Musiques jubilatoires pour un été à venir
Chabrier
Chabrier
L’on éprouve parfois le besoin irrésistible de renoncer à toute lecture sérieuse, y compris celle du journal du soir, pour lire Pierre Dac, Alphonse Allais ou San Antonio ; de même il est des moments où il nous faut une musique qui nous détende et nous divertisse, ou plus précisément nous amuse. Et si nous gardons en toute circonstance cette exigence qui fait que nous ne saurions nous résoudre, quoi qu’il arrive, à écouter une musique que nous pourrions mépriser, alors la solution est toute trouvée : Chabrier.
Cet autodidacte, anti-académiste, est le type même du musicien à la fois truculent et subtil, populaire et raffiné, que l’on jouerait aussi bien dans un kiosque à musique que dans une salle de concert, qui fait le bonheur d’une fanfare municipale comme celui d’une société de musique. Et pourtant ce contemporain de Brahms a influencé aussi bien Ravel et Debussy que Poulenc. C’est que pour cet Auvergnat, lui-même personnage hénaurme, la musique était un élément de la simple joie de vivre, inséparable de la tendresse et de l’humour.
Michel Plasson et l’Orchestre du Capitole de Toulouse ont enregistré quelques-unes des œuvres les plus caractéristiques de Chabrier, les unes populaires et bien connues comme España, Bourrée fantasque, Joyeuse Marche, les autres rares comme À la Musique ou le Larghetto pour cor et orchestre1. Un peu comme un film de Frank Capra, un remède infaillible contre la morosité ou simplement le vague à l’âme, à écouter avec une tartine beurrée, du saucisson, et un vin rouge sympathique et franc.
Samson François
Oui, Samson François peut lui aussi générer la joie au premier degré, lorsqu’il joue de manière enlevée, sans rubato, sans romantisme, des œuvres propres à susciter l’enthousiasme, comme le Troisième et le Cinquième Concerto de Prokofiev, les deux Concertos de Liszt, et même le Concerto de Schumann, enregistrés en 1959 et 1963 avec l’Orchestre National et le Philharmonia2. Les deux Concertos de Liszt sont joués comme ce qu’ils sont, des œuvres héroïques, faites pour mettre en valeur la virtuosité de l’interprète, mais non dépourvues de recherche… et de trouvailles.
Les concertos de Prokofiev sont d’une autre eau, deux archétypes de la “ Nouvelle simplicité ”, dont l’un, le Troisième, est un des grands concertos du XXe siècle : thèmes superbes, chantants, piano à la fois percutant et lyrique, orchestration très fine ; Samson François le joue mieux que quiconque, y compris Martha Argerich, et lui confère ce caractère de joie dure et résolue qui nous transporte.
Quant au Concerto de Schumann, c’est le concerto romantique par excellence, d’abord sombre et fiévreux et qui se termine dans la joie. Samson François, qui apparemment l’aimait avec réserve, l’expédie avec panache sur un tempo inhabituellement rapide. Du coup, c’est un autre concerto, brillant, enlevé, joyeux d’un bout à l’autre.
Deux disques de Skarbo
À l’heure où l’édition discographique fait l’objet, comme toutes les industries “du contenu”, de concentrations à l’échelle mondiale, la persévérance de notre camarade Jean-Pierre Ferey qui, à la tête de Skarbo, est un des derniers éditeurs français et indépendants, mérite un grand coup de chapeau. D’autant qu’il persiste à avancer hors des sentiers battus, comme en témoignent les deux derniers disques de Skarbo : les deux Quatuors de Jean Martinon3, par le Quatuor Ravel, et Flûte Panorama, un florilège de pièces pour flûte seule par Michel Debost4.
Jean Martinon est surtout connu comme l’un des grands chefs français de l’après-guerre. Son Quatuor n° 1 est une œuvre singulière et magnifique, polytonale plus qu’atonale, assez dans l’esprit des quatuors de Bartok et de ceux de Chostakovitch. Le second est dodécaphonique, d’un abord plus difficile, mais non sans charme.
Michel Debost, un des très grands flûtistes français avec Jean-Pierre Rampal et Maxence Larrieu, joue un très joli choix d’œuvres françaises – Debussy, Honegger, Ibert, Koechlin, Jolivet, Ohana, et aussi Ferroud et Bozza, tous les deux beaucoup moins connus – qui toutes ont un élément en commun : elles sont, au sens propre du terme, jubilatoires.
Bien sûr, la flûte, au timbre chaud et évocateur (agreste, antique, etc.), et le jeu clair de Michel Debost, y sont pour beaucoup. Mais aussi, des compositeurs aussi différents que Debussy et Honegger ont clairement confié à la flûte des œuvres qui ne témoignaient ni de leur inquiétude métaphysique ni de leur mal-être. Et nous prenons, à entendre ces œuvres, autant de plaisir qu’ils ont dû en éprouver à les composer.
Vive la flûte !
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1. 2 CD EMI 5 74336 2.
2. 2 CD EMI 5 74324 2.
3. 1 CD SKARBO SK 4002.
4. 1 CD SKARBO SK 1993.