MUSIQUES FRANÇAISES
Villon, poète et truand, dédie sa Ballade aux femmes de Paris et ne dit rien de la musique de la France d’alors qui, il est vrai, n’avait pas encore connu au XVe siècle les raffinements de la Renaissance et des époques à venir. Mais au diable la diplomatie et vive le chauvinisme : y a‑t-il, depuis Rameau et Couperin, musique à la fois plus subtile, plus légère et plus jubilatoire que la musique française ? Et si Mozart, toujours subtil, est souvent léger et jubilatoire, n’est-ce pas à Paris plus qu’à Vienne qu’il le doit ?
Poulenc, Fauré, Debussy
Quelle musique est plus jolie que celle de Poulenc, véritable musique de printemps ? Les bonnes âmes de la musique contemporaine font la fine bouche devant ce compositeur raffiné et mondain mais rien moins qu’intellectuel, qui vise le plaisir avant toute chose. Et notre regretté camarade Claude Helffer, superbe pianiste, refusa de jouer le Concerto pour deux pianos salle Pleyel pour le bicentenaire de l’X : vous savez, nous dit-il, que Poulenc n’est pas ma tasse de thé.
C’est précisément ce même concerto qu’ont enregistré Jos Van Immerseel et Claire Chevallier avec l’Anima Eterna Brugge1. Ce n’est pas un concerto très orthodoxe, avec des thèmes échappés du music-hall, des citations de Stravinski, des réminiscences de Mozart, mais c’est sans doute le plus joyeux et le plus joli que l’on puisse entendre. La Suite française, qui figure sur le même disque, écrite pour bois, cuivres, clavecin et percussions, est un hommage à la musique française du XVIe siècle. Le Concert champêtre pour clavecin et orchestre, créé en 1929 par Wanda Landowska, est un clin d’oeil au XVIIIe siècle et une petite merveille de légèreté. « Ce concerto », a dit Poulenc, « est champêtre selon Diderot et Rousseau ». L’andante est une des plus jolies choses que Poulenc ait écrites.
C’est encore Poulenc qui ouvre le disque récent Impressions françaises de la grande – et belle – flûtiste Juliette Hurel avec sa Sonate pour flûte et piano, jouée avec la pianiste Hélène Couvert2 : musique fine de plaisir pur, à la fois virtuose et sensuelle, et que vous chantonnerez longtemps après l’avoir entendue.
Elle est rigoureusement dans la ligne de la Sonate pour flûte, alto et harpe de Debussy, qui lui est antérieure de cinquante ans et qui est formellement plus exigeante. Enfin, des pièces de moindres dimensions de Fauré, dont la Sicilienne et une très belle et peu connue Fantaisie pour flûte et piano, et de Debussy, dont Syrinx, figurent sur le même disque.
Rameau, Fonscolombe, Cavanna
Notre camarade Jean-Pierre Ferey a enregistré il y a peu cinq Suites et extraits de Suites de Rameau3.
L’originalité de son interprétation tient à son choix du piano de préférence au clavecin – un Fazioli au timbre d’une extraordinaire clarté dont il joue comme d’un clavecin, sans jamais utiliser la pédale forte – et à son souci de jouer tous les ornements, ce qui est rare au piano. Le résultat est une musique parfaitement déliée et enlevée, qui rappelle les Sonates de Scarlatti.
On redécouvre Emmanuel de Fonscolombe (1810−1875), aristocrate et musicien provençal, qui s’est illustré par sa musique d’église, avec un enregistrement de son allègre Messe brève4 pour quatre solistes et orgue. Peu nous chaut qu’il ait été l’arrière-grand-père de Saint-Exupéry.
En revanche, on apprécie sa musique carrée et bien construite, témoignage d’une époque où un homme bien né, qui vivait de ses terres en province, pouvait en même temps être maître de chapelle dans une église et consacrer une partie de son temps à la composition.
On terminera par Bernard Cavanna, compositeur français d’aujourd’hui, dont la musique est présentée sur un disque récent : Shanghai Concerto, Trois strophes sur le nom de Patrice Lumumba et Karl Koop Concert5. Décrire cette musique avec ses répétitions et ses emprunts est une gageure. Le parti pris est de surprendre et de naviguer à la limite du canular : le titre exact de Karl Koop Concert est Comédie pompière, sociale et réaliste pour accordéon et orchestre. On se souvient que Satie lui-même s’est ingénié à affecter à ses pièces pour piano des titres provocateurs. Mais Cavanna est novateur, et sa musique suffisamment légère et subtile, voire parfois jubilatoire – on pourrait dire une musique de khômiss – pour lui faire pardonner une volonté apparente de choquer l’auditeur bourgeois.
1. 1 CD ZIG ZAG.
2. 1 CD ZIG ZAG.
3. 1 CD SKARBO.
4. 1 CD VOL.
5. 1 CD AEON.