Migration de valeur et zone de profit
Comment mettre en place des systèmes d’organisation susceptibles de capturer la valeur d’un secteur ?
De 1984 à 1994, la capitalisation boursière d’IBM a perdu 50 milliards de dollars, alors que celles de Microsoft et Intel gagnaient 60 milliards. À partir de constats semblables dans de nombreux secteurs, Mercer Management Consulting a pu établir que la valeur migre au sein d’un même secteur. On sait que les produits passent par des cycles, allant de la croissance à l’obsolescence, il en est de même des relations d’une entreprise avec son marché. Mercer Management Consulting a étudié ce phénomène de migration de valeur et a identifié et caractérisé les « business designs » permettant de capturer de la valeur.
Cet article donne, à partir de l’exemple du secteur de la micro-informatique, les clés qui permettent d’identifier et d’atteindre les zones de profit par la discipline du business design.
Le processus de migration de valeur
Tous les secteurs d’activité sont frappés par un phénomène de migration de valeur boursière. Au fil du temps, on constate en effet des transferts massifs de valeur entre concurrents, dont sont victimes en priorité les entreprises leaders, qui négligent de mettre en cause leur offre et leur mode de fonctionnement. En profitent les nouveaux entrants qui, eux, anticipent les besoins futurs et savent mieux exploiter les nouveaux leviers de profit.
Est-ce à dire que les grandes entreprises, établies de longue date, sont toutes menacées ? La réponse est non, à condition qu’elles aillent au-delà de la conquête d’avantages concurrentiels, cherchent constamment des solutions innovantes pour leurs clients et sachent réinventer leur business design.
Le business design est avant tout une discipline qui vise à remettre en cause et redéfinir la façon dont une entreprise sélectionne ses clients, établit et différencie son offre, choisit les activités qu’elle mène en interne et celles qu’elle sous-traite, configure ses ressources, ses compétences et son organisation, se positionne sur le marché, crée de la valeur pour ses clients et réalise un profit.
L’exemple de la micro-informatique
Le secteur de la micro-informatique est un excellent exemple de la migration de la valeur d’un business design à l’autre : à la fin des années 70, IBM, jusqu’alors producteur de gros ordinateurs, constata le succès des PC qu’Apple commençait à commercialiser, et réussit l’exploit de sortir son premier PC en onze mois, en 1981. En trois ans, IBM passait de un million de PC vendus à sept millions, et possédait 37 % de part de marché.
Pour changer de business design aussi rapidement, IBM avait sous-traité la fabrication du microprocesseur à Intel et le développement du système d’exploitation à Microsoft, alors naissante.
Parallèlement à l’émergence de la micro-informatique, les besoins des clients évoluèrent et la multiplication des standards commença à créer de sérieux problèmes de compatibilité. Les clients, qui cherchaient auparavant des fonctionnalités simples et privilégiaient la sécurité et un service après-vente sur une technologie encore mal maîtrisée, sont passés à la recherche de solutions adaptées et d’environnements compatibles. Microsoft tira parti de ces besoins en développant des applications de bureau et en imposant peu à peu son standard, grâce à son avancée technologique et son partenariat avec le leader du marché, IBM.
Intel, s’imposa comme le microprocesseur de Microsoft, et investit plus de 10 % de son chiffre d’affaires dans la R&D, afin de maintenir son avance, vis-à-vis de son principal concurrent, AMD. Intel anticipa les besoins de la clientèle, qui cherchait désormais moins des ordinateurs sûrs et simples (c’était leur cas à tous) que des machines performantes, adaptées, et surtout rapides.
Cet exemple permet de dégager les trois phases de la migration de la valeur :
- Afflux de la valeur
Dans cette première phase, l’entreprise prend de la valeur à d’autres acteurs de son secteur, parce que son business design répond mieux aux nouveaux besoins des clients. Le business design d’IBM dans les années 80⁄84 s’est ainsi révélé fortement créateur de valeur. - Stabilité de la valeur
La deuxième phase est caractérisée par des business designs adaptés aux priorités des clients, dans un équilibre général de l’équilibre concurrentiel. - Reflux de la valeur
Dans cette troisième phase, la valeur commence à se déplacer des activités traditionnelles vers des business designs plus réactifs à l’évolution des priorités des clients. C’est le cas d’IBM à la fin des années 80, alors que la valeur s’est déplacée vers les business designs de Microsoft et Intel.
Les zones de profit, ou la recherche de business designs créateurs de valeur
Mercer Management Consulting a identifié les principaux leviers qui permettent à une entreprise d’anticiper la migration de la valeur et de se maintenir dans la zone de profit.
Le business design d’une entreprise comprend cinq éléments stratégiques que tout chef d’entreprise doit prendre en compte :
- La sélection des clients
Quels clients servir ? Comment apporter de l’utilité aux clients choisis ? Il est essentiel de définir clairement les catégories de clients pour lesquelles l’entreprise veut optimiser son offre. À défaut, on risque de définir une offre « moyenne », ne satisfaisant réellement aucune catégorie de clients ou de servir des clients détruisant du profit. Microsoft a ainsi développé une offre pour les utilisateurs de ses logiciels mais aussi pour les développeurs. - La capture de la valeur
Quel est mon modèle de profit ? Comment transformer en profit une part de ce que j’apporte au client ? En imposant son standard, Microsoft a détenu une part de marché croissante, dans une activité où le profit marginal est fortement croissant. - Différenciation
Comment protéger mon flux de profit ? Qu’est-ce qui rend mon offre unique ? Intel a protégé ses profits en facilitant l’entrée de nouveaux concurrents de ses clients : il a commercialisé des cartes mères de micro-ordinateurs, qui en sont le composant le plus complexe, ce qui a favorisé l’entrée de concurrents d’IBM sur le marché et a obligé les constructeurs à adopter ses nouveaux microprocesseurs dès leur lancement. - Champ d’action
Quelles sont mes activités ? Quels sont les produits, services et solutions que je veux vendre, quelles sont les activités ou les fonctions que je veux conserver en interne ? Celles que je veux sous-traiter, délocaliser ou mener avec un partenaire ? Intel a su passer de la fabrication de cartes mémoires à la conception de microprocesseur et de cartes mères. Microsoft a évolué de l’écriture de langages à la création de logiciels bureautiques puis d’applications de réseau. - Systèmes d’organisation
Une fois définis les quatre premiers éléments stratégiques, sur quelle organisation et sur quels systèmes s’appuyer pour servir et anticiper les priorités des clients ? Comment faire en sorte que l’organisation intègre les changements imposés par les quatre éléments stratégiques ?
Le business design est ainsi avant tout une discipline rigoureuse fondée sur l’anticipation des leviers de création de valeur du futur et la réinvention du métier de l’entreprise en conséquence. Elle vise à maintenir l’entreprise dans une dynamique de croissance de la valeur.
Mercer Management Consulting est à l’origine des principes contenus dans cet article, ceux-ci sont développés dans deux livres. La migration de la valeur d’Adrian Slywotzky met en lumière les différents schémas de migration de la valeur et ses enjeux. La zone de profit d’Adrian Slywotzky et David Morrison identifie les business designs susceptibles de capturer la valeur et les illustre au travers de nombreux exemples issus de différents secteurs d’activité.
Ces deux livres sont disponibles en français depuis octobre 1998 aux Éditions Village Mondial.