Moderniser la France
Soucieux de moderniser la France, Napoléon III lance d’ambitieux projets de développement du chemin de fer et de rénovation urbaine.
Les X, ingénieurs et savants, jouent un rôle clef dans ces projets, comme en attestent quelques portraits de grands anciens.
Au milieu du siècle, les liens entre l’École polytechnique et le secteur ferroviaire sont déjà étroits, puisque, en 1845, cinq des six grandes compagnies de chemin de fer françaises ont à leur tête des X, qui ont pour interlocuteurs privilégiés au gouvernement nombre de leurs pairs en charge de la question du rail.
REPÈRES
D’inspiration saint-simonienne, la politique économique menée au lendemain du coup d’État du 2 décembre 1851 a pour objectif la relance de la croissance et la modernisation des structures, autour de deux grands axes : la multiplication des sources de crédit bon marché (mise en place des réseaux de banques d’affaires puis de banques de dépôt), et les grands travaux publics, tout spécialement la construction de chemins de fer et la rénovation urbaine.
Ingénieurs et cheminots
- Legrand (1809) trace les plans du premier réseau français (en étoile, dit « Étoile de Legrand »).
- Enfantin (1813) est le promoteur de « L’union pour les chemins de fer de Paris à Lyon ».
- Clapeyron (1816) participe aux études et à la construction des lignes Paris à Saint-Germain, Versailles, du Nord et du Midi.
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“ Cinq des six grandes compagnies de chemin de fer françaises ont des X à leur tête ”
Talabot (1819) dirige la compagnie PLM de 1862 à 1882.
- Perdonnet (1821) construit la ligne de Paris à Saint- Germain et dirige le matériel de la ligne Versailles-Rive gauche.
- Chevalier (1823), inspirateur de la politique industrielle de Napoléon III, est conseiller technique de la compagnie de chemin de fer des frères Pereire.
- Franquet de Franqueville (1827), directeur général des Ponts et Chaussées et des Chemins de fer en 1855, jusqu’à sa mort en 1876, à 67 ans, prend en main l’aménagement du chemin de fer français, à travers le développement du réseau et la concentration des compagnies concessionnaires.
- Goüin (1834) fonde en 1846 sa propre entreprise, Ernest Goüin et Cie, qui construit locomotives, puis ponts et voies ferrées. Devenue en 1871 la Société de construction des Batignolles, c’est l’ancêtre du groupe Spie Batignolles.
- Freycinet (1846), chef d’exploitation de la Compagnie des Chemins de fer du Midi de 1856 à 1861, est notamment ministre des Travaux publics de 1877 à 1879, où son nom est attaché au plan de multiplication de lignes de chemin de fer pour l’aménagement du territoire. Il sera, plus tard, plusieurs fois président du Conseil.
Une formation adaptée
DES MILLIERS DE KILOMÈTRES
De 3 500 km de voies ferrées en 1850 à près de 20 000 en 1870, en vingt ans le pays s’est doté d’infrastructures modernes, et a rattrapé son retard industriel sur le Royaume-Uni.
« On a pu dire que le système ferroviaire français a été l’œuvre des polytechniciens – et aussi certains réseaux étrangers (dans les années 1850 et 1860, une centaine d’entre eux étaient en congé pour construire des chemins de fer à l’étranger)1. »
La prééminence des X dans ce secteur n’est pas étrangère à la nouvelle place accordée aux sciences de l’ingénieur dans l’enseignement de l’École polytechnique en 1865.
Les X vont également contribuer au développement des technologies alors essentielles à ce secteur. Henry (1865) améliore considérablement le frein Westinghouse. Péchot (1869) crée une locomotive à double foyer ainsi qu’un ensemble d’infrastructures et de matériels qui seront employés par l’armée lors de la Première Guerre mondiale, le « système Péchot ».
Changer la ville
Avec la collaboration de préfets dynamiques comme Haussmann à Paris ou Vaïsse à Lyon, Napoléon III entreprend de transformer les grandes villes et de les adapter au développement du capitalisme moderne, avec ses grands magasins, ses expositions nationales ou internationales, ses grandes banques et surtout ses gares qui sécrètent impérieusement le besoin de voies de circulation aisées.
Paris, Lyon, Rouen, Dijon, Angers, Lille, Toulouse, Avignon, Montpellier, Toulon, Nîmes et Marseille changent de physionomie. Alger est profondément remaniée.
Lyon se modernise
Bonnet (1828) est devenu le maître d’œuvre de l’urbanisme lyonnais durant seize ans, sous les ordres du préfet Vaïsse.
“ Transformer les villes et les adapter au capitalisme moderne ”
Il mène les travaux de la rue de la République, de la rue Impératrice et lutte contre l’inondation de 1856.
Ingénieur en chef du Service municipal et responsable des espaces verts de la ville, il est directeur du Jardin botanique entre 1859 et 1870. Il aménage le parc de la Tête‑d’or et en devient le directeur.
De l’eau pour tous
Belgrand (1829)2, initiateur de la politique de l’eau saine pour tous, sur les instructions d’Haussmann – qui veut des eaux de source pour Paris – réalise les aqueducs de la Dhuys (mis en service en 1865) et de la Vanne (mis en service en 1874 après interruption des travaux pendant la guerre).
Nommé directeur des Eaux et Égouts de Paris, il dirige la réalisation de ce grand réseau formé de vastes galeries visitables, formidablement utiles pour les très nombreux usages complémentaires rendus possibles, jusques et y compris la fibre optique aujourd’hui.
Promenades et plantations
Alphand (1835) est responsable des grands travaux d’assainissement et d’embellissement de Paris. CLAUDE GONDARD (65)
Alphand (1835) est nommé par Haussmann ingénieur en chef au service des Promenades et des Plantations pour participer à la transformation de Paris, en compagnie de Belgrand et du jardinier Barillet-Deschamps.
En 1867, il se voit confier la direction de la Voie publique, des Promenades et de l’Éclairage.
Il est responsable des grands travaux d’assainissement et d’embellissement : promenades et jardins (bois de Boulogne, bois de Vincennes, parc Monceau, parc Montsouris, Buttes- Chaumont, jardins du Ranelagh, des Champs-Élysées, jardins du Trocadéro et parc du Champde- Mars, boulevard Richard-Lenoir, avenue de l’Observatoire, boulevard Saint-Germain, avenue de l’Opéra, et même parc Borely à Marseille).
Nommé directeur des Eaux à la mort de Belgrand en 1878, on lui doit l’épuration des eaux d’égout par le sol ainsi que le système du tout-à‑l’égout et l’amélioration de l’enlèvement des ordures ménagères. Il défend aussi un projet de métropolitain.
Directeur de l’Exposition universelle de 1889, il est un fervent soutien de la tour Eiffel.
Grands travaux
Il est intéressant à ce sujet d’établir un parallèle avec l’époque Pompidou, entre Millier (1938) et Alphand (1835). « Deux premiers postes de vraies réalisations : la Côte‑d’Ivoire pour l’un, le Bordelais pour l’autre. Deux seconds postes parisiens d’ambition nationale, l’aménagement de La Défense ou les grands travaux (haussmanniens) : le remodelage complet d’une agglomération, soutenu par un gouvernement fort et éclairé, aux côtés d’un personnage visionnaire, Delouvrier ou Haussmann.
Et, au soir de leur vie professionnelle, une ouverture de plus en plus grande vers la dimension artistique […] : les expositions universelles et notamment 1889 pour Alphand, fervent soutien de la tour de Gustave Eiffel, le Centre Pompidou pour Millier3. »
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1. Michèle Merger et Dominique Barjot, Les Entreprises et leurs réseaux (…) : Mélanges en l’honneur de François Caron, Presses Paris Sorbonne, 1998.
2. La Jaune et la Rouge n° 660, décembre 2010 :
Le bicentenaire discret d’un prophète, Eugène Belgrand (1829)
Eugène Belgrand (1829), ingénieur, hydrologue et géologue
3. Christian Marbach (56), Portraits de polytechniciens, éd. Sabix, 2015.
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Vie d’un X 68
Un cousin de cousin (très) éloigné, Paul Rabel (X 1868), proche collaborateur de Freycinet :
» Le 8 décembre 1892, Paul Rabel, 5 rue de Logelbach à Paris, père d’André Rabel, dépose un brevet français pour un système de pont à arc à culasses compensatrices ancrées dans les culées (enregistrement n° 226264).
Le pont Mirabeau est un chef-d’œuvre de technique et d’élégance architecturale. Il fut construit entre 1893 et 1896 pour relier directement les quartiers d’Auteuil et de Passy, rive droite, avec ceux de Javel et de Grenelle, rive gauche.
Conçu par l’ingénieur Rabel, responsable des ponts de Paris, assisté des ingénieurs Jean Résal et Amédée Alby, c’est le premier pont métallique en arcs à culasses, composé de deux ossatures symétriques qui, en s’arc-boutant, donnent à la structure son équilibre »
Biographie de Paul Rabel extraite d’un arbre généalogique établi par un lointain cousin :
http://gw.geneanet.org/lbaratte?lang=fr;m=D;p=marc+louis;n=henry&siblings=on¬es=on&t=T&v=6&image=on&marriage=on&full=on