“ Monter ” en Israël : un choix de vie
La famille Vaniche a fait son alyah il y a dix ans et nous en raconte les aspects de la vie quotidienne, la facilité des démarches, l’apprentissage de l’hébreu, le choc culturel, l’école qui facilite l’intégration, l’accueil à bras ouverts, mais aussi le plaisir de se retrouver de temps à autre entre français.
Mon épouse et moi avons décidé en 2007 de nous installer en Israël. Après une quinzaine d’années de carrières bien remplies à Paris, nous recherchions un mode de vie plus en phase avec notre pratique religieuse et avec nos aspirations à une vie sociale plus intense, des relations professionnelles différentes, et surtout une autre éducation pour nos trois filles.
L’ALYAH, LA LOI DU RETOUR
Les modalités d’immigration en Israël sont assez simples. La « loi du Retour », loi essentielle promulguée peu après l’indépendance du pays, donne automatiquement la nationalité israélienne à toute personne qui peut prouver qu’un de ses grands-parents est juif. Israël, petit pays de 8 millions d’habitants aujourd’hui, a ainsi accueilli 600 000 Juifs d’Égypte, du Yémen, d’Irak, d’Afrique du Nord et d’Iran dans les années 1950–1970, au fur et à mesure de la décolonisation, des révolutions ou des expulsions, puis 100 000 Juifs d’Éthiopie dans les années 1980, au cours d’opérations spectaculaires et parfois clandestines qui ont permis d’exfiltrer des populations juives en danger.
L’arrivée de près d’un million de Juifs de l’ex bloc soviétique dans les années 1990 s’est faite de façon bien moins dramatique que celle des rares refuzniks qui étaient parvenus à s’enfuir les années précédentes, mais avec de grandes difficultés pour absorber dans le monde du travail une telle masse d’immigrants.
En parallèle de ces vagues d’immigration, le pays connaît un afflux régulier de Juifs de pays occidentaux qui décident de « monter » (alyah) s’installer en Israël.
LES DÉMARCHES ADMINISTRATIVES FACILES
Notre arrivée en famille fut des plus sereines, comme un simple déménagement. J’avais fait quelques repérages préalables et obtenu un visa. Nous avons débarqué comme des touristes un soir de l’été 2007, et nous nous sommes présentés aux services d’immigration à l’aéroport.
“ La machine à intégrer ces populations fonctionne de façon impressionnante ”
La machine administrative est bien rodée : en 45 minutes, nous sommes ressortis avec des papiers provisoires et une aide de l’équivalent de quelques centaines d’euros en liquide pour nos premières dépenses, sans oublier un paquet de friandises pour chaque enfant.
Au cours des semaines suivantes, nous avons complété toutes les démarches administratives, pendant que nos filles profitaient d’un centre aéré pour nouveaux immigrants qui les préparait à la rentrée scolaire. Nous avons obtenu nos cartes d’identité définitives en moins d’une heure ; nous nous sommes inscrits à une caisse d’assurance maladie avec l’aide d’une bénévole francophone chargée de l’accueil des immigrants ; nous avons inscrit les enfants dans les écoles, etc.
Nous n’avons pas souhaité bénéficier du petit appartement que le centre municipal d’intégration met à la disposition des immigrants pendant les premiers mois. En remplacement, une aide au logement et une prime mensuelle d’intégration nous ont été versées pendant six mois, sans condition de ressources.
Sans faire la moindre démarche, nous avons également reçu une lettre nous annonçant les allocations familiales que nous allions recevoir mensuellement…
L’INDISPENSABLE APPRENTISSAGE DE L’HÉBREU
Le pays continue d’accueillir quelque 30 000 immigrants du monde entier chaque année. Au-delà de l’accueil administratif proactif, généreux et assez efficace, la machine à intégrer culturellement, socialement et économiquement ces populations fonctionne de façon impressionnante, avec une priorité donnée à l’acquisition de la langue et à la scolarisation des enfants.
Pour les adultes, l’apprentissage de l’hébreu se fait dans un oulpan, un cours collectif gratuit ouvert à tous les immigrants. À partir de la rentrée scolaire, nous déposions chaque matin les enfants à l’école, et rejoignions l’oulpan municipal pour cinq heures de cours d’hébreu, cinq jours par semaine pendant cinq mois.
Notre « Promo 2007 » de l’oulpan (des Jônes…) comptait une centaine d’immigrants venus de tous les pays imaginables.
L’enseignement se fait par classes de niveaux d’une vingtaine d’élèves, et donne la priorité à la compréhension orale et la conversation courante. Le professeur ne parle qu’en hébreu, il ne traduit jamais dans les langues maternelles de ses élèves, et essaie de faire s’exprimer chaque élève à tour de rôle. Il corrige peu les erreurs car, dans un pays composé d’autant d’immigrants, tout le monde tolère les petites erreurs de syntaxe à l’oral et encore davantage à l’écrit.
Nous complétons ces cours par des exercices de grammaire et de conjugaison sur ordinateur, et recevons des devoirs d’écriture à faire à la maison chaque soir. Malgré l’ambiance détendue, les examens de l’oulpan sont pris à cœur, car certains employeurs exigent des notes minimales à l’embauche.
LE CHOC CULTUREL POUR TOUS…
L’apprentissage de l’hébreu se fait dans un oulpan, un cours collectif gratuit ouvert à tous les immigrants. © CHAMELEONSEYE / SHUTTERSTOCK.COM
Parler en hébreu, tout le monde finit par y arriver plus ou moins. Certains, qui semblent venus d’une autre planète, doivent surmonter des obstacles plus importants : les Cubains et autres immigrants de républiques exotiques de l’ex- URSS découvrent le système bancaire, et pour certains le judaïsme ; les Iraniens, en habits traditionnels, découvrent la liberté d’expression et de mouvement mais refusent de nous parler de leur pays pour ne pas mettre en danger le reste de leur famille resté sur place ; les Éthiopiens il y a quelques années découvraient le principe de l’éponge et du savon liquide pour faire la vaisselle, et recevaient e n cadeau un égouttoir…
Et même pour certains Français, le choc culturel peut être difficile avec des Moyen-Orientaux très directs, qui s’échauffent rapidement.
L’oulpan sert à mélanger toutes ces populations, et à leur donner les bases d’une nouvelle culture commune, avec la maîtrise de la langue mais aussi des chansons traditionnelles, des films cultes, des notions de base sur le système politique ou judiciaire israélien.
L’oulpan organise des excursions à travers le pays, et des soirées en famille pour marquer les fêtes traditionnelles. L’enseignement de l’hébreu est laïc mais toujours inspiré par la culture, l’histoire et la religion juives, qui constituent le lien le plus fort entre les différentes populations mélangées à l’oulpan, et le fil rouge le plus efficace pour leur intégration.
UNE ÉCOLE QUI FACILITE L’INTÉGRATION
Le deuxième pilier de la politique d’intégration des immigrants en Israël repose sur la réussite scolaire. Les enfants ont leur propre oulpan dans le cadre de l’école. Ils sont d’emblée intégrés dans une classe normale, et suivent dès la première semaine les cours de mathématiques, d’anglais ou de sport avec leur classe.
Pendant les cours qui nécessitent une meilleure maîtrise de l’hébreu, les nouveaux immigrants quittent la classe et se regroupent à l’oulpan pour reprendre les bases de la langue.
“ Avant la fin de la première année d’école, la quasi-totalité des enfants parlent correctement hébreu ”
Au bout de quelques mois, ils rejoignent l’emploi du temps des autres élèves. Ils passent les contrôles dans les salles de l’oulpan, où ils bénéficient de temps supplémentaire et de l’assistance des enseignants pour traduire les énoncés. Les progrès sont spectaculaires.
Avant la fin de la première année, la quasi-totalité des enfants nouveaux immigrants parlent correctement hébreu, et sont évalués sur les mêmes critères que les autres élèves. Quelques rares enfants perdent pied à cause de la langue et deviennent insolents voire violents faute d’un autre moyen de s’exprimer. Les difficultés augmentent avec l’âge d’arrivée en Israël, et les situations de blocage sont plus fréquentes pour les adolescents.
Le soutien scolaire aux immigrants continue jusqu’au lycée, avec certaines classes entièrement aménagées pour un enseignement en hébreu facile, des programmes allégés, des suppléments de temps pour les épreuves du baccalauréat, et la possibilité de retarder certaines épreuves afin de mieux assimiler l’hébreu entre-temps.
Peuvent en bénéficier tous les élèves arrivés depuis moins de dix ans en Israël, même lorsqu’ils parlent déjà hébreu couramment. Les immigrants bénéficient aussi de facilités pour l’accès à l’enseignement supérieur.
Personne ne trouve rien à redire à cette discrimination positive en faveur des immigrants, car tout Israélien en a bénéficié lui-même, ou sait que ses parents en ont bénéficié, ou en tout cas comprend la valeur apportée par l’immigration à la société israélienne.
UNE INSERTION PROFESSIONNELLE SOUTENUE PAR LES AIDES
Les pouvoirs publics apportent de plus en plus d’aides à l’insertion professionnelle ou à la reconversion pour les nouveaux arrivants. Sous la pression d’associations d’immigrants, les ministères israéliens progressent dans la reconnaissance des diplômes étrangers, n’en déplaise aux corporatismes locaux.
Les enfants sont d’emblée intégrés dans une classe normale, et suivent dès la première semaine les cours de mathématiques, d’anglais ou de sport avec leur classe. © YULIA DAR / SHUTTERSTOCK.COM
La carrière est rarement un objectif de l’alyah, mais malheureusement même en Israël on ne peut pas vivre uniquement de spiritualité et d’eau fraîche, il faut trouver une source de revenus surtout lorsqu’on est habitué à un train de vie « à la française ». Dans leurs premières années, les immigrants bénéficient d’une exemption partielle de charges sociales et de différents avantages fiscaux.
Le ministère de l’Économie prend en charge une partie du salaire que les entreprises israéliennes versent aux nouveaux immigrants, et apporte des aides aux immigrants qui créent une entreprise. Si nécessaire, le ministère de l’Intégration offre aux immigrants au cours de leurs dix premières années dans le pays une formation diplômante de leur choix (y compris un MBA international), pour leur permettre une évolution de carrière.
Une partie des nouveaux immigrants occidentaux n’y parviendront jamais, et repartent vers leur pays d’origine ou vers d’autres horizons, ou bien font des allers-retours.
Les immigrants qui étaient en danger dans leur pays d’origine, ou venus de pays en développement, sont prêts à de plus grands sacrifices, et acceptent des emplois à plus faible qualification. Ils constituent, ici aussi, une couche défavorisée de la population, mais avec de bons espoirs en Israël que leurs enfants pourront effacer leurs différences.
UN ACCUEIL « À BRAS OUVERTS »
Les efforts des pouvoirs publics en faveur des immigrants ne font que refléter l’unanimité dans le pays sur l’importance d’accueillir à bras ouverts tous ceux qui choisissent (ou parfois sont contraints) de « monter » en Israël.
“ Après avoir travaillé en hébreu toute la journée, nous ressentons le besoin de parler simplement à quelqu’un en français ”
Toutes les composantes de la société sont mobilisées pour le soutien aux immigrants : des parents d’élèves parrainent une famille de nouveaux immigrants ; la bibliothèque municipale propose une section complète dans les principales langues des immigrants ; la radio publique REQA émet en 14 langues ; les grands théâtres proposent des pièces sous-titrées ; les manuels d’utilisation des produits électroménagers sont écrits en amharique pour les Éthiopiens, etc.
Cette intégration massive d’immigrants donne une société colorée, passionnante et en mouvement permanent. Tous les poncifs s’appliquent : une société multiculturelle, un creuset de civilisations, un vivre-ensemble exemplaire, l’acceptation de l’autre quelles que soient ses origines, ses convictions ou ses orientations personnelles…
L’affectio societatis est palpable : les Israéliens ont un projet commun et apprécient de pouvoir le partager. Ils arrivent à surmonter une grande hétérogénéité, et se mobilisent pour les plus faibles. Cela se retrouve également dans l’intégration très poussée des handicapés dans le monde scolaire par exemple.
RECRÉER UN CONTEXTE FAMILIAL ET RELATIONNEL
L’intégration des immigrants est forte mais loin d’être totale. Les groupes d’immigrants de première génération restent très visibles. Les Français en particulier restent beaucoup entre eux, ils s’installent dans quelques villes qui ont déjà accueilli des Français : Jérusalem attire ceux qui recherchent avant tout une expérience spirituelle forte ; les retraités aiment se retrouver dans les villes balnéaires de Netanya ou Ashdod ; les célibataires et jeunes adultes aiment Tel-Aviv, « la ville qui ne dort jamais ».
Défilé des francophones lors du carnaval de Pourim à Ra’anana.
Nous avons choisi Ra’anana, une ville moyenne qui met l’accent sur les familles et l’éducation, dans la banlieue résidentielle au nord de Tel-Aviv, au centre du Silicon Wadi israélien. La communauté des Français y est omniprésente. En arrivant sans connaître personne, nous nous sommes liés d’amitié à la dizaine de familles françaises qui ont étudié à l’oulpan avec nous pendant quelques mois.
Nos enfants ont invité à la maison des jeunes immigrants français de leur âge qu’ils fréquentaient à l’oulpan de leur école.
De proche en proche, nous avons recréé en quelques mois un groupe d’amis sur lesquels nous pouvions compter pour passer une bonne soirée ensemble, ou bien nous conseiller un pédiatre en cas de besoin. Ce sont plus que des amis, car l’entraide permet de pallier l’absence de la famille.
Pour des raisons logistiques bien sûr, quand on n’a pas les grands-parents pour garder les enfants, mais surtout pour des raisons sociales. Après avoir étudié ou travaillé en hébreu toute la journée, nous ressentons le besoin de parler simplement à quelqu’un en français, en partageant les mêmes références culturelles ou pas si culturelles que cela : la vie en France, nos études, nos auteurs préférés, nos traits d’humour, les recettes et les ingrédients de la cuisine française, etc.
LES PREMIÈRES GÉNÉRATIONS, ET LES SUIVANTES…
Nous fréquentons quelques familles « natives » d’Israël, ou installées depuis longtemps, connues dans notre cadre professionnel ou par l’intermédiaire de nos enfants. Nous avons encore du mal à faire se rencontrer nos amis français et non-français, avant tout pour des raisons de langue.
Il est ainsi possible de ne pas s’intégrer à la société israélienne, en ne fréquentant que des Français, et en trouvant toujours un commerçant ou un enseignant parlant français ou anglais. Nous avons plutôt cherché, en bénéficiant des efforts des pouvoirs publics et de l’ensemble de la population, à poser les bases d’une bonne intégration et à s’assurer que la « deuxième génération » sera totalement israélienne.
Après neuf ans en Israël, nos trois filles se sont épanouies dans un mode de vie plus détendu qu’en France, sont devenues des Israéliennes à part entière, et parfois leurs camarades ne se doutent pas qu’elles parlent français à la maison. C’est là notre principale satisfaction dans le choix que nous avons fait de nous installer en Israël.
Nous, les parents, avons recréé une vie sociale, professionnelle et culturelle gratifiante. L’accueil généreux qui nous a été réservé nous réchauffera le cœur encore longtemps « à la manière d’un feu de bois » comme disait Georges Brassens.
Mais en tant qu’immigrants de première génération, nous resterons toujours des immigrants, marqués par la culture française. Nous resterons dépendants de Google Translate, et nos enfants continueront à corriger nos fautes d’hébreu avec un petit sourire gêné…
Commentaire
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Je ne savais pas qu’il y
Je ne savais pas qu’il y avait tout un processus d’intégration pour ceux qui font qui partent, je suis dans l’immobilier à la Réunion et je connais une famille qui souhaiterai partir et je pense que votre article leur permettra d’appréhender leur arrivée