Mozart, Schubert, Stravinsky
La Sonate pour deux pianos de Mozart
Variations sur un thème original D.813 pour quatre mains de Schubert
Le Sacre du Printemps, version pour deux pianos de Stravinsky
Ils se connaissent et sont amis depuis la fin des années 1940 à Buenos Aires, alors tous les deux enfants prodiges. Mais, à part quelques concerts (concerto et quatre mains) dans les années 1980, ils ont rarement joué ensemble, alors qu’ils font partie des génies du piano du dernier demi-siècle.
Ce concert que publie Euroarts est donc un événement.
Daniel Barenboïm, pianiste en concert dès sept ans, s’est intéressé très tôt à la direction d’orchestre, nommé à vingt-trois ans à la tête de l’English Chamber Orchestra (avec qui il enregistra, dirigeant depuis le piano, les concertos de Mozart dans la version qui fait encore référence cinquante ans après) et à trente-trois ans à la tête de l’Orchestre de Paris.
Toute sa carrière est une alternance constante du piano et de la direction d’orchestre.
Martha Argerich, elle, ne joue plus en récital depuis plusieurs dizaines d’années, et donc se concentre sur les concertos et la musique de chambre. Elle joue associée aux plus grands autres solistes, Kremer, Maisky, Rabinovitch, Kovacevich, Nelson Freire, etc. Elle est une personnalité clef des festivals de Verbier et de Lugano.
Au-delà du côté exceptionnel de cette soirée, il nous est donné de voir un magnifique spectacle. Commençons par la fin du concert, l’incroyable transcription pour deux pianos du Sacre du printemps, faite par Stravinsky lui-même, et qu’il avait jouée avec son ami Debussy.
La création de l’œuvre originale à Paris en 1913 donna lieu à un des plus grands scandales de la musique, le ballet se termina dans un brouhaha colossal de spectateurs protestant contre le côté sauvage de la musique. Le Sacre est désormais devenu un classique, mais la violence brute, la sauvagerie primaire que Stravinsky voulait susciter sont toujours là.
Et même si rien ne peut remplacer l’impact d’un orchestre au complet pour cette œuvre, il faut reconnaître que la transcription et l’interprétation des deux pianistes d’origine argentine ne gomme rien de la brutalité et de l’invention rythmique de la partition.
Barenboïm, qui a beaucoup dirigé l’œuvre (on se souvient, vraiment, d’un de ses premiers concerts du Sacre, alors qu’il était très jeune chef de l’Orchestre de Paris, il y a quarante ans) avait déjà joué la transcription, mais pas Argerich.
Rendons-nous compte de ce que ce DVD nous permet de voir. Sur une des scènes les plus importantes du monde, la Philharmonie de Berlin, deux Steinway côte à côte joués par deux des pianistes les plus recherchés actuellement, pour une partition extrêmement difficile et impressionnante, nécessitant une complicité et une harmonie rythmique de tous les instants.
Dès l’introduction, le son des pianistes nous saisit, le thème introductif de la nature d’habitude joué au basson est là rendu par un son plein du piano, au toucher magnifique, de Barenboïm. Et on comprend que l’on va être pris, happé, par un flot de musique hypnotique pendant trente-cinq minutes, la force de la musique s’ajoutant à la performance pianistique époustouflante.
Le concert s’était ouvert par la Sonate pour deux pianos en ré de Mozart. Une œuvre agréable que l’on connaît au disque, mais dont l’image permet de comprendre la vraie nature. Les deux instruments se répondent constamment, s’entremêlent, les artistes échangent musicalement en permanence.
Puis c’est le point culminant, selon moi, de ce concert, les Variations sur un thème original de Schubert de 1824. Le piano à quatre mains est plus fusionnel, naturellement, que le jeu à deux pianos. Là, Argerich et Barenboïm sont superbes de connivence, de toucher, d’inventivité.
Ils sont plus proches, se touchent souvent, montrant leur complicité, et permettant une palette de styles et d’atmosphères variés pour les différentes variations, comme c’est nécessaire dans une telle œuvre.
Vraiment un très beau concert.