Militant du plein emploi, la réussite sociale du groupe Archer à Romans
En 1980, Romans vivait de l’industrie de la chaussure. En quelques années, difficultés financières, rachat par des fonds d’investissement et délocalisation, tout a disparu. Christophe Chevalier, PDG du groupe Archer, d’abord une association de solidarité puis réorientée vers le développement économique, a décidé de relancer cette activité avec ce qui restait du savoir-faire local.
En 1980, la moitié des cinquante mille habitants du bassin d’emploi de Romans-sur-Isère vivaient directement ou indirectement de l’industrie de la chaussure. En une quinzaine d’années, toutes les entreprises de chausseurs, mais aussi de tanneurs, de fabricants de composants, de tresseuses à domicile ont quasiment disparu, ce qui a provoqué un chômage massif et d’énormes problèmes de pauvreté.
Christophe Chevalier, PDG du groupe Archer. © ÉRIC D’HÉROUVILLE
C’est dans ces termes que Christophe Chevalier introduisait son exposé le 19 avril 2016 à l’École de Paris du management.
Pour remédier aux dramatiques conséquences du chômage, il avait créé, en 1987, l’association Archer mais, faute de création d’emplois pour remplacer ceux qui avaient disparu, la formation ne pouvait au mieux que modifier les priorités dans la file d’attente du chômage.
AUX GRANDS MAUX, LES PETITS REMÈDES
En 2007, Christophe Chevalier change de stratégie : « Nous avons décidé de réorienter l’action d’Archer vers le développement économique en privilégiant deux axes, les ressources humaines et la création ou le maintien d’activités économiques. Nous avons créé une holding de tête, la SAS groupe Archer. »
Quand le fonds d’investissement devenu propriétaire du plus gros fabricant de chaussures à Romans l’a mis en liquidation pour délocaliser sa production, le groupe Archer a racheté une ligne de fabrication et, avec huit ouvriers, a relancé une fabrication en ciblant trois marchés.
“ Notre grande surprise a été d’être complètement débordés par les commandes ”
Le premier est celui des grandes marques qui, pour bénéficier du label made in France, réalisent en France la fabrication de sous-parties des chaussures.
Il existe aussi le marché très select des créateurs de mode qui, pour un défilé, ont besoin d’un petit nombre de paires assorties à leurs créations.
Enfin, le groupe a opté pour la mise en valeur du savoir-faire local : « Nous avons décidé de nous appuyer sur l’histoire de la chaussure dans son territoire pour créer notre propre marque, made in Romans, et pour commercialiser nos chaussures nous-mêmes, dans nos magasins d’usines, auprès de groupes de touristes qui, chaque semaine ou presque en saison, viennent en autocar visiter les ateliers de Romans. »
GRANDS SUCCÈS ET PETITES UNITÉS
Il ne suffisait pas de former, il fallait créer des entreprises qui créent des emplois.
© ÉRIC D’HÉROUVILLE
« Notre grande surprise a été d’être complètement débordés par les commandes. Nous ne parvenions à honorer que 10 ou 15 % d’entre elles. Pour faire face à cet afflux, nous avons décidé de faire appel à de toutes petites entreprises qui, au pays de la chaussure de luxe, continuaient à fabriquer des sandales, des chaussures de danse ou encore des chaussures d’escalade.
Nous leur avons proposé de répartir le travail, non pas en nous partageant les commandes, mais en réalisant chacun une partie de la chaussure en fonction de nos savoir-faire respectifs : l’un découpe le cuir, l’autre le pique, un troisième fait le montage, un autre s’occupe de la finition, etc., un peu sur le modèle des districts italiens.
Grâce à ce fonctionnement en réseau, nous avons réussi à prendre de plus en plus de commandes et, désormais, de nouveaux artisans s’installent à Romans.
Aujourd’hui, notre réseau comprend une dizaine d’ateliers de deux à vingt personnes. » Ce dynamisme retrouvé, le lycée professionnel a rouvert des classes, le centre AFPA de Romans a relancé des formations d’adultes, et des retraités ont accepté d’apporter leur concours pour des savoir-faire spécifiques.
En récupérant des locaux inutilisés, le groupe Archer projette d’y réunir tous les chausseurs afin de faciliter les coopérations, d’organiser plus facilement les visites d’ateliers et de créer un seul magasin d’usine, avec des horaires d’ouverture plus larges que ceux des petits magasins gérés par chaque entreprise.
START-UP DE TERRITOIRE
À la fin de son exposé, Christophe Chevalier a présenté sa nouvelle initiative, le lancement de « start-up de territoire ». Je suis allé le voir à Romans pour le connaître et pour mieux comprendre sa démarche. Il l’a présentée en la décomposant en quatre phases.
L’ÉCONOMIE SOCIALE ET SOLIDAIRE AU SEIN DU GROUPE ARCHER
66 % des salariés sont en insertion.
7 000 heures de formation qualifiantes par an à 63 % pour des salariés en insertion, à 12 % pour des salariés permanents et à 23 % pour des bénéficiaires du RSA.
Le groupe remplit à 450 % son obligation légale en matière de formation.
Chiffres 2013, sources : Le Monde
La première fut la création, de 1987 à 1992, de l’association de solidarité Archer. En 1987, l’industrie de la chaussure dont vivait un Romanais sur deux était en voie de disparaître et le taux de chômage atteignait un tel niveau que s’étaient développées de véritables poches de pauvreté.
Archer a d’abord été une association de solidarité qui rassemblait des associations caritatives, des élus locaux, des entreprises… Avec l’appui d’un « parrain », Martin Gray, auteur mondialement connu du récit autobiographique Au nom de tous les miens, l’association a pu mobiliser des personnalités locales, notamment des chefs d’entreprise.
Elle avait pour vocation d’aider les chômeurs dans tous les domaines de l’action sociale, formation, logement, santé… Elle répondait à un réel besoin mais, faute de moyens d’agir sur l’emploi, elle n’apportait pas de solution.
CRÉER DES EMPLOIS
De 1992 à 2007, Archer devient une entreprise d’insertion. Avec la mise en place du RMI, les pouvoirs publics ont pris en charge la pauvreté, de sorte qu’Archer a pu focaliser son action sur l’emploi en favorisant la création d’associations d’insertion et en devenant elle-même entreprise d’insertion.
“ L’industrie de la chaussure dont vivait un Romanais sur deux était en voie de disparaître ”
Pour Christophe Chevalier, cette période est celle d’une réflexion sur ses moyens d’action. À quoi bon former des chômeurs s’il n’y avait pas d’emploi à leur offrir ? Il fallait sortir du cadre associatif pour adopter les méthodes de l’entreprise et se donner ses moyens d’action.
En 1989, il informatise la gestion d’Archer et en 1995, il achète les locaux. Mais ce qui manquait était les emplois, il ne suffisait pas de former, il fallait créer des entreprises qui créent des emplois.
DIVERSIFIER LES SECTEURS D’EMBAUCHE
En 2007, l’association Archer devient la SAS groupe Archer, avec une douzaine d’actionnaires pour commencer. Le groupe avait relancé l’industrie de la chaussure en reconstituant ou en confortant une dizaine d’ateliers de deux à vingt personnes, chacun devenant une entreprise, membre de la holding. Pour sauver ou créer des emplois dans d’autres secteurs d’activité, Archer a utilisé les mêmes procédés.
En dix ans, l’effectif du groupe Archer est passé de 165 à 500 salariés, de sorte que le groupe est devenu l’un des premiers employeurs de Romans. © ÉRIC D’HÉROUVILLE
En plus de la chaussure, le groupe Archer rassemble actuellement des entreprises dans les domaines du vêtement, des travaux publics, des espaces verts, des services à la personne, de l’intérim, du transport, de la sous-traitance industrielle…, le tout représentant un effectif équivalent à 500 emplois à temps plein.
Le groupe a maintenant 112 actionnaires dont les apports ont financé la croissance : la plupart sont des habitants de Romans ou de la Drôme, mais il y a aussi une vingtaine d’entreprises locales et quelques grandes entreprises de l’économie sociale et solidaire, MAIF, Macif, Crédit Coopératif que Christophe Chevalier avait connues quand il était président d’une fédération des entreprises d’insertion.
Son développement a reçu l’appui de Claude Alphandéry, fondateur de l’association France Active et ancien président du Laboratoire de l’ESS. Ancien maquisard du Vercors, il était resté très attaché à la région. En investissant dans le groupe Archer, il a donné l’exemple.
Chaque actionnaire du groupe, qu’il ait investi 300 € ou 100 000 €, détient une voix. Le dividende est très faible. Au plan juridique, il s’agit d’une SAS classique, mais avec un fonctionnement fortement inspiré du modèle de l’économie sociale. En 2009, un Pôle territorial de coopération économique (PTCE) a été créé à Romans qui, regroupant de nombreux partenaires, a pour objectif de favoriser la coopération entre les petites entreprises.
VERS LE PLEIN-EMPLOI À ROMANS
En dix ans, l’effectif du groupe Archer est passé de 165 à 500 salariés, de sorte que le groupe est devenu l’un des premiers employeurs de Romans. Et pourtant il reste encore des chômeurs !
PÔLE TERRITORIAL DE COOPÉRATION ÉCONOMIQUE
L’idée et le terme de PTCE sont nés en 2008 au sein d’un groupe de travail du Laboratoire de l’ESS. Leur définition a été officialisée par une loi du 31 juillet 2014 relative à l’ESS.
Pour Christophe Chevalier, le groupe Archer a atteint sa taille critique et il n’envisage plus qu’une croissance modérée. Mais il veut continuer à promouvoir la création d’emplois. C’est pourquoi il a lancé la procédure des « start-up de territoire » à partir d’une réunion à laquelle ont participé une centaine de personnes de toutes provenances, chefs d’entreprise, fonctionnaires, salariés, syndicalistes, chômeurs…
Ils étaient réunis pour réfléchir ensemble à des besoins locaux non satisfaits. Des projets ont été retenus, sur lesquels la réflexion s’est poursuivie dans des petits groupes où chaque projet a été analysé en vue de le traduire en activité rentable.
Cela a si bien marché qu’une seconde réunion a eu lieu un an plus tard, à laquelle ont participé des personnes étrangères à Romans qui voulaient reprendre la démarche à leur compte. Le groupe Archer a également créé une École entrepreneuriale pour former les porteurs de projet et il réfléchit à la mise en place d’un fonds d’investissement.
UN ENTREPRENEUR DE TERRITOIRE
“ La plupart des actionnaires sont des habitants de Romans ou de la Drôme ”
Au-delà de sa fonction d’entrepreneur du territoire de Romans et en réaction à ce qu’il perçoit comme une résignation des pouvoirs publics à la persistance du chômage, Christophe Chevalier se veut un militant du plein-emploi. Il se réclame de l’ESS où les écarts de salaires sont faibles et dont les actionnaires se contentent de petits dividendes.
Mais aussi pour l’emploi de ceux qui n’ont pas dépassé le niveau du bac professionnel, il faut, dit-il, conserver en France des industries de main‑d’œuvre. « Leur intelligence est dans leurs doigts » et c’est en multipliant les petites entreprises qu’on leur donne les meilleures chances de la valoriser.