Nao : un robot humanoïde à la française
L’aide à la personne, le loisir et l’éducation sont les tâches prioritaires d’un robot domestique. Une forme humanoïde est plus facilement adoptée par des non-techniciens. Nao, robot d’assistance français, programmable par ses utilisateurs, semble plus tourné vers les usages que ses concurrents asiatiques. La robotique domestique s’apprête à définir elle-même les contours de son marché.
Recevoir l’assistance quotidienne d’un robot, corvéable à merci, est un vieux rêve qui continue d’alimenter un nombre phénoménal d’efforts et d’investissements à travers le monde. Paradoxalement, si des systèmes robotiques ont pu être développés pour faciliter l’exécution de certaines tâches dans bon nombre d’usines, l’adaptation de ces systèmes à nos environnements familiers, apparemment moins extrêmes – mais en réalité beaucoup plus imprévisibles – est difficile.
REPÈRES
Les Japonais font légitimement figure de leader dans le domaine des robots domestiques. Pour des raisons démographiques, ce sont eux qui sont partis les premiers sur cette voie. Certaines de leurs multinationales (Toyota, Honda, Sony) ou certains de leurs centres de recherche s’illustrent régulièrement en concevant des robots capables d’effectuer des tâches à chaque fois inédites (monter les escaliers, courir, etc.). Néanmoins, la plupart de ces prototypes ont principalement vocation à servir de plateforme de recherche ou de vitrine technologique pour l’entreprise ou le laboratoire qui les a fait naître. Ces robots, dont la complexité se paye très cher (centaines de milliers à millions de dollars), ne sont donc pas de véritables produits commerciaux. Le robot humanoïde un peu sophistiqué le plus vendu au monde n’est ainsi pas japonais ou américain, mais bel et bien français, conçu et fabriqué par Aldebaran Robotics, à Paris.
Le challenge est pourtant de taille : toutes les études s’étant penchées sur les impacts qu’aurait l’avènement de la robotique domestique font état d’un marché à très fort potentiel.
Nao, premier robot humanoïde français
Le premier robot humanoïde français, Nao, est déjà vendu comme plateforme de développement à plusieurs centaines de laboratoires dans le monde, choisi en remplacement du robot concurrent de Sony comme plateforme standard pour la coupe du monde robotique de football, les premiers pas du petit robot humanoïde français sont prometteurs. Nao reste néanmoins largement à inventer : applications, design, impacts sur notre vie quotidienne sont autant de sujets clés qu’il reste à définir.
Des applications utiles
À quoi peut bien servir un robot domestique ? Cette question amène souvent les mêmes réponses : faire la cuisine, le ménage et repasser les chemises. Malheureusement la plupart de ces tâches restent pour le moment technologiquement hors de portée. Il existe néanmoins un certain nombre d’applications où un robot domestique peut d’ores et déjà trouver une réelle utilité.
Ces applications sont à chercher dans trois grands domaines :
– l’aide à la personne, le loisir et l’éducation. En voici quelques exemples : détecter qu’une personne est tombée ou qu’elle a besoin d’aide. Si besoin, contacter son médecin, un centre de surveillance ou un membre de sa famille ; et bientôt, l’aider à se relever. Cela permettra de retarder le recours à un centre spécialisé pour les personnes devenant dépendantes ;
– raconter des histoires à des enfants, faire des quiz, leur apprendre à parler anglais en les reprenant sur leur accent, les exercer au calcul mental ou toute autre fonction d’edutainment ;
– équiper des salles de classe pour attirer les étudiants dans les filières techniques telles que l’informatique, l’électronique ou l’automatique, etc.
Pourquoi l’apparence humanoïde ?
Les avis sont variés et rarement convergents lorsqu’il s’agit d’imaginer la forme qu’un robot domestique devrait épouser. Si la littérature et le cinéma imaginent la plupart du temps des robots capables de se déplacer librement dans l’environnement dans lequel ils se trouvent, l’intérêt du caractère « mobile » d’un système robotique domestique ne va pas de soi.
L’adaptabilité à l’environnement domestique
La forme humanoïde est pénalisante pour la mobilité. Faire marcher un robot à pattes est une fonctionnalité complexe. Mais dans la mesure où les défis scientifiques liés à la marche humanoïde sont maîtrisés, ce qui est pratiquement le cas, le problème change totalement ; il devient une question de « rendement de la marche », en termes de coût d’acquisition, de coût d’autonomie, mais aussi d’opportunités de la forme. L’utilisation du même moyen de locomotion que l’homme permet en principe l’adaptabilité parfaite du robot à tout type d’environnement domestique (escaliers, marches, etc.) et d’adaptabilité aux objets. Acquérir un robot ne vous obligera pas à changer d’aspirateur, de meubles, d’ustensiles, ni à équiper vos escaliers d’un monte-charge.
S’il s’agit seulement pour un robot de donner l’alerte en cas de chute de la personne qu’il surveille, il est probable qu’un système de perception performant fixé par exemple au plafond de la pièce à surveiller soit une stratégie plus optimale que de déployer un robot mobile dans cette pièce. La puissance de calcul économisée par l’absence de système de locomotion et de navigation peut alors être mise au profit de la fonctionnalité critique ici : la perception. Néanmoins, tout système robotique statique se heurte à une limitation importante : une zone de fonctionnement limitée ; il faudrait équiper tout l’environnement. À l’inverse, un robot mobile aura vocation à pouvoir fonctionner dans une large zone (plusieurs pièces d’un appartement par exemple) mais doit pouvoir assumer la complexité des problèmes liés à ses capacités de déplacement (éviter de se prendre les pieds dans les tapis, ouvrir les portes, etc.). Faire le pari d’un système mobile pour l’environnement domestique est donc plus risqué mais aussi plus ambitieux. Dans ce cas, un robot à roues sera bien plus efficace et simple ; pour peu qu’il n’y ait pas de marches d’escalier ou pas de portes.
La meilleure forme d’interaction avec les personnes
Nous sommes nous-mêmes » programmés génétiquement » pour interagir avec des humains, pour » détecter et reconnaître des visages » partout (on joue à voir des visages dans les nuages, dans les arbres), pour recevoir des affects positifs des formes de l’enfance, des têtes surdimensionnées avec de grands yeux bas placés sur le visage et des membres courts et trapus ;
La robotique domestique est un marché à fort potentiel
le monde des cartoons ou de la pub s’en est saisi depuis longtemps et nous a fait aimer des bonshommes Michelin, ou des Mickey, Donald ou autres Titi et Gros Minet dont les formes sont celles des enfants humains. La meilleure forme pour interagir avec les humains est la forme humanoïde. Même Wall‑e, dont la forme de base est celle d’un robot à chenilles, agit et bouge en fait comme un humanoïde.
L’acceptabilité est un défi important
Le déploiement des robots dans nos quotidiens n’est enfin pas seulement dépendant de la levée de certains verrous technologiques. L’acceptabilité d’un tel » outil » est un défi important qui dépend en particulier de son apparence. Les études montrent qu’un robot humanoïde est plus facilement adopté par des non-techniciens s’il possède un certain degré de ressemblance avec l’homme… sans pour autant lui ressembler totalement.
La forme humanoïde est pénalisante pour la mobilité
Les robots humanoïdes Repliee Q1 et R1 développés par l’université d’Osaka, conçus pour ressembler le plus possible à l’homme, se sont ainsi avérés relativement effrayants. Nao prend ainsi la forme générale d’un enfant mais s’en différencie suffisamment pour susciter la sympathie, plutôt que la peur.
Créer ou détruire des emplois
Même s’il est encore trop tôt pour imaginer complètement les impacts sociaux et sociétaux que l’avènement de la robotique domestique est susceptible de provoquer, il est d’ores et déjà possible d’avancer un certain nombre d’hypothèses. Si des robots débarquent un jour dans nos appartements, nos écoles, ou nos hôpitaux pour exécuter des tâches qui sont, jusque-là, effectuées par l’homme, il y a fort à parier que l’impact sur l’emploi peu qualifié sera négatif. Néanmoins, la conception et la production de tels robots, et surtout des logiciels et des services, seront à l’inverse fortement génératrices d’emplois dans les pays où elles prendront place. Les robots créeront des emplois dans les pays fournisseurs de robots, et en détruiront chez les » simples consommateurs « . Comme Internet et la micro-informatique l’avaient fait en faveur des États-Unis et au détriment de l’Europe. Or la machine est en marche : l’avènement de la robotique a déjà commencé en Asie ; il est donc préférable de participer à la révolution qui s’annonce plutôt que de la subir.
Un animal de compagnie
Par ailleurs, on peut légitimement s’interroger sur la façon dont de tels robots se comporteront dans l’exécution de leurs tâches : probablement sans subtilité, ni compréhension, en tout cas infiniment moins qu’un humain. L’emploi de tels systèmes ne constituera un progrès que s’ils ont une compréhension plus large que ce pour quoi ils ont été spécifiquement conçus : l’assistance, le divertissement et la formation. S’il est presque évident de penser que de tels systèmes ne sauront par exemple jamais résoudre à eux seuls le problème de la solitude des personnes isolées, il est néanmoins probable qu’un tel système puisse progressivement endosser le rôle d’animal de compagnie.
Les atouts de la France
Aldebaran n’est évidemment pas la seule entreprise à se lancer dans la robotique de service.
Sécurité et vie privée
De tels systèmes, connectés à Internet et doués de capacités de perception et d’action, posent enfin un sujet majeur en termes de sécurité et du problème du respect de la vie privée, luimême lié à celui de la sécurité informatique. Il est à parier que de tels systèmes représenteront des cibles motivantes pour un hacker voulant récupérer des données sensibles, acquises par les caméras embarquées du robot par exemple. Par ailleurs, il est possible d’imaginer des virus « robotiques » à l’action originale : repérer, saisir et laisser tomber une assiette tous les jours à midi. Toutes les solutions à ces questions restent à inventer. Impérativement.
Des entreprises japonaises, dont Honda et Kawada Industries ont une certaine avance, talonnées très sérieusement par les Coréens et les Chinois. Mais Aldebaran a déjà, en plus d’une certaine notoriété, une approche originale, est située en France et est largement soutenue par ses fonds d’investissements CDC Innovation et iSource, ainsi que par les pouvoirs publics. La France a, en effet, des atouts importants en robotique de service grâce à son mix de capacités conceptuelles de haut niveau, d’excellence en softwares, de grand savoir-faire en mécatronique, et par sa relation plus » philosophique » avec la robotique : focalisée sur les usages et préoccupée par l’acceptation, par opposition aux préoccupations de défense des Américains, ou celles résultant de rêves d’ingénieurs asiatiques. C’est bien sûr une caricature grossière, mais l’intensité des publications par des laboratoires de R&D français (troisièmes en nombre absolu de publications scientifiques en robotique) et leur qualité vont dans ce sens. C’est également vrai de l’Allemagne.
Il est préférable de participer à la révolution plutôt que de la subir
Les aides et subventions à la création d’entreprises, au soutien à la recherche, à la création d’emplois, celles de niveau national ou européennes, de la Région Île-de-France (très impliquée) ou de la ville de Paris, complètent ce tableau en rendant compétitive une implantation à Paris. L’accompagnement par un pôle de compétitivité comme Cap Digital, au sein duquel le cluster Cap Robotique a été créé (voir article par ailleurs dans ce même dossier), permet de savoir bénéficier de ces possibilités.
Une plateforme programmable
Un tournoi de football
Un exemple de coopération avec les communautés d’utilisateurs particuliers ou professionnels, en particulier les laboratoires de recherche, la Robocup, tournoi de foot de robots, à laquelle participent 350 équipes de R&D dans le monde, et dont Nao est devenu la « plateforme standard ».
Pour progresser avec une petite équipe vers des robots assistants personnels efficaces, donc traiter les quelque deux mille sujets nécessaires, Aldebaran Robotics a fait le choix de fournir au marché une plateforme robotique programmable qui permet aux utilisateurs de développer eux-mêmes des applications et de se les échanger via un système d’échange de comportements. Cette plateforme a le « minimum nécessaire et suffisant » pour explorer tous les aspects de la robotique à un prix acceptable. Tourné vers les « usages », Nao saura évoluer vers un robot d’assistance personnel, surtout grâce à la communauté des développeurs et utilisateurs. Des laboratoires de R&D médicaux, des équipes travaillant sur l’edutainment, ou sur l’assistance aux malvoyants font également partie de ces communautés de développeurs. Tout porte à croire que nous allons assister à ce qui s’est passé dans les années quatre-vingt pour l’informatique personnelle : un grand nombre de passionnés vont participer à l’aventure et déterminer, imaginer, concevoir les applications qui rendront l’utilisation d’un robot pertinente. La robotique domestique s’apprête donc, tout comme l’informatique, à définir elle-même les contours de son marché.