Musiques rares
Baroques
De Giovanni Battista Fontana, mort à Padoue vers 1630 à près de 40 ans, on ne connaît rien d’autre que ses Sonates, enregistrées par l’Ensemble Almageste, qui les joue sur instruments d’époque1 (violon baroque, fagotto, serpent, théorbe, etc.). Ce qui pourrait n’être que l’exhumation d’un nième compositeur justement oublié est en fait un petit joyau. Fontana bâtit non des danses, comme tout le monde à l’époque, mais, à partir de mélodies héritées du chant grégorien, des pièces abstraites qui sont une transition entre la musique de la Renaissance et celle, un siècle plus tard, de Bach.
Avec le Tombeau pour M. de Sainte-Colombe et autres portraits, on est en terrain plus connu : Sainte-Colombe nous a été révélé naguère par le film Tous les matins du monde. Le genre du portrait, à la mode dès le XVIIe siècle en peinture et en littérature, a fait florès aussi en musique ; l’Ensemble Spirale présente ainsi, à côté des Tombeaux de Marin Marais (pour M. de Sainte-Colombe, pour M. de Lully), des « portraits » comme La Couperin, de Forqueray, et même des portraits croisés : La Forqueray de Rameau, et La Rameau de Forqueray2. Musiques subtiles, et qui, sous une apparence mondaine, vont bien au-delà du propos.
Pierre Danican Philidor (1681−1731) était hautboïste à l’Écurie puis à la Chambre du roi Louis XIV. L’Assemblée des Honnestes Curieux a enregistré cinq Suites pour un ou deux hautbois et basse continue3, pièces qui portent clairement la marque du style Lully, c’est-à-dire du goût de Louis XIV, montrant ainsi comment un monarque, dont les musiciens étaient pensionnés à vie par lui, décidait d’un style de musique qui, de ce fait, devenait celui de son époque.
Romantiques et autres Français
Un siècle plus tard, un autre Versaillais, Boëly, issu d’une lignée de musiciens du roi, né avant la Révolution et mort sous le Second Empire, compose une musique de piano qui n’a rien à envier à Schumann ou Mendelssohn, ni même à Beethoven pour les Sonates, et qui est restée quasi ignorée jusqu’à l’enregistrement récent d’une douzaine de pièces4. Sonates, Caprices, Études, et aussi des pièces comme l’ébouriffante Gigue op. 54, le Moderato op. 50 digne de Brahms, sont non d’un petit maître mais d’un compositeur majeur, un maître français du piano, injustement occulté par ses contemporains d’outre-Rhin, à découvrir toutes affaires cessantes, avec un coup de chapeau, au passage, pour l’interprète, la regrettée Jacqueline Robin, précise, sensible, schumannienne, parfaite sur son Bösendorfer, et à la prise de son, remarquable.
Si vous aimez Saint-Ex (qui ne l’aime ?), vous vous intéresserez peut-être à son ascendance, et donc à son arrière-grand-père, l’Aixois Emmanuel de Fonscolombe (1810−1875), juriste et compositeur. Un disque récent présente des mélodies et duos pour soprano et baryton (Anna-Maria Panzarella et Mario Hacquard), avec piano et violoncelle, et quelques pièces religieuses5. Musique agréable, dans le goût des salons de l’époque, qui rappelle parfois Berlioz et, pour les pièces religieuses, Rossini, et qui donne une bonne idée de ce que l’on écoutait, en Provence, au cœur du XIXe siècle.
Last but not least, un disque récent est consacré à la musique de chambre de Raphaël Fumet, compositeur hors école du XXe siècle : deux Quatuors pour bois, un Quintette à vents, par des solistes de l’Orchestre National, et le Quatuor à cordes, par le Nouveau Quatuor de Saint-Pétersbourg6. C’est de la belle, de la merveilleuse musique que nous offre cet ami de Soutine et Modigliani, une musique raffinée, sensuelle, aux harmonies exquises, dans la lignée à la fois de Debussy-Ravel et de Milhaud-Auric mais très personnelle. Et l’on se prend à rêver de ce qu’aurait été la musique française de la deuxième moitié du xxe siècle si les ayatollahs de la musique sérielle n’avaient pas jeté sur la musique tonale, pendant près de cinquante ans, une chape de plomb.
1. 1 CD ARION
2. 1 CD ZIG ZAG
3. 1 CD ZIG ZAG
4. 2 CD ARION
5. 1 CD HYBRID MUSIC
6. 1 CD Musique et Esprit