des 26 der­nières années, j’ai eu la chance d’avoir un par­cours mul­ti­cul­tu­rel entre la France, l’Europe et la Chine. Ces expé­riences m’ont per­mis de for­ger une convic­tion forte qui est aujourd’hui un leit­mo­tiv dans ma car­rière : la diver­si­té sous toutes ses formes est une véri­table richesse. 

Aujourd’hui, en quoi consistent vos fonctions ? Quel est votre périmètre d’action ?

Le groupe Miche­lin s’est éta­bli en Chine conti­nen­tale en 1989. Sur ce ter­ri­toire, le groupe dis­pose d’un siège régio­nal, cinq usines, un centre de R&D, un réseau de dis­tri­bu­tion. On retrouve aus­si en Chine conti­nen­tale de nom­breux res­tau­rants étoi­lés Miche­lin dans plu­sieurs villes. 

En tant que CFO, je suis en charge de la fonc­tion finance et je suis membre du comi­té de direc­tion. Ma mis­sion est d’assurer la réa­li­sa­tion et l’atteinte des objec­tifs fixés par le groupe à court et long terme. Sur un plan plus opé­ra­tion­nel, avec mes équipes, mon rôle consiste à super­vi­ser l’ensemble des acti­vi­tés finan­cières : la comp­ta­bi­li­té, la tré­so­re­rie, la fis­ca­li­té, le cré­dit, le contrôle de ges­tion, la confor­mi­té fis­cale et comp­table. Dans ce cadre, je suis ame­née à inter­agir au quo­ti­dien avec notre CEO et les dif­fé­rents dépar­te­ments du groupe, mais aus­si nos par­ties pre­nantes indus­trielles, éco­no­miques et poli­tiques en Chine.

« Nous explorons différentes pistes afin de tirer profit du potentiel des nouvelles technologies au service de nos métiers. »

En paral­lèle, avec mon dépar­te­ment, nous explo­rons dif­fé­rentes pistes afin de tirer pro­fit du poten­tiel des nou­velles tech­no­lo­gies au ser­vice de nos métiers. Nous nous inté­res­sons notam­ment à l’IA, la robo­ti­sa­tion et l’automatisation. En effet, comme de nom­breux métiers et domaines, la finance se trans­forme sous l’impulsion de ces tech­no­lo­gies qui ouvrent de nou­velles pers­pec­tives en termes de per­for­mance, de pro­duc­ti­vi­té et d’efficacité. Au-delà, elles impactent éga­le­ment nos rela­tions comp­tables et éco­no­miques avec nos clients. 

Au sein du groupe, il y a éga­le­ment une réflexion pous­sée autour de la ques­tion de la neu­tra­li­té car­bone et de la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. La pan­dé­mie, les tran­si­tions, l’évolution des mar­chés et du com­por­te­ment des consom­ma­teurs qui sont de plus en plus sen­sibles à ce sujet ont don­né une nou­velle dyna­mique à la prise en compte de ces enjeux. Entre­prise res­pon­sable, Miche­lin s’est sai­si de ces thé­ma­tiques depuis déjà plu­sieurs années. Par exemple, le groupe inves­tit signi­fi­ca­ti­ve­ment dans l’énergie verte. Au niveau de la finance, cela se tra­duit par une prise en compte ren­for­cée de la dimen­sion ESG. 

Justement, Michelin opère dans un secteur à la croisée de transitions majeures. Comment votre entreprise appréhende-t-elle ces sujets ?

Miche­lin est un groupe qui a vu le jour il y a déjà 130 ans. La lon­gé­vi­té de l’entreprise s’explique par sa capa­ci­té à inno­ver, à s’adapter et à se réin­ven­ter afin de répondre aux évo­lu­tions des mar­chés, de la demande et des consom­ma­teurs. Aujourd’hui, la Chine entre dans une nou­velle phase avec un très fort accent qui est mis sur la qua­li­té. Fort de ce constat, Miche­lin a lan­cé de nom­breuses ini­tia­tives et explore de nom­breuses pistes afin de ren­for­cer son posi­tion­ne­ment dans cette zone stra­té­gique pour le groupe. Cela se tra­duit par une accé­lé­ra­tion de sa trans­for­ma­tion digi­tale afin de mieux répondre aux besoins et attentes de nos clients. 

Nous avons, par exemple, mis à leur dis­po­si­tion une appli­ca­tion déve­lop­pée en propre afin d’avoir une visi­bi­li­té en temps réel sur les besoins immé­diats des consom­ma­teurs et affi­ner en retour nos pré­vi­sions. Nous capi­ta­li­sons aus­si sur le poten­tiel tech­no­lo­gique de l’IA pour aider nos clients à iden­ti­fier plus rapi­de­ment le ser­vice ou le pro­duit dont ils ont besoin. En paral­lèle, nous tra­vaillons aus­si sur la notion de « smart mobi­li­ty » en déve­lop­pant des sys­tèmes don­nant la pos­si­bi­li­té à nos clients de mieux gérer leur flotte, son exploi­ta­tion et sa maintenance. 

Nous sommes aus­si très enga­gés en faveur de la neu­tra­li­té car­bone. 100 % de l’électricité que nous uti­li­sons est verte (hydro­élec­tri­ci­té, pho­to­vol­taïque…). Nous recy­clons les eaux usées. D’autre part, nous contri­buons à pré­ser­ver la bio­di­ver­si­té en créant des zones et des parcs. Nous avons aus­si lan­cé « l’Étoile verte » pour récom­pen­ser les res­tau­ra­teurs ayant des pra­tiques durables et ver­tueuses sur le plan envi­ron­ne­men­tal. Enfin, nous accor­dons aus­si une atten­tion par­ti­cu­lière à l’humain dans une logique de symé­trie des atten­tions afin de garan­tir la satis­fac­tion de nos clients et de nos collaborateurs. 

Comment votre entreprise appréhende-t-elle la question de la diversité, de l’inclusion et de la parité ? Quelles sont les actions déployées en ce sens ?

Miche­lin est très enga­gé sur ces sujets et déploie de nom­breuses actions et ini­tia­tives en ce sens afin de créer un envi­ron­ne­ment de tra­vail inclu­sif, pari­taire et mul­ti­cul­tu­rel. Le groupe s’est ain­si doté d’un indi­ca­teur, l’Inclusion and Diver­si­ty Mana­ge­ment Index (IMDI), pour éva­luer et mesu­rer ses pro­grès en termes de pari­té, d’inclusion des per­sonnes en situa­tion de han­di­cap, de diver­si­té… Au niveau du groupe, cet indi­ca­teur est, d’ailleurs, pris en compte dans le cadre de l’évaluation de la per­for­mance des dif­fé­rentes régions.

Plus par­ti­cu­liè­re­ment, afin de tendre vers une meilleure éga­li­té des chances entre les femmes et les hommes, nous avons mis en place des pro­grammes dédiés, comme Women Lea­der­ship et Gen­der Diver­si­ty in Sales. L’idée est ain­si de cas­ser les idées reçues sur cer­tains métiers ou fonc­tions dans l’entreprise, comme les com­mer­ciaux, les opé­ra­teurs dans les usines, afin que les femmes ne s’auto-censurent plus et se sentent légi­times à tous les niveaux de l’entreprise. Nous met­tons ain­si en place des actions très concrètes en ce sens. Par exemple, dans les usines, nous avons réa­li­sé un impor­tant tra­vail sur l’ergonomie avec des inves­tis­se­ments signi­fi­ca­tifs afin d’adapter les postes de tra­vail aux opé­ra­trices et techniciennes.

« Nos programmes visent à valoriser les femmes dans l’entreprise dans une logique d’attraction et de fidélisation des talents féminins. »

Nos pro­grammes visent éga­le­ment à valo­ri­ser les femmes dans l’entreprise dans une logique d’attraction et de fidé­li­sa­tion des talents fémi­nins. Chaque année, Miche­lin Chine orga­nise un forum autour de la ques­tion de la diver­si­té, Women Can. Pour l’édition 2024, nous avons le plai­sir de rece­voir Patri­cia Cri­fo, éco­no­miste, pro­fes­seure à Poly­tech­nique, qui nous a par­lé de ses tra­vaux et recherches sur la neu­tra­li­té car­bone, les inéga­li­tés et qui a par­ta­gé avec nous son retour d’expérience en tant que femme dans le monde de l’enseignement et de la recherche. 

Le groupe a la forte convic­tion que la fémi­ni­sa­tion de ses métiers et de son orga­ni­sa­tion est une démarche ver­tueuse et à forte valeur ajou­tée. Aujourd’hui, dans le groupe Miche­lin, à une échelle mon­diale, 30,6 % des mana­gers sont des femmes. Par­mi les 11 per­sonnes du comi­té de direc­tion du groupe, un quart des membres sont des femmes. Au cours des dix der­nières années, la part des sala­riées femmes est pas­sée de 15 à 20 %. Dans les fonc­tions com­mer­ciales et indus­trielles, où les taux sont les plus bas, nous sommes pas­sés de 12 à 16 %. Enfin, dans mon dépar­te­ment, nous avons près de 88 % de col­la­bo­ra­trices, alors que la moyenne mon­diale au niveau de la finance est de 58 % ! 

Comment définiriez-vous votre style de management ? Pensez-vous qu’on puisse parler d’un leadership au féminin ? 

Issue d’une double culture, je suis inti­me­ment convain­cue que l’ouverture sur le monde et les autres est une véri­table force dans le monde du tra­vail. Elle faci­lite la com­mu­ni­ca­tion et l’interaction avec les autres, la coopé­ra­tion et la col­la­bo­ra­tion. Elle contri­bue à créer la confiance dans les équipes et à ren­for­cer l’engagement et l’implication des équipes. Cela contri­bue aus­si à libé­rer la parole. C’est, par ailleurs, un sujet très impor­tant au niveau du groupe qui encou­rage l’ensemble des col­la­bo­ra­teurs et des col­la­bo­ra­trices à expri­mer leurs idées, leurs opi­nions, leurs ques­tion­ne­ments et leurs doutes. Cette démarche per­met de mieux appré­hen­der les besoins, les aspi­ra­tions, les enjeux et les craintes. En tant que mana­ger, j’essaye aus­si de pro­mou­voir une culture de l’innovation afin que cha­cun puisse appor­ter sa pierre à l’édifice, être force de pro­po­si­tion et sai­sir les oppor­tu­ni­tés quand elles se présentent. 

Enfin, en matière de lea­der­ship, il me semble qu’il existe de légères dif­fé­rences entre les hommes et les femmes, qui ont des sen­si­bi­li­tés dif­fé­rentes en matière de bien­veillance, d’empathie ou encore d’écoute active. En paral­lèle, dans les com­mu­nau­tés fémi­nines, il y a aus­si une cer­taine volon­té de pro­mou­voir les autres femmes et de les aider à se dépasser. 

En matière de management, comment votre entreprise accompagne-t-elle ses talents en termes de montée en compétences et de développement personnel ?

La mon­tée en com­pé­tences et la ges­tion des talents sont au cœur des prio­ri­tés de Miche­lin. Cela passe par des for­ma­tions per­son­na­li­sées et des par­cours sur-mesure notam­ment pour les jeunes talents débu­tant dans la socié­té, les nou­veaux mana­gers que nous accom­pa­gnons dans le cadre de pro­grammes spé­ci­fiques d’une durée moyenne de 7 à 8 mois pour déve­lop­per leur lea­der­ship, les hauts poten­tiels par­ti­ci­pant aux groupes de tra­vail por­tant sur des sujets busi­ness d’actualité pen­dant 4 mois… sans oublier le recours à la pra­tique du men­to­ring et coa­ching pour ren­for­cer le déve­lop­pe­ment per­son­nel. 

Et pour conclure, un mot à nos lecteurs ? 

Ce monde en pro­fonde muta­tion, où les crises et les tran­si­tions se suc­cèdent et s’accélèrent, est por­teur d’opportunités et de chal­lenges pas­sion­nants à rele­ver. Dans ce contexte, il me semble impor­tant de déve­lop­per son réseau et de ne pas avoir peur d’exprimer ses ambi­tions auprès de son mana­ge­ment. Plus par­ti­cu­liè­re­ment, j’aimerais invi­ter les lec­trices et les lec­teurs à se valo­ri­ser et à se mettre en avant pour contri­buer à construire le monde de demain. 

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