Musique et cinéma
Non, il ne s’agit pas de la musique qui accompagne les films, mais de celle qui est mise en scène par le cinéma, qui est jouée ou censée l’être par des comédiens, et qui souvent est mimée sans le moindre souci de vraisemblance, sans la moindre considération pour les spectateurs qui (rien n’est impossible) auraient une petite idée de la manière dont on joue d’un instrument.
L’idée m’en a été suggérée par la chronique de Jean Salmona du numéro de mars qui cite le compositeur du XVIIe siècle Marin Marais, révélé au grand public par le film Tous les Matins du Monde. Film de qualité, certes, mais dont l’interprète principal, Jean-Pierre Marielle, excellent par ailleurs, joue de la viole comme il tiendrait une masse d’armes, une raquette de tennis ou la barre d’appui d’un autobus, sans même chercher à faire semblant.
Quelle importance diront certains ? La réponse est simplement que les spectateurs mélomanes ont le sentiment qu’on se moque d’eux, et c’est dommage.
Jean-Pierre Marielle est loin d’être le seul dans son cas.
De nombreux films, notamment américains, se font un devoir, une figure imposée, de mettre leur vedette au piano. Elle est alors filmée en plan américain, ou les mains cachées derrière l’instrument, et elle se dandine suavement d’une fesse sur l’autre comme si elle cherchait à évacuer une flatulence sans attirer l’attention, les yeux innocemment tournés vers le plafond pour égarer les soupçons. Dans les écoles de théâtre où l’on apprend à simuler tout et n’importe quoi, n’enseigne-t-on donc pas aux comédiens à faire semblant de jouer d’un instrument de musique ?
Le phénomène est si général que je tiens à citer trois exceptions qui me viennent à l’esprit. La plus récente, actuellement visible dans les salles, est, dans le film de Danièle Thompson, Fauteuil d’Orchestre, la prestation d’Albert Dupontel qui joue le rôle du pianiste. Conseillé et doublé par François-René Duchâble, il a pris soin d’apprendre le piano, oh ! peut-être pas pour devenir un concertiste, mais assez pour être crédible à l’écran. Et c’est très bien.
Un autre exemple est celui de Richard Berry dans Le Joueur de Violon, un merveilleux film dont j’ai oublié l’auteur, mettant en scène un violoniste prix du Conservatoire de Paris qui, à la suite de déceptions professionnelles et mû par un certain mépris de la société, ne joue plus que dans les couloirs du métro, jusqu’au jour où des voyous l’agressent et brisent son violon. Histoire inventée par le compositeur et musicologue André Hodeir dans son roman Musikant (Éditions du Seuil), et dont Richard Berry, doublé par Gidon Kremer (excusez du peu), est l’interprète émouvant, criant de vérité.
Enfin, James Stewart, dans The Glenn Miller Story, un film des années 50 ou 60, a attrapé tous les tics du tromboniste, le petit mouvement de la langue et des lèvres qui précède le contact avec l’embouchure, le petit aller et retour de la coulisse intervenant entre les phrases musicales, le geste d’évacuer l’eau de condensation du tube, tous ces petits détails qui font qu’il EST véritablement Glenn Miller. C’est un régal.
Je m’étonne simplement, et je regrette, que cette conscience professionnelle ne soit pas plus répandue chez les comédiens.