MUSIQUE EN IMAGES : RIGOLETTO
Les trois opéras qui ont assuré la réputation de Verdi, ses ouvrages les plus célèbres, ont été composés à la même période (1850−1853). La carrière de Verdi est répartie entre les opéras de jeunesse (dont tout de même Nabucco, Macbeth…) et les opéras de la maturité (Don Carlos, Un bal masqué, La Force du destin, Simon Boccanegra, Aïda, puis Otello et Falstaff). Et entre les deux il composa la fameuse trilogie, La Traviata, Le Trouvère et Rigoletto. Ces trois opéras sont d’un style très similaire, faits d’airs et ensembles inoubliables accompagnés simplement par l’orchestre, alternant avec une dramaturgie implacable soulignée par un orchestre plus original.
Le premier des trois a été Rigoletto. Il est une évidence que les drames romantiques de Victor Hugo, qui s’abstraient de la contrainte des unités de lieu et de temps, sont bien adaptés à la transposition en opéras. Après avoir composé Ernani d’après le chef‑d’oeuvre d’Hugo, emblématique du théâtre romantique, Verdi s’est ici inspiré du formidable Le roi s’amuse (pièce jouée puis interdite en 1832, absolument du niveau d’Hernani ou Ruy Blas), transposant la cour de François Ier à la cour du duc de Mantoue. L’intrigue est la même : le souverain libertin est encouragé dans sa débauche par son bouffon (Triboulet, véritable bouffon de François Ier, devient ici Rigoletto). Mais le duc déshonore également la fille du bouffon, qui décide de se venger. Rigoletto, maudit, échouera et perdra sa fille dans la mise en oeuvre manquée de sa vengeance.
Le spectacle filmé en 2001 dans les arènes de Vérone méritait d’être immortalisé. Les arènes de Vérone, le plus grand théâtre romain encore en état (avec le Colisée) est le lieu d’un festival d’opéra depuis 1913. Évidemment ce lieu a des contraintes (espace gigantesque, en plein air, ne facilitant pas l’acoustique, car naturellement rien n’est sonorisé) mais aussi de nombreux avantages. Le cadre tout d’abord, faisant office de décor naturel (comme à Orange), ce qui permet d’avoir des décors supplémentaires très simples, mais aussi la taille de la scène qui permet d’offrir un spectacle visuel impressionnant. Nous avons ainsi, par exemple, plus de soixante danseurs lors du bal qui ouvre l’opéra, les courtisans se répartissant sur scène et une partie des gradins.
En DVD le défaut d’acoustique est parfaitement gommé et l’on profite sans contrepartie d’un impressionnant spectacle sur une scène gigantesque telle que rarement vue à l’opéra (sauf à Bercy ou dans des stades, mais avec sonorisation et une réalisation musicale d’un niveau bien moindre). Ici la performance musicale est du même niveau que sur les meilleures scènes. La Roumaine Inva Mula, découverte en France grâce aux spectacles du regretté Pierre Jourdan au Théâtre impérial de Compiègne, est une Gilda magnifique. Son air « Gualtier Malde » où elle pense à son nouvel amoureux (le duc déguisé, Gaucher Mahiet chez Hugo) est absolument magnifique. Le grand baryton Leo Nucci, ici enregistré en fin de carrière, est très crédible en bouffon mesquin puis éploré. Habitué de ce rôle, il le joue avec des mimiques et mouvements du corps dont nous profitons, mais dont les spectateurs de Vérone n’ont pas dû voir grand-chose. Inva Mula et Nucci ont un magnifique duo où la jeune fille avoue sa honte à son père. Tellement réussi, ce duo a été applaudi longuement et bissé par les deux chanteurs : c’est un signe de qualité qui ne trompe pas, car le bis d’un ensemble est rarissime (on se souvient du sextuor de Lucia di Lammermoor, bissé par Callas et Di Stefano sous la direction de Karajan en 1955, dont le disque est chéri par les collectionneurs). Nous avons été moins convaincus par le duc joué par Aquiles Machado, même si son La Donna è mobile est très réussi. Cet air est la traduction du « Souvent femme varie, bien fol qui s’y fit », cher à François Ier et rappelé par Victor Hugo dans la pièce.
Il y a plusieurs Traviata à conseiller en DVD (la prise de rôle d’A. Gheorghiu avec Solti à Covent Garden chez Decca, le duo torride Netrebko-Villazon chez DG, ou bien le très beau film de Zefirelli). Mais pour Rigoletto, c’est ce spectacle que nous recommandons, sans hésiter.