Naval de défense : comment pérenniser une filière d’excellence ?
Le domaine naval a été une des spécialités des polytechniciens : il fut un temps où le Génie maritime comptait parmi les grands corps à la sortie de l’X. Il est donc particulièrement intéressant que notre camarade qui dirige Naval Group nous fasse part de sa vision stratégique dans ce domaine.
De la naissance d’un programme à sa conclusion, il peut s’écouler plusieurs décennies qui dépassent largement le temps d’une carrière. La maîtrise des compétences est une des principales clés à avoir en main pour préparer la défense de demain ! C’est dans cette perspective que, héritier de savoir-faire séculaire, Naval Group inscrit son activité au bénéfice de la Marine nationale et de nombreux clients à l’export, dans le présent et les décennies à venir. L’anticipation et l’adaptation des besoins en compétences ainsi que le développement de son savoir-faire industriel sont au cœur de sa préparation de l’avenir. Pour permettre à nos clients de bénéficier de la souveraineté technologique sur les océans, nous devons être sans cesse en mesure de définir et d’entretenir nos compétences dont nous avons besoin à court, moyen et long terme.
Afin d’éviter les ruptures technologiques et industrielles, il est nécessaire d’anticiper quels seront les besoins de demain, de renouveler les compétences parfois très spécifiques et d’entretenir les compétences techniques qui sont particulièrement longues à acquérir. L’enjeu de maintien des compétences, pris en compte depuis de nombreuses années par le groupe, est amplifié par le défi démographique à venir. Ainsi Naval Group, pour renouveler les compétences et gérer les programmes au niveau de qualité requis, a recruté ces quatre dernières années près de 6 000 personnes.
« Aujourd’hui, la défense navale compose avec de nouvelles menaces qui relèvent notamment d’enjeux de cybersécurité ou encore d’automatisation des plateformes navales de combat. »
Le maintien et le développement des compétences, une priorité
Face à l’évolution rapide du contexte géopolitique et de la technologie, les marines doivent faire face à de nombreuses menaces. Des travaux de prospective sur l’impact de ces évolutions viennent éclairer la stratégie de l’entreprise. Ils permettent d’anticiper quelles sont les compétences nécessaires dont l’entreprise a besoin pour la réalisation des programmes nationaux et export d’aujourd’hui et de demain. Une cartographie des métiers à l’horizon de quatre ans et dix ans est établie chaque année. Un réseau technique de plus de 1 200 experts et un ambitieux dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences permettent de définir dans le temps les contours précis des expertises nécessaires. C’est la condition sine qua non pour être au rendez-vous des attentes des clients et livrer en temps et en heure les navires et les systèmes.
De plus, le groupe a identifié et structuré cinq familles souveraines de métiers critiques pour la souveraineté nationale et la sécurité des navires et des personnes. À leur tête les responsables techniques rendent compte de l’évolution des compétences et de leur prise en compte dans le domaine de l’architecture sous-marine, des systèmes d’aviation, de la propulsion nucléaire, de la sécurité en plongée et de l’invulnérabilité. Leurs travaux permettent d’intégrer des recommandations sur les compétences à développer et les formations à mettre en place. Chacun de ces responsables effectue ainsi des propositions que chaque manager sur le terrain peut appliquer à son échelle.
REPÈRES
La réalisation et l’entretien d’un sous-marin nucléaire lanceur d’engins, d’une frégate de combat ou encore d’un porte-avions peuvent s’étendre sur un cycle de vie allant jusqu’à soixante ans. Ces programmes, comptant parmi les plus complexes au monde à réaliser, traversent des variations de charge industrielle, avec l’alternance de pics d’activité et de ruptures parfois durables entre deux projets. Ils nécessitent le maintien et le développement d’un portefeuille de plus de 400 compétences.
Maîtriser le soudage de la coque épaisse d’un sous-marin nécessite par exemple un temps d’acquisition qui s’étale entre six et dix ans. Réparer le sous-marin La Perle, qui a été réalisé dans les années 90 et qui a subi un incendie dramatique en 2020, en réalisant une hybridation inédite avec Le Saphir qui était sorti du service un an plus tôt, n’aurait jamais été possible sans un travail permanent de maintien et de développement des compétences critiques au sein de la société qui a réalisé cet exploit.
Cybersécurité et drones de combat
Aujourd’hui, la défense navale compose avec de nouvelles menaces qui relèvent notamment d’enjeux de cybersécurité ou encore d’automatisation des plateformes navales de combat. L’entreprise a anticipé ces besoins de compétences technologiques pour être au rendez-vous de ses clients. Ainsi les nouveaux métiers de la data et de la cybersécurité sont devenus indispensables et permettent à nos navires, que ce soient les sous-marins ou les bâtiments de surface, d’être dotés d’équipements de pointe et de systèmes numériques cybersécurisés.
Le développement des drones sur les théâtres d’opérations navales caractérise également très bien cette approche stratégique de l’entreprise en matière de développement des compétences. Quasi inexistants dans le naval de défense il y a seulement quelques années, ces véhicules autonomes deviennent aujourd’hui une composante majeure des enjeux navals.
En anticipant les besoins des armées dans ce nouveau domaine de lutte et du renseignement et donc les expertises nécessaires pour y faire face, Naval Group a la capacité aujourd’hui de répondre à leur demande. Les équipes, par exemple, ont conçu avec ECA pour les marines belge et néerlandaise un système militaire dronisé dédié à la guerre des mines robotisée. Une plateforme navale met en œuvre des drones aériens, sous-marins et de surface. Une fois la menace identifiée, grâce à leur autonomie décisionnelle, les drones sous-marins et de surface opèrent directement sur le théâtre d’opérations pour neutraliser les menaces tout en minimisant les risques d’exposition de l’équipage, qui reste éloigné de la zone dangereuse.
Un plan de charge en croissance
En matière industrielle, les plans de charge et l’évolution naturelle des effectifs font apparaître les besoins en compétences à court, moyen et long terme dans les différents bassins d’emplois. Une stratégie visant à assurer la disponibilité des ressources au bon endroit et au bon moment a été mise en place. Elle intègre les enjeux de l’entreprise étendue.
L’appel de charge lié à la construction et à la maintenance en France et à l’international de nombreux navires se traduit par une augmentation d’activités industrielles d’ici 2030, notamment l’entretien des navires de premier rang et des sous-marins de la Marine nationale à Brest et à Toulon ou de marines clientes à l’international. Pour réaliser au mieux ces chantiers qui engagent l’entreprise sur deux décennies, nous devons anticiper les besoins en compétences de nombreux métiers spécifiques tels que, pour n’en citer que quelques-uns, chaudronnier, charpentier, formeur dresseur, mécanicien naval, soudeur, découpeur meuleur ou encore concepteur de logiciels, ingénieur méthode, etc.
Des plans d’anticipation des compétences
Des plans d’action de ressources humaines permettent de modéliser à l’horizon de dix ans les trajectoires de recrutement, de montée en compétences de collaborateurs et de mobilité et d’attractivité. Ces plans d’action permettent de projeter finement l’évolution des ressources et de modéliser l’effet de différents leviers pour accélérer les temps d’acquisition de compétences par niveau de maturité. Ces plans définissent également quels sont les seuils de compétences nécessaires par métier pour permettre l’excellence d’exécution. La montée en charge importante sur les dix ans à venir nécessite notamment d’anticiper les temps d’acquisition des compétences dans les domaines clés tels que les métiers de fabrication de la coque, ceux des intégrateurs projeteurs ou encore des architectes d’intérieur.
Le pilotage des besoins industriels passe aussi par des leviers internes et externes. Naval Group met en œuvre des passerelles métiers qui prennent en compte l’évolution des besoins. Nous incitons les collaborateurs qui le souhaitent à passer d’une filière technique à une autre. Le développement des compétences passe aussi par la certification des compétences par des organismes extérieurs ou des partenariats académiques et de recherche. Enfin, la politique industrielle se traduit en termes de ressources humaines par des partenariats avec certaines entreprises qui vont nous accompagner dans la montée en puissance des ressources nécessaires à nos programmes, comme c’est le cas en ce moment pour les études du sous-marin nucléaire de troisième génération. À l’inverse la réinternalisation de certaines tâches industrielles peut être réalisée pour assurer une certaine pérennité de charge de travail ou lorsque les compétences deviennent trop rares pour être diluées entre plusieurs entreprises.
La création d’écoles de formation
Pour répondre à ces enjeux critiques de maîtrise des compétences et afin de maîtriser la qualité d’exécution, nous avons également mis en place depuis quelques années nos propres écoles de formations internes au sein des sites de l’entreprise. Aujourd’hui, un collaborateur sur trois a moins de cinq ans d’ancienneté. Le fort renouvellement des compétences a entraîné un rajeunissement de l’entreprise où la moyenne d’âge est de 41 ans contre 43 ans en 2016. Pour faciliter l’intégration de jeunes et optimiser le travail en équipes, nous avons lancé il y a trois ans environ des chantiers-écoles dans nos propres ateliers pour former par petits groupes aux spécificités des métiers. Des écoles de soudage, de montage mécanique ou encore d’usinage, de manutention ont pris place dans nos nefs de construction. Elles permettent d’apprendre le bon geste, de prendre de l’assurance et d’accélérer la montée en compétences.
“Plus de 20 000 créations nettes d’emplois en dix ans dans le naval de défense.”
Par ailleurs, pour répondre aux besoins liés au programme de sous-marins nucléaires de troisième génération, nous avons créé fin 2018 une école de conception à Cherbourg. Les premières promotions ont permis de qualifier et de former des professionnels qui emménagent des sous-marins en maquette 3D en divisant par trois le temps d’acquisition des compétences. L’école a élargi son panel de formations en particulier aux métiers de chargés d’études en technologie et de méthodes et industrialisation. Au service de la transformation des compétences, l’école joue un rôle croissant dans l’accompagnement des évolutions métiers de nos collaborateurs.
Naval Group accueille ainsi chaque année plus de 1 000 jeunes dans ses équipes, dont plus de 400 nouveaux alternants en 2020 et 450 en 2021, positionnés à 80 % sur des métiers de production.
Renforcer l’attractivité de la filière navale et maritime
Pour répondre à ces besoins en compétences, le groupe intègre pleinement dans sa démarche l’écosystème industriel et éducatif dans lequel nous évoluons. L’entreprise s’inscrit dans une dynamique de filière, en particulier pour répondre aux besoins sur les métiers en tension. Un défi lorsque l’on connaît les besoins de recrutement du naval de défense, notamment aux échelons ouvriers et techniciens (du brevet à bac + 3). Plus de 70 000 embauches ont été effectuées en dix ans avec à la clé plus de 20 000 créations nettes d’emplois. Pour la construction navale, même si elle est touchée de manière conjoncturelle par la crise sanitaire comme de nombreux autres secteurs, nous estimons qu’il y a encore un besoin de recrutement (CDD, CDI et alternants confondus).
Nous devons développer massivement l’attractivité de nos métiers techniques auprès des jeunes et adapter l’offre de formation initiale à nos besoins industriels en navalisant les formations et en labellisant leur contenu. Depuis sa création en 2018, le Campus des industries navales est la colonne vertébrale de ce dispositif. Ce projet collaboratif, dont Naval Group est le moteur, rassemble cinq régions, cinq industriels, quatre ministères et trois syndicats professionnels.
Développer la diversité au sein de nos entreprises
Il nous faut enfin et toujours promouvoir la mixité. Comme dans tous les métiers techniques, nous avons encore du mal à attirer des femmes alors que nos besoins sont très importants. Convaincre, dès le collège et le lycée, des jeunes filles de choisir des filières techniques ou de poursuivre leurs études vers des écoles d’ingénieurs fait partie de nos objectifs. Nous comptons pour cela sur de nombreuses initiatives menées sur le terrain par des associations de femmes engagées, à l’image de l’association Elles Bougent, pour faire connaître nos entreprises et donner envie à plus de femmes jeunes ou moins jeunes de venir y faire carrière.
Et, pour une entreprise de souveraineté comme Naval Group, être à l’image de la société que nous servons est un enjeu stratégique sur le long terme !