Musiques oubliées
Plusieurs raisons peuvent expliquer pourquoi une musique tombe dans l’oubli. Le goût du public a changé, les interprètes ne s’y intéressent plus, les éditeurs ne publient plus les partitions – raisons qui peuvent se cumuler bien entendu. Il peut y avoir aussi une politique délibérée de jeter aux oubliettes certaines musiques afin de promouvoir des musiques nouvelles, comme cela fut le cas lorsque Pierre Boulez régnait sur l’establishment musical : on se souvient aujourd’hui de Jean Rivier, Jacques Ibert, Jean Françaix, Jean-Michel Damase, André Jolivet et bien d’autres, effacés pendant des décennies comme, du temps de Staline, disparaissaient des photos officielles ceux qui n’étaient plus en cour auprès du Comité central. Et la « valeur » objective des musiques oubliées n’est pas toujours en cause : Mendelssohn a tiré de l’oubli (relatif) les Cantates et Passions de Bach…
Dans les jeunes herbes
le saule
oublie ses racines
Yosa Buson, Haiku
Quatuors pour trois instruments
L’oubli s’explique aussi par des raisons techniques. Au XIXe siècle, en l’absence de moyens de reproduction du son, chaque famille était dotée d’un piano, tandis que fleurissaient les transcriptions des symphonies de Beethoven, des opéras de Meyerbeer, etc. Ainsi fit florès la formation piano à quatre mains – violon – violoncelle que tirent de l’oubli Antoine Mourlas, Mary Olivon, Hector Burgan et Cyrielle Golin en enregistrant quatre pièces en première mondiale : deux Quatuors mondains de Hermann Berens, une très jolie Sérénade de printemps de Ferdinand Hummel et une transcription de l’ouverture de Ruy Blas de Mendelssohn. Musiques de salon d’une époque où l’on se réunissait le dimanche, en famille, entre amis, pour le plaisir de faire de la musique.
Respighi
Ottorino Respighi (1879−1936) aura été le pape italien de la musique tonale au XXe siècle. Contrairement à Ravel et Debussy, pas d’innovations harmoniques mais des recherches de timbres inédits grâce à une orchestration très travaillée, avec un sort particulier fait aux percussions et aux vents. On connaît les blue chips, les Fontaines de Rome, les Pins de Rome, agréable musique à programme. Mais on découvre, grâce à un enregistrement du London Philharmonic Orchestra dirigé par Alessandro Crudele, la suite Belkis, regina di Saba. Plus ambitieuse que les pages les plus connues, Belkis révèle une capacité inventive sans doute inspirée par Ravel (Daphnis et Chloé) et Stravinski (Le Sacre) à laquelle on ne s’attendait pas chez Respighi. Sur le même disque, les Pins de Rome et Impressioni brasiliane.
Brahms, sextuors
Les deux Sextuors à cordes de Brahms, œuvres de jeunesse, ont été tirés de l’oubli en 1952 par Pablo Casals qui en a laissé un enregistrement de légende avec Isaac Stern, puis par Louis Malle qui a choisi l’andante du Sextuor n° 1 pour son film Les Amants (1958). En réalité, il s’agit bien de deux pièces majeures, charnues, d’une belle complexité, dont seule la rareté de la formation sextuor peut justifier le relatif oubli dans lequel elles se trouvent, hormis quelques concerts dans des festivals (Festival de Pâques à Aix par exemple). Courez les écouter toutes affaires cessantes dans le bel enregistrement qu’en donnent le Quatuor Belcea avec Tabea Zimmermann, alto, et Jean-Guihen Queyras, violoncelle : ce que Brahms a écrit de
plus sincère, de plus fort, en attendant le Quintette avec clarinette. Une consolation, un refuge, une aide à l’oubli en ces temps difficiles.