Nanosciences et nanotechnologies
Les nanostructures, objets dont les dimensions caractéristiques dans une ou plusieurs directions de l’espace sont de l’ordre de quelques nanomètres, ne sont pas uniquement artificielles ou le fruit de techniques nouvelles : la nature nous en donne de nombreux exemples, comme la structure des ailes de papillons, et l’homme en utilise depuis l’antiquité, des fards égyptiens aux nanocristaux colorant certains verres.
Les vingt dernières années ont toutefois vu des avancées extraordinaires dans les domaines de leur élaboration, de leur observation et de l’étude de leurs propriétés. Puits ou boîtes quantiques de semi-conducteurs et nanotubes de carbone sont une bonne illustration de ce que sont ces objets : leurs propriétés ne se résument ni à celle des matériaux massifs, ni à celle des atomes qui les constituent, et leurs spécificités n’apparaissent que pour des dimensions intermédiaires de quelques nanomètres. Cette échelle est évidemment liée aux grandeurs caractéristiques importantes qui sont de cet ordre de grandeur : longueur d’onde thermique de De Broglie pour un électron de conduction dans un métal ou un semi-conducteur, longueur d’onde de la lumière visible dans un diélectrique, etc. Elle l’est également lorsqu’on cherche à disposer de sonde pour des mécanismes à cette échelle, par exemple suivre le trajet intracellulaire de molécules biologiques, détecter des sites de perméabilité membranaire, etc.
Surface de matériau organique (TTFTCNQ) à 63K observée en microscopie tunnel. On y observe clairement les chaînes unidimensionnelles (verticales sur l’image) qui confèrent à ce matériau des propriétés de transport unidimensionnelles
De ces avancées, qui ont ou auront des impacts forts dans tous les domaines des sciences et techniques, est né un nouveau champ interdisciplinaire, celui des nanosciences et nanotechnologies. La plupart des pays industrialisés, des USA au Japon, mais aussi l’Union européenne ont placé ce domaine émergent au rang de priorité tant ses potentialités sont de nature à déboucher sur de nouvelles découvertes scientifiques comme à induire des techniques et produits révolutionnant leurs économies mais aussi, in fine, notre mode de vie. Si la discipline à l’honneur dans cette année mondiale de la physique en a été le principal moteur, les domaines de la chimie et de la biologie en sont également à la fois des acteurs et des bénéficiaires.
Désormais entrées dans notre quotidien, du transistor qui amplifie le signal hyperfréquence de nos téléphones portables au laser qui permet de lire et d’écrire disques compacts et DVD, aux têtes de lecture des disques durs de nos ordinateurs, les nanosciences ont aussi débouché sur leur lot de découvertes fondamentales : effet Hall quantique entier et fractionnaire, magnétorésistance géante… Les perspectives ouvertes sont multiples et les enjeux potentiellement colossaux, les questions ouvertes nombreuses.
Comme souvent, ces avancées ont été tirées par des inventions techniques mais aussi par des évolutions liées aux applications à impact économique fort comme la microélectronique ou les télécommunications. Les paragraphes qui suivent tentent d’illustrer les différents grands domaines investis progressivement par les nanosciences et nanotechnologies.
Les outils pour travailler à l’échelle du nanomètre
Structure de type transistor à nanotube de carbone : le courant passant dans le nanotube entre les deux contacts de gauche et de droite est modulé par la grille centrale déposée sur le nanotube.
Une première évolution forte a été amenée par la mise au point, à partir des années 1970, de techniques d’élaboration de couches minces avec un contrôle nanométrique des épaisseurs déposées : hétérostructures de semi-conducteurs ou métalliques sont nées de la mise au point, entre autres, de l’épitaxie par jets moléculaires ou à partir d’organométalliques. Les physiciens et les ingénieurs ont pu, ainsi, concevoir des empilements de matériaux où sont contrôlés ou exploités les effets quantiques se manifestant à cette échelle, et construire, à la demande, des hétérostructures aux propriétés dessinées à la demande (mais qui ont quelquefois réservé des surprises… comme l’effet Hall quantique).
La deuxième révolution, fruit de l’obstination de quelques chercheurs, sous le regard il faut bien le dire incrédule de leurs pairs, a été la mise au point des microscopies » à pointe « , au premier rang desquelles la microscopie tunnel, qui permet d’établir sur une surface la cartographie de la densité électronique, avec une résolution subnanométrique. Ses différentes déclinaisons : microscopie à force atomique, à force magnétique ou électrostatique, microscopie à champ proche optique sont devenues autant d’outils pour scruter et manipuler la matière à l’échelle nanométrique. Ces outils, disponibles dans de nombreux laboratoires, ont souvent aussi permis d’apporter un éclairage nouveau, à l’échelle microscopique, sur des observations anciennes à l’échelle macroscopique.
D’autres évolutions importantes concernent les outils plus traditionnels. En microscopie électronique, on est en passe d’atteindre (grâce à des techniques de correction des aberrations) la résolution atomique avec une détermination possible de la nature chimique des atomes sondés. Les techniques de lithographie qui permettent de dessiner un motif sur une surface et de l’y transférer (par gravure, par exemple) ont vu la mise au point de nanomasqueurs (à faisceau d’électrons ou d’ions) très performants atteignant des résolutions de l’ordre de la dizaine de nanomètres. Ces derniers instruments permettent de réaliser les » masques » répliqués en masse pour produire microprocesseurs et mémoires vives de nos ordinateurs : dans un marché colossal où une petite augmentation de la densité des circuits produits se traduit par des milliards d’euros de chiffre d’affaires supplémentaire, les progrès techniques ont été naturellement fortement stimulés et rapides. Une des conséquences importantes de l’existence de ces nouveaux outils, plus scientifique celle-là, est que nous pouvons désormais avoir accès aux propriétés d’objets nanométriques individuels, contournant les effets de moyenne d’ensemble dominant souvent celles de collections d’objets présentant une grande variabilité de morphologie, de composition, d’environnement…
Un autre point important est que microscopie à pointe et techniques de lithographie permettent de coupler ces objets au monde macroscopique (avec toutes les problématiques sous-jacentes : décohérence…).
Nanostructures et nanosystèmes
Les structures à puits quantiques, et plus généralement les hétérostructures de semi-conducteurs, et leurs applications dans les domaines des composants micro et optoélectroniques, les multicouches de matériaux magnétiques essentielles pour le stockage de l’information ont été les premiers objets permis par les évolutions citées précédemment. Désormais, les physiciens et les chimistes (les premiers par les techniques d’épitaxie, les deuxièmes par des techniques de chimie douce) sont à même d’élaborer des boîtes quantiques, illustration (presque) parfaite des premiers exercices de cours de mécanique quantique : la localisation des électrons dans ces structures se traduit par des effets de confinement permettant d’influer par leur taille sur leurs propriétés électroniques.
Dans les domaines traditionnels de l’électronique ou du stockage de l’information, les tailles des éléments constitutifs sont d’ores et déjà largement submicroniques : les effets quantiques y feront tôt ou tard leur apparition et de nouveaux concepts seront nécessaires pour les » domestiquer » ou s’y substituer. Parmi les nouveaux composants sur les rangs, ceux de l’électronique à un électron, ou ceux de l’électronique moléculaire pourraient, à terme, supplanter le CMOS de notre électronique digitale actuelle.
Dans des domaines plus prospectifs, les nanostructures sont au cœur des recherches sur les phénomènes d’intrication quantique, première pierre d’un futur ordinateur quantique. La manipulation d’atomes ou de molécules par les techniques de microscopie à pointe permet également de créer des structures artificielles à cette échelle. Dans le domaine des nanosystèmes, plusieurs projets d’automates nanométriques sont explorés.
Nanomatériaux
Bâti d’épitaxie par jets moléculaires : les semi-conducteurs y sont élaborés par évaporation sous ultravide de leurs constituants.
Un troisième élément fondateur a été la découverte des nanostructures carbonées, comme les nanotubes de carbone, aux propriétés à la fois mécaniques et de transport exceptionnelles. Dans le domaine des matériaux, les nouvelles structures, constituées d’assemblage de grains ou de fibres nanométriques élargissent considérablement la boîte à outils des concepteurs de matériaux qui permettront de repousser les compromis actuels (poids-rigidité) et de générer de nouveaux matériaux fonctionnels (par exemple des matériaux autonettoyants ou superhydrophobes). Des propriétés nouvelles apparaissent également si l’on sait forcer l’assemblage de structures nanométriques. Par exemple, le cuivre nanocristallin est à la fois plus résistant et plus déformable que son équivalent microcristallin… Ce champ de recherche fait ainsi largement appel à des stratégies d’auto-assemblage, où l’on cherche les conditions pour que Dame Nature aide à la formation de matériaux macroscopiques utilisables à partir de nanostructures contrôlées. C’est sans doute là que les applications seront les plus rapides.
Nanophotonique
Faisceau de nanotubes de carbone, observé en microscopie électronique haute résolution
Guide défini dans une structure à bande interdite à deux dimensions. L’évolution de la taille des trous le long du guide permet de coupler plus efficacement le mode du guide étroit (en haut sur la micrographie) à celui d’une fibre optique.
Dans le domaine de l’optique, la nanostructuration agit sur deux registres : la modification des propriétés électroniques se traduit par celle des propriétés optiques, mais une structuration à l’échelle de la longueur d’onde agit aussi directement sur les modes propres du champ électromagnétique. S’appuyant sur le premier de ces effets, les structures à puits quantiques ou à boîtes quantiques ont permis de mettre au point des émetteurs lasers dans l’infrarouge ou dans le proche infrarouge pour les télécommunications optiques, ou dans le bleu, pour le stockage de l’information.
Dans ce domaine des télécommunications, cette ingénierie des lasers, des modulateurs ou des composants passifs (guides, combineur…) a permis de concevoir l’architecture des systèmes de demain (ou d’après-demain) qui feront largement appel, pour obtenir des débits de centaines de gigabits par seconde, au multiplexage dense en longueur d’onde de canaux de transmissions à très haut débit. La mise au point de lasers ou de diodes électroluminescentes dans le bleu ouvre la porte, quant à elle, aux disques optiques haute capacité et au remplacement des tubes néon et autres lampes à incandescence par des émetteurs solides à haut rendement.
L’ingénierie des modes optiques a donné naissance de son côté aux microcavités semi-conductrices ou aux structures à bande interdite photonique (structures périodiques d’indice ayant pour les photons un effet semblable à celui du réseau périodique d’atomes dans les solides, avec apparition de bandes d’énergie permises ou interdites). Ces structures permettent de modifier ou de rediriger l’émission spontanée, de construire à l’état solide des états mixtes photons-particule matérielle, de générer des superprismes (à dispersion mille fois plus grande que les prismes réfractifs traditionnels), d’exalter les propriétés non-linéaires, de construire des circuits intégrés photoniques complexes et compacts.
Nano-objets pour la biologie
Dans le domaine de la biologie et de la santé, les enjeux du diagnostic, du traitement, et de la compréhension des mécanismes fondamentaux sont conditionnés par les nanosciences et nanotechnologies qui permettent d’ores et déjà d’imaginer de nouvelles approches. À l’échelle micronique, la microfluidique, qui a pour objet le contrôle de volume de liquide de quelques nanolitres, permet déjà de transporter des liquides dans des microcanaux, de les aiguiller, de les mélanger, de les chauffer ou de les refroidir… Ces techniques ont permis de concevoir de véritables laboratoires sur puce. Dans ce contexte, des nanostructures artificielles peuvent y être intégrées pour servir de gels artificiels aux pores contrôlés, ou de tamis moléculaires, deux systèmes qui permettront peut-être la séparation plus facile de molécules biologiques, voire le séquençage d’ADN. Elles permettent déjà ou permettront également de nouvelles imageries basées sur des capteurs ultrasensibles. Dans un autre registre, l’émission optique de boîtes quantiques greffées sur des biomolécules peut être suivie, révélant ainsi leur cheminement.
La vectorisation de médicaments pourra également peut-être un jour bénéficier des possibilités de l’encapsulation dans des nanostructures carbonées de leurs principes actifs.
Enfin, de nombreux systèmes bio-mimétiques peuvent être conçus et étudiés pour mieux comprendre, sur ces systèmes modèles, les principaux mécanismes à l’œuvre dans des situations réelles autrement complexes.
Modélisation
La modélisation des propriétés physiques de nano-objets fait largement appel aux techniques de calculs mises au point pour la physique du solide ou la chimie (calculs abinitio ou de dynamique moléculaire pour comprendre les mécanismes de croissance ou d’auto-assemblage). Avec l’augmentation des capacités des ordinateurs, des calculs abinitio de la structure électronique d’objets comportant quelques dizaines de milliers d’atomes sont à notre portée. Le raccord entre ces modélisations à l’échelle nanométrique et la modélisation du monde macroscopique, la mise au point de modélisation multi-échelles sont un autre enjeu important de ce domaine.
Nanos et société
Manipuler la matière à l’échelle du nanomètre et particulièrement des biomolécules, rendre possible une ultraminiaturisation de systèmes complexes, produire des composites à partir de matière finement divisée, tout cela n’est pas sans poser des problèmes d’éthique, d’environnement ou d’acceptabilité sociale. Comme toute nouvelle technologie, les nanotechnologies suscitent ainsi un questionnement légitime. La littérature de science-fiction comme les prises de position de personnalités renforcent les inquiétudes que les nanosciences et nanotechnologies cristallisent.
Suivi de molécules biologiques auxquelles ont été greffées des boîtes quantiques luminescentes à l’intérieur d’un neurone (in vitro).
Comme le décrit si bien Louis Laurent, elles se déclinent en trois craintes principales : la perte de contrôle, la mauvaise utilisation des découvertes et la transgression d’interdits. Le risque lié à la perte de contrôle est en jeu lorsqu’on évoque « la gelée grise » ou le risque environnemental de la matière finement divisée. Si le premier (non-contrôle de nanorobots pouvant s’autorépliquer et produisant des nano-objets, pouvant consommer toutes les ressources terrestres) est purement de l’ordre de la science-fiction à une époque où nous ne savons pas contrôler le sens de rotation de nanomoteurs moléculaires, le deuxième doit être pris au sérieux. Les études de toxicologie et de dégradabilité doivent être entamées avant toute production en masse et déploiement de nanomatériaux.
La mauvaise utilisation des découvertes, possible pour toute innovation, est ici particulièrement prégnante car les nanotechnologies permettront de développer des systèmes de plus en plus performants mais aussi de les miniaturiser (et donc aussi de les cacher). On peut en donner maints exemples : les laboratoires sur puce, qui faciliteront la détection de prédisposition génétique à telle ou telle maladie, pourraient aussi être mis à profit par un employeur indélicat, ou un banquier, ou un assureur (à partir d’un cheveu perdu…) pour accéder aux mêmes informations. D’autres exemples sont ceux des systèmes implantés (certains permettant la télésurveillance de paramètres biologiques, d’autres peut-être en liaison directe avec notre système nerveux) ou de la « poussière intelligente » (bardée de capteurs, communiquant en réseau…). Ces aspects sont du domaine de l’éthique, pour contrôler qui pourra disposer des produits rendus possibles par ces technologies.
La dernière source d’inquiétude, liée à la transgression d’interdits, est principalement induite par nos facultés nouvelles à agir sur le vivant, à produire clones et chimères : là aussi, le seul encadrement possible est éthique.
S’y ajoute le risque réel de voir leur utilisation massive amplifier le déséquilibre Nord-Sud entre pays riches et en voie de développement.
Au-delà de toutes ces inquiétudes, les usages que souhaite faire la société des révolutions que permettront nanosciences et nanotechnologies sont un champ sans doute intéressant pour les sciences sociales.
Conclusion
Ce domaine des nanosciences et nanotechnologies est, on l’a vu dans tous ces exemples, à la convergence de domaines disciplinaires divers, des mathématiques appliquées à la biologie, en passant par la physique et la chimie. Elles sont porteuses de multiples promesses d’application, seront à la source de nouvelles découvertes et sont aussi génératrices d’interrogations salutaires. Comme tous les domaines interdisciplinaires, elles se nourriront de disciplines fortes et solides.
Si je peux m’adresser pour conclure aux élèves de cette école, j’ai envie de vous rappeler qu’elle vous permet d’acquérir des bases solides dans la plupart des disciplines scientifiques d’intérêt dans le domaine des nanosciences et nanotechnologies : je suis persuadé que cette formation est un atout inestimable pour ceux d’entre vous qui exerceront leur activité professionnelle dans ce champ scientifique et technique fascinant et sur bien des aspects encore balbutiants.
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