Mozart en vacances
Comme tous les créateurs majeurs, Mozart est inclassable, ce qui autorise toutes les interprétations, qui vont en général du classique pur et dur style Haydn au romantique style Beethoven. Et chacun de nous a, dans un coin de son cœur (ou de sa tête), ses disquescultes, pour tel concerto, tel opéra, telle symphonie. Aussi, quand arrivent des interprétations qui sortent des sentiers battus, a‑t-on la sensation d’ouvrir la fenêtre et de respirer une grande goulée d’air frais.
Les Sonates pour violon et piano
La belle musique que voilà ! Si vous connaissez mal les Sonates pour violon et piano, ou bien si vous considérez que l’on n’a pas fait mieux depuis Goldberg-Kraus ou Grumiaux-Haskil, courez écouter l’intégrale par Hiro Kurosaki et Linda Nicholson, enregistrée entre 1991 et 1996 et tout juste publiée en France1. La nouveauté réside dans l’enregistrement sur instruments d’époque, et notamment un piano-forte (de 1794).
Et soudain, tout change : légèreté, distanciation, une sorte d’air de ne pas y croire, et voilà Mozart mis à nu, parfois insouciant, parfois amer, mais jamais lyrique ; un jeune homme génial et puéril, comme Rimbaud, hypercréatif, mais qui ne s’appesantit pas sur ses trouvailles, dont certaines sont parfois en avance d’un siècle. Comme le piano-forte est léger, comparé à un piano moderne type Steinway, le violon se fait aérien, évite le vibrato qui prend aux tripes, et le résultat est non une musique de salon incolore (c’était le risque) mais une musique séraphique, fraîche, faite pour l’été.
L’Enlèvement au Sérail
L’Enlèvement est un opéra à part parmi les “ grands ” de Mozart, et un peu bâtard, oscillant entre l’opera seria et l’opera buffa. D’où des interprétations souvent ambiguës, et toujours un peu soulignées, avec force percussions pour accompagner cette quasi-turquerie.
Là aussi, la pondération et la finesse qu’exige la musique baroque apportent un dépoussiérage salutaire, avec un enregistrement inattendu par William Christie et les Arts Florissants, produit par l’Opéra du Rhin, avec six solistes hors pair : Christine Schäffer dans Constanze, Patricia Petibon (soprano léger) dans Blonde, Ian Bostridge dans Belmonte2. L’orchestration de Mozart, faite pour souligner les effets “ farce ”, et qui supporte mal les grandes formations classiques, révèle, grâce aux Arts Florissants, une grande subtilité d’écriture : de la vraie musique viennoise comme on pouvait l’entendre du temps de Joseph II. Et l’on découvre des airs superbes que l’on avait oubliés (on écoute peu L’Enlèvement, en définitive).
Don Giovanni
De tous les opéras de Mozart, le plus commenté, le plus adulé (si bien qu’une sorte de concours un peu ridicule le plaça, il y a quelques années, en tête de toutes les œuvres musicales de tous les temps) est aussi le plus joué. Et si l’on peut varier à l’infini la mise en scène, il n’est pas facile de faire du nouveau avec la musique d’une œuvre aussi intemporelle. Là aussi, alléger était la solution, et jouer la partition orchestrale à mi-chemin entre la musique baroque et la musique contemporaine.
C’est ce qu’a fait Roger Norrington à la tête des London Classical Players3, avec une distribution de solistes très homogène : Andreas Schmidt en Don Juan, Lynne Dawson en Dona Elvire, Amanda Halgrimson en Dona Anna en particulier. C’est très intelligent, très clair, très fort. Ajoutons que la merveille du CD, c’est-à-dire l’accès direct, permet d’entendre au choix la “ version Prague ” ou la “ version Vienne”.
C’est Shakespeare joué par Peter Brook par opposition aux productions classiques et grandioses. Vivent les vacances !
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1. 4 CD ERATO 3984 25489 2.
2. 2 CD ERATO 3984 25490 2.
3. 3 CD VIRGIN 5 61601 2.