Musiques consolatrices pour les temps de pandémie
Il faut s’appliquer à se consoler, au lieu de se jeter au malheur comme au gouffre. Et ceux qui s’y appliqueront de bonne foi seront bien plus vite consolés qu’ils ne pensent.
Alain, Propos sur le bonheur
Que l’on se confine par nécessité ou par précaution, quelle plus belle consolation – et plus efficace aussi – que la musique ? Non pour se replier sur soi mais pour s’élever et s’ouvrir au monde en faisant fi des contingences du moment.
Bach par Piotr Anderszewski
22 avril 1723. Bach est élu cantor à contrecœur par le conseil municipal de Leipzig ; le conseiller Platz note : « Puisque nous n’avons pu obtenir le meilleur (Telemann), nous devrons nous contenter d’un médiocre. » Deux ans auparavant, à Köthen, Bach avait élaboré le premier livre du Clavier bien tempéré, 24 préludes et fugues dans les douze demi-tons de la gamme tempérée, en mineur et en majeur, à l’usage de ses étudiants, partition restée manuscrite et jamais éditée de son vivant. Vingt ans plus tard, Bach compose le livre II du Wohltemperierte Klavier selon le même principe (24 préludes et fugues), moins austère, plus subtil que le livre I et inspiré du style galant en vogue en Europe, et le fait éditer. Le but est toujours pédagogique. Bach ne se doutait sans doute pas que, trois siècles plus tard, ces 48 préludes et fugues seraient le graal de tout pianiste.
Piotr Anderszewski, dont les interprétations de Bach ont marqué l’édition musicale, a noté que la juxtaposition des préludes et fugues dans l’ordre croissant des demi-tons (ut majeur, ut mineur, ut dièse majeur, etc.) correspondait à un choix pratique mais non artistique ; il a sélectionné 12 des 24 Préludes et fugues du livre II qu’il joue dans un ordre purement subjectif, rapprochant les pièces non par leur tonalité mais par leur état d’esprit tel qu’il le perçoit. Il s’ensuit une aventure musicale délectable, une véritable recréation fidèle à la lettre et à l’esprit de Bach ; recréation d’autant plus intéressante qu’il joue sur un grand piano d’aujourd’hui en faisant parfois usage de la pédale forte évidemment inconnue de Bach, et avec un toucher que seuls approchent, dans Bach, Richter, Perahia, Beatrice Rana. Un grand disque.
1 CD WARNER
Prokofiev avec Nicholas Angelich
Prokofiev, exilé en ‑Occident après 1917 puis retourné en Russie en 1936, fut ensuite déclaré par l’infâme Jdanov « ennemi du peuple ‑soviétique » pour « – perversion formaliste ». Pendant les années de guerre, il écrit les « Sonates de guerre » dont la 8e est jouée par Nicholas Angelich sur le disque récent consacré à Prokofiev. On connaît bien Angelich, dont la qualité – il est un des tout premiers de la scène mondiale – n’a d’égale que sa gentillesse et sa modestie.
Il a fait le choix dans la musique de Prokofiev de pièces qui s’inscrivent dans la tradition postromantique et où la finesse du toucher compte plus que la vigueur de la percussion. Les 20 Visions fugitives, debussystes dans leur esprit, donnent de Prokofiev une image très différente de celle que véhiculent, par exemple, les 5 Concertos pour piano. Enfin, les quatre extraits de la suite Roméo et Juliette – écrite pour le piano avant d’être orchestrée pour le ballet – témoignent de l’extraordinaire diversité créatrice de ‑Prokofiev, qui aura réussi à innover sans cesse tout en restant strictement fidèle aux canons de la musique tonale.
1 CD ERATO
François Mayer (X 45) et les Dixieland Seniors
Des multiples facettes de la personnalité de notre camarade François Mayer, industriel et écrivain, celle de jazzman n’est pas la moins extraordinaire. En 1946, il crée avec des camarades de promo un ensemble –Nouvelle-Orléans. Soixante-quinze ans plus tard, François continue à animer cet ensemble, rebaptisé Dixieland Seniors, dont il tient toujours la partie de trombone et qui a évolué dans sa composition : cornet, clarinette, tuba, piano, banjo, batterie.
Leur dernier enregistrement présente, aux côtés de standards comme Jazz Me Blues, Willie The Weeper, Royal Garden Blues, des pépites plus rares comme Panama ou Martinique. La joie de vivre qui se dégage de cette musique est, en cette période difficile, la meilleure des consolations. écoutez les Dixieland Seniors en attendant de pouvoir les entendre à nouveau dans leur fief du Petit Journal Saint-Michel.
1 CD DIXIE 05