Musiques jubilatoires
« Qu’importe le bonheur quand on n’a point la joie ! »
Jules Renard, Journal (2 décembre 1895)
Vous êtes dans un club de jazz et vous écoutez un ensemble comme les Dixieland Seniors de notre camarade François Mayer dérouler un standard New Orleans. Vous battez la mesure, vous riez, vous êtes pris par le rythme : au-delà du plaisir, c’est la joie qui vous envahit. Cette joie, vous pouvez l’éprouver aussi à l’écoute de Bach – un Concerto brandebourgeois ou une Passion – mais non avec Chopin, par exemple. Voici deux disques… joyeux.
Take 3
Francis Poulenc, pourtant émule de Stravinski et de Schoenberg, a choisi délibérément de produire le plus souvent possible de la musique qui suscite, chez l’auditeur, le plaisir et même la joie. Écoutez la musique de scène pour L’Invitation au château d’Anouilh avec des mouvements notés, par exemple, « follement vite et gai », « très vite et très canaille » ; écoutez aussi sa Bagatelle pour violon et piano et sa Sonate pour clarinette.
Ces pièces figurent, sous le titre de Take 3, dans un enregistrement récent avec le Trio pour clarinette, violon et piano de Paul Schoenfield, le Burlesque pour violon et piano et les Contrastes pour violon, clarinette et piano de Bartók (Contrastes commandés par Benny Goodman et quelque peu jazziques) par trois interprètes hors du commun, réunis par… la joie de jouer ensemble : Patricia Kopatchinskaja, violon, Reto Bieri, clarinette, Polina Leschenko, piano.
Le disque se clôt par une Klezmer Dance endiablée, époustouflante, de Șerban Nichifor (un violon supplémentaire et une contrebasse se joignent au trio). Une petite merveille.
Mozart – Concertos pour violon
L’année 1775 voit Mozart composer cinq Concertos pour violon, les seuls qu’il écrira jamais (malgré des tentatives ultérieures inachevées), lesquels respirent la joie de vivre. Et pourtant cette année-là la vie n’est pas facile pour lui, auprès du sinistre Colloredo, prince-archevêque de Salzbourg, dont il est l’employé, presque le domestique.
Renaud Capuçon a enregistré les cinq Concertos avec l’Orchestre de chambre de Lausanne, qu’il dirige. Les deux premiers sont du style galant en vigueur au XVIIIe siècle. Les trois autres sont beaucoup plus personnels, originaux ; le 5e Concerto domine l’ensemble, avec une « turquerie » inattendue et une fin qui est sans doute la plus belle que Mozart ait jamais écrite : quatre notes à l’unisson avec l’orchestre, piano. Le violon se retire sur la pointe des pieds.
Mozart a écrit bien des musiques joyeuses, dans ses opéras notamment. Ces cinq Concertos constituent un recueil à part, marqué par l’élégance et la joie non débridée mais sereine.
Renaud Capuçon est l’interprète rêvé pour cette musique ineffable.
En ces temps troublés puissent ces musiques vous apporter un peu de joie !