Portrait de François ARAGO (1803)

“ Mon cher Monge ” Marbach lu par Arago

Dossier : ExpressionsMagazine N°716 Juin/Juillet 2016
Par Hubert LÉVY-LAMBERT (53)

Une lec­ture ori­gi­nale du der­nier livre de Chris­tian Mar­bach (56) Por­traits de poly­tech­ni­ciens, illus­tré par Claude Gon­dard (65) et dis­po­nible à la Sabix 

Mon cher Monge,

« Je viens de lire Por­traits de poly­tech­ni­ciens du jeune Mar­bach (56) et je te féli­cite de l’a­voir pré­fa­cé bien qu’il t’y qua­li­fie d’u­to­piste — mais est-ce un défaut ? — sans trop de sens poli­tique (p. 61). 

« Je trouve cet ouvrage remar­quable et pas seule­ment parce qu’il y est dit le plus grand bien de moi. Un livre pas­sion­nant, plein d’a­nec­dotes savou­reuses et magni­fi­que­ment illus­tré par Claude Gon­dard (65), ingé­nieur du Génie mari­time recon­ver­ti dans la gravure. 

« J’y ai lu que l’É­cole a bien chan­gé depuis 1803. Il y a aujourd’­hui des poly­tech­ni­ciennes, et m•me des couples de polytechniciens. » 

CRITIQUES SUR L’ÉCOLE


Fran­çois Ara­go (1803)
© OBSERVATOIRE DE PARIS / SYLVAIN PELLY

« J’ai aus­si lu que l’É­cole est sujette à moult cri­tiques sur son recru­te­ment, son coût, son ensei­gne­ment, ses débou­chés. Ces cri­tiques sont utiles si elles sont constructives. 

« Concer­nant les coûts, en tant qu’an­cien pro­fes­seur d’a­rith­mé­tique sociale, j’ap­prouve Mar­bach qui com­pare les coûts de l’u­ni­ver­si­té et des grandes écoles en les rap­por­tant non au nombre d’é­tu­diants qui y rentrent mais à ceux qui en sortent avec un diplôme, voire avec un emploi (p. 68). 

« Je pense qu’il faut aug­men­ter sen­si­ble­ment les frais de sco­la­ri­té pour allé­ger les finances publiques, tout en aug­men­tant aus­si les prêts rem­bour­sables et les bourses pour n’é­car­ter aucun talent et évi­ter qu’un nou­vel Enfan­tin (1813) ne doive quit­ter l’É­cole au bout d’un an (p. 34). » 

ALLAIS OU TIROLE

« Je regrette comme Mar­bach le rejet de la can­di­da­ture d’Al­lais (31) au poste de pro­fes­seur d’é­co­no­mie en 1958 (p. 70), mais avouons qu’il n’a eu le prix Nobel que trente ans plus tard. 

« Tout en recon­nais­sant comme tu le fais dans ta pré­face que le choix fait par l’au­teur est per­son­nel, sur­tout quand il faut se limi­ter à 300 per­sonnes sur 50 000, je ne peux m’empêcher de regret­ter que Tirole (73) soit qua­si absent alors qu’il a reçu le prix Nobel l’an­née der­nière et que soient mis en avant d’obs­curs cama­rades comme le jeune Lévy-Lam­bert (53) qui n’a rien à voir avec Lam­bert (1822) dit Lam­bert- Bey (p. 286) ni avec Lévy-Lang (56) clas­sé zéro bis (p. 310) et n’a à son actif guère plus que la construc­tion d’un monu­ment aux morts à Palai­seau (p. 157). 

« Mais j’au­rais mau­vaise grâce à contes­ter ce choix puis­qu’il m’a mis en cou­ver­ture de la bro­chure du pre­mier Magnan décen­nal, Les Car­vas de l’an 3, et sur­tout qu’il a entre­pris la construc­tion d’un monu­ment à ma gloire sur le bou­le­vard pari­sien éponyme. » 

LE MAUVAIS CÔTÉ DE L’AFFAIRE

« Mar­bach consacre un cha­pitre à l’af­faire Drey­fus (1878) dans laquelle beau­coup d’X furent, hélas, du mau­vais côté. 

“ Je ne peux que regretter que soient mis en avant d’obscurs camarades comme le jeune Lévy-Lambert (53) ”

« Il signale que Pain­le­vé et Hada­mard ont pris sa défense au pro­cès de Rennes en 1899 (p. 106) mais il aurait pu ajou­ter que le pre­mier avait été char­gé en 1897 par “ cer­taines per­sonnes de l’É­cole ” de convaincre le second de reti­rer sa can­di­da­ture à une place de répé­ti­teur à l’X, car il était cou­sin éloi­gné de Drey­fus1.

« C’est à juste titre que Mar­bach glo­ri­fie mon ami Fab­vier (1802), que j’ai côtoyé dans les cercles “ libé­raux ”, qui a appor­té en 1826 au péril de sa vie des muni­tions aux Grecs assié­gés sur le Par­thé­non par les Turcs (p. 134), dignes pré­dé­ces­seurs de Daech avec la des­truc­tion de l” Érech­théion, mais aus­si dignes suc­ces­seurs des Véni­tiens des­truc­teurs du Naos en 1687. » 

POLIORCÈTE

« Ce n’est pas à toi, mon cher Gas­pard, qui as ensei­gné à l’école royale du Génie de Mézières avant de créer l’X, que j’apprendrai la signi­fi­ca­tion du mot polior­cète (p. 145) par­mi les­quels Mar­bach cite Simon Ber­nard (1794), bri­ga­dier géné­ral de l’US Army, le “Vau­ban du Nou­veau Monde”, ou Ray­mond Adolphe Séré de Rivières (1835), le “Vau­ban de la Revanche”. 

« J’ignorais que Georges Pain­vin (1905) avait for­te­ment contri­bué à la vic­toire de 1918 par son déchif­fre­ment du code alle­mand. Pour­quoi n’a‑t-il pas été célé­bré comme Alan Turing, cas­seur d’Enigma en 1942, immor­ta­li­sé au ciné­ma en 2014 dans The Imi­ta­tion Game ? »

TEMPS DE GUERRE ET TEMPS DE PAIX

« Mar­bach glo­ri­fie les X qui ont su faire le bon choix en temps de guerre, comme Dewa­vrin (32) ou Mes­siah (40), quitte à déso­béir aux ordres (p. 116), au risque d’être exclu de l’École pour déser­tion comme Gou­rio (41), mort glo­rieu­se­ment en 1944. 

« Mais en temps de paix, il semble recom­man­der au bon fonc­tion­naire de se confor­mer aux déci­sions prises en haut lieu et d’accepter loya­le­ment les arbi­trages, même défa­vo­rables (p. 162). 

« Il ne faut natu­rel­le­ment pas que chaque grou­pus­cule puisse s’opposer par la force à des déci­sions d’intérêt géné­ral prises après de longues enquêtes publiques. 

Gaspard MONGE
Gas­pard Monge © ÉCOLE POLYTECHNIQUE / FABRICE MORIN-BERTHIER

« Mais ne pense-t-il pas que les déci­sions prises par la France en matière d’OGM, de gaz de schiste ou de nucléaire en appli­ca­tion d’un pré­ten­du “prin­cipe de pré­cau­tion” qui aurait empê­ché bien des pro­grès s’il avait été appli­qué de mon temps, auraient pu être cri­ti­quées publi­que­ment par le corps des Mines, dont il est un membre éminent ? 

« Pierre Guillau­mat (28), le “tsar de l’énergie”, dont l’objectif était “la maî­trise par la France de son indé­pen­dance natio­nale et notam­ment éner­gé­tique” (p. 248) serait-il res­té silen­cieux ? Et puisqu’il rap­pelle les vives cri­tiques de Sau­vy (20S) contre les 40 heures de Léon Blum, “l’acte le plus dom­ma­geable pour la France depuis la révo­ca­tion de l’édit de Nantes par Louis XIV” (p. 218), ne déplore-t-il pas le silence assour­dis­sant des X éco­no­mistes contem­po­rains au sujet des 35 heures ? 

« Ancien pré­sident de la Cité des sciences de la Vil­lette, Mar­bach ne manque pas de signa­ler la richesse de la col­lec­tion d’objets scien­ti­fiques et tech­niques de l’École (p. 229) dont on retrouve cer­tains dans le cabi­net de curio­si­tés illus­tré par Gon­dard (p. 346). 

« Mais ne regrette-t-il pas que ceux-ci soient par­qués sur une mez­za­nine inac­ces­sible au lieu d’être consti­tués en un véri­table musée des ins­tru­ments de l’X, acces­sible au public et rece­vant des dons des nom­breux X qui s’intéressent aux sciences et aux techniques ? 

« Mar­bach consacre un cha­pitre à la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne, ses binets, ses réseaux, son argot et ses rites et, bien sûr, à son asso­cia­tion d’anciens, l’AX, qui a fêté ses 150 ans en 2015, bien qu’elle résulte de la fusion en 1962 de la SAS créée en 1830 avec la SAX créée en 1908. » 

VIVANTS, MORTS ET VIRTUELS

« Curieu­se­ment, mal­gré ses 85 cha­pitres et ses pro­me­nades à tra­vers le monde, ce livre manque d’un cha­pitre consa­cré à l’endroit où se trouvent la moi­tié des 50 000 X entrés à l’École depuis 1794 : les cimetières. 

“ L’AX a fêté ses 150 ans en 2015, bien qu’elle résulte de la fusion en 1962 de la SAS créée en 1830 avec la SAX créée en 1908 ”

« Ce cha­pitre aurait été l’occasion de par­ler encore une fois de moi dont le buste par David d’Angers accueille les visi­teurs à droite en entrant dans l’allée prin­ci­pale du Père-Lachaise. 

« Comme si ces 50 000 X vivants et morts n’y suf­fi­saient pas, Mar­bach n’hésite pas à finir son expé­di­tion eth­no­lo­gique avec une liste d’X vir­tuels, qui se ter­mine par une créa­tion à lui, Sur­geon (71), créa­teur de start-ups et grand dona­teur de la Fon­da­tion de l’X (p. 340). 

« Puissent tous les X réels lire ce livre et faire comme Sur­geon afin que l’X conti­nue à pros­pé­rer pour la Patrie, les Sciences et la Gloire. 

« Je ne doute pas qu’il en sera ain­si quand je vois que l’École est diri­gée par un cer­tain Jacques- Nico­las Biot (71), peut-être appa­ren­té à Jean-Bap­tiste Biot (1794) qui a par­ta­gé mes aven­tures de jeu­nesse sur terre et sur mer le long du méri­dien de Paris. » 

François Arago, 30 septembre 15

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1. H. Lévy-Lam­bert, « Le Cen­te­naire de l’affaire Drey­fus », La Jaune et la Rouge, jan­vier 1995, p. 58.

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