Napoléon et la Dordogne
Avec Napoléon et la Dordogne, Erik Egnell nous offre une reconstitution vivante et fouillée de l’évolution du Périgord sous le Premier Empire. Nourri aux meilleures sources historiques, l’ouvrage nous entraîne dans ce département rural, encore largement féodal à l’orée de la Révolution, et qui va connaître de profonds bouleversements sous l’Aigle. On y découvre avec bonheur une foison de personnages pittoresques, nobles émigrés ou ralliés, bourgeois acheteurs de biens nationaux, officiers généraux, préfets de l’Empire (les premiers du genre), philosophes ou simples paysans qui presque tous partagent un tempérament frondeur dont il est connu que pour être français en général, il n’est jamais si bien illustré que par les Périgourdins (Périgordins). Montaigne n’avait-il pas le premier donné l’exemple de l’indépendance ? Attachés à leur terre, mais tentés un temps par l’aventure, c’est donc une galerie de portraits pittoresques et rapidement brossés qui nous est offerte, au hasard des circonstances changeantes, tantôt glorieuses, tantôt douloureuses, d’une époque fertile en rebondissements.
Ainsi voyons-nous défiler sous nos yeux Maine de Biran, sous-préfet de Bergerac, membre du corps législatif et philosophe distingué, qui n’oublie pas de trahir celui qu’il a servi lorsque les circonstances l’exigent, le général Fournier qui voulait “ abattre le Premier consul à trente pas ”, mais n’en devient pas moins général d’Empire avant d’être nommé inspecteur général de la cavalerie par Louis XVIII (son portrait préside au Louvre la salle Mollien), mais aussi le général Daumesnil, héros de la défense du fort de Vincennes dans les mauvais jours de l’occupation de Paris, ou le futur maréchal Bugeaud, alors colonel, s’illustrant en Savoie dans la lutte contre ceux que l’on appelait alors les Austro-Sardes, ceux-là mêmes dont le siège en 1815 a donné naissance à la fière devise inscrite sur les murailles de Briançon (Le passé répond de l’avenir). L’on y découvre enfin un Poutard, évêque concordataire, bientôt marié, qui officie en bonnet rouge, un Maleville secrétaire de la commission de rédaction du Code civil et futur président de la Cour de cassation, et nombre d’insoumis prenant le maquis pour éviter la conscription.
Bref une impressionnante série de réfractaires à tout ce qu’une administration guerrière peut traîner dans son sillage : collecteurs d’impôts, “ garnisaires ” agents de la levée en masse, servants des Te Deum en tout genre, sans omettre les brigands assez nombreux qui non contents de fuir les inconvénients de l’époque attaquent joyeusement les convois de fonds avant de finir souvent guillotinés sur la grand-place de Périgueux.
Bref un vivant kaléidoscope dont on sort la tête un peu farcie tant est grand le nombre des protagonistes, mais amusé et content de voir à quel point nous sommes les héritiers de cette tradition qui fait de nous des êtres ingouvernables, éternels trublions devant l’autorité, thuriféraires enflammés aujourd’hui de ce que nous brûlerons demain, mais en définitive intéressants, ne serait-ce que par notre attachement à nos traditions et parfois à une province dont nous sommes nombreux à être tombés sous le charme. Il est juste de dire pour terminer que Napoléon n’y avait jamais mis les pieds… Sans doute se méfiait-il de l’indépendance d’esprit de ses habitants ?
Merci donc à notre camarade Egnell, tout d’origine suédoise qu’il soit, pour nous avoir donné ce plaisir de lecture en nous replongeant au coeur d’un de nos plus beaux terroirs, plongé dans le désordre et le tumulte d’une époque qui, par les possibilités d’ascension sociale et de gloire qu’elle a représentées, est restée chère au coeur des Français.