MUSIQUE ENTRE AMIS
Faire de la musique entre amis : quoi de plus chaleureux ? Mais aussi quel risque de médiocrité, si la qualité des interprètes n’est pas au rendez- vous, ou s’ils ne prennent pas leur musique au sérieux. Aussi, ce qu’il y a de mieux, c’est de la musique jouée par des musiciens rigoureux et généreux comme s’ils jouaient pour des amis.
Café Zimmermann
On sait qu’à l’époque de Bach il n’existait pas de salles de concert ni d’orchestres permanents en dehors des cours : des orchestres de fortune, constitués essentiellement d’étudiants, jouaient notamment dans des cafés, pour les consommateurs. Ainsi, lorsque sa production contractuelle de cantates pour les églises de Leipzig lui en laissait le temps, Bach réunissait son collegium musicum au Café Zimmermann. En douze ans, il donna ainsi plus de 600 concerts. C’est en souvenir de cette époque qu’un ensemble, dénommé précisément Café Zimmermann, a enregistré quatre pièces que Bach1 a sans doute données avec son collegium : l’Ouverture (Suite) n° 3 en ré majeur, le 6e Concerto brandebourgeois, le Concerto pour trois clavecins, et le Concerto pour clavecin en fa majeur, à l’ineffable mouvement lent (qui joue un rôle central, vous vous en souvenez sans doute, dans le film Hannah et ses soeurs de Woody Allen). Musiques à la fois claires et jubilatoires, rigoureuses mais rien moins que compassées, comme le bon vivant Bach aimait sans doute à les diriger. Un bon point : la célébrissime aria de la Suite en ré est jouée andante à la différence de tant d’interprétations adagio larmoyantes.
Ferdinand Ries (1784−1838)
Une découverte comme on n’en fait pas deux par an : Ries, pianiste rhénan, est un compositeur oublié et pourtant majeur des débuts du Romantisme, dont l’ensemble Oxalys a enregistré les six Quatuors avec flûte2. Ries se souvient de Beethoven – qui a été son maître – et aussi de Mozart et Haydn, et il écrit une musique merveilleusement mélodique, très travaillée, superbement écrite, d’une époque dorée où il n’était pas nécessaire d’inventer un langage ni même un style nouveau pour faire oeuvre nouvelle. Courez, toutes affaires cessantes, écouter les Quatuors avec flûte de Ries et prenez‑y un plaisir sans mélange.
Musique russe à Giverny
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Le Festival de Giverny réunit chaque année des chambristes confirmés et juniors autour d’un thème, ici la musique russe. L’originalité de ce millésime (2008) est dans le choix des oeuvres : à côté de l’archiconnu mais délicieux 2e Quatuor de Borodine figurent Trois pièces pour quatuor à cordes de Stravinski, trois Mélodies pour soprano de Rachmaninov et, surtout, une transcription pour orchestre à cordes du 8e Quatuor de Chostakovitch3. Ce 8e Quatuor est sans doute le plus fort du compositeur, musique poignante que l’on ne peut pas écouter les yeux secs. Son caractère dramatique, désespéré, bouleversant, pousse en général les formations de quatuors à leurs limites et trouve – ce qui n’est pas usuel – son équilibre et son apogée dans cette transcription, due, il est vrai, à Rudolf Barchaï.
François de Larrard – Zoo
Les amateurs de jazz connaissent bien notre camarade François de Larrard, pianiste jazzman professionnel. Sous le titre Zoo4, il nous propose, dans son dernier disque, un parcours complexe et ambitieux : « Une suite en pointillé, sur le thème de la captivité. Chaque morceau de la suite est structuré par un ostinato de main gauche, sorte de cage dans laquelle un animal tourne en rond. La main droite exprime les désirs…» Entre deux « cages », des échappées plus libres, un peu secrètes, comme Rose fait des courses ou Mayo.
À l’intérieur du prétexte de ce scénario- ligne directrice, François de Larrard crée un langage musical jazzique nouveau, qui évoque parfois Bartok, Debussy, Monk, Bill Evans, mais qui est tout à fait personnel. Ce langage se distingue par la rigueur de la forme qui encadre l’improvisation, une clarté totale servie par une technique parfaite, une certaine austérité harmonique qui ne se laisse jamais aller à la facilité, enfin une maîtrise permanente du jeu, un sens de la mesure qui sont la marque de François de Larrard, et qui en font l’un des grands du jazz français contemporain, dans la lignée… de Couperin, dont la pratique l’a certainement aidé à acquérir cette manière. La musique de François de Larrard n’est pas d’accès facile – elle se mérite – mais l’effort de l’auditeur est récompensé.
Un grand disque.
1. 1 CD ALPHA
2. 2 CD FUGA LIBERA
3. 1 CD HYBRID’MUSIC
4. 1 CD YOLK