Naval de défense, FREMM Alsace

Naval de défense : comment pérenniser une filière d’excellence ?

Dossier : Défense & souverainetéMagazine N°769 Novembre 2021
Par Pierre Éric POMMELLET (X84)

Le domaine naval a été une des spé­cia­li­tés des poly­tech­ni­ciens : il fut un temps où le Génie mari­time comp­tait par­mi les grands corps à la sor­tie de l’X. Il est donc par­ti­cu­liè­re­ment inté­res­sant que notre cama­rade qui dirige Naval Group nous fasse part de sa vision stra­té­gique dans ce domaine.

De la nais­sance d’un pro­gramme à sa conclu­sion, il peut s’écouler plu­sieurs décen­nies qui dépassent lar­ge­ment le temps d’une car­rière. La maî­trise des com­pé­tences est une des prin­ci­pales clés à avoir en main pour pré­pa­rer la défense de demain ! C’est dans cette pers­pec­tive que, héri­tier de savoir-faire sécu­laire, Naval Group ins­crit son acti­vi­té au béné­fice de la Marine natio­nale et de nom­breux clients à l’export, dans le pré­sent et les décen­nies à venir. L’anticipation et l’adaptation des besoins en com­pé­tences ain­si que le déve­lop­pe­ment de son savoir-faire indus­triel sont au cœur de sa pré­pa­ra­tion de l’avenir. Pour per­mettre à nos clients de béné­fi­cier de la sou­ve­rai­ne­té tech­no­lo­gique sur les océans, nous devons être sans cesse en mesure de défi­nir et d’entretenir nos com­pé­tences dont nous avons besoin à court, moyen et long terme. 

Afin d’éviter les rup­tures tech­no­lo­giques et indus­trielles, il est néces­saire d’anticiper quels seront les besoins de demain, de renou­ve­ler les com­pé­tences par­fois très spé­ci­fiques et d’entretenir les com­pé­tences tech­niques qui sont par­ti­cu­liè­re­ment longues à acqué­rir. L’enjeu de main­tien des com­pé­tences, pris en compte depuis de nom­breuses années par le groupe, est ampli­fié par le défi démo­gra­phique à venir. Ain­si Naval Group, pour renou­ve­ler les com­pé­tences et gérer les pro­grammes au niveau de qua­li­té requis, a recru­té ces quatre der­nières années près de 6 000 personnes.

« Aujourd’hui, la défense navale compose avec de nouvelles menaces qui relèvent notamment d’enjeux de cybersécurité ou encore d’automatisation des plateformes navales de combat. »

Le maintien et le développement des compétences, une priorité

Face à l’évolution rapide du contexte géo­po­li­tique et de la tech­no­lo­gie, les marines doivent faire face à de nom­breuses menaces. Des tra­vaux de pros­pec­tive sur l’impact de ces évo­lu­tions viennent éclai­rer la stra­té­gie de l’entreprise. Ils per­mettent d’anticiper quelles sont les com­pé­tences néces­saires dont l’entreprise a besoin pour la réa­li­sa­tion des pro­grammes natio­naux et export d’aujourd’hui et de demain. Une car­to­gra­phie des métiers à l’horizon de quatre ans et dix ans est éta­blie chaque année. Un réseau tech­nique de plus de 1 200 experts et un ambi­tieux dis­po­si­tif de ges­tion pré­vi­sion­nelle des emplois et des com­pé­tences per­mettent de défi­nir dans le temps les contours pré­cis des exper­tises néces­saires. C’est la condi­tion sine qua non pour être au ren­dez-vous des attentes des clients et livrer en temps et en heure les navires et les systèmes.

De plus, le groupe a iden­ti­fié et struc­tu­ré cinq familles sou­ve­raines de métiers cri­tiques pour la sou­ve­rai­ne­té natio­nale et la sécu­ri­té des navires et des per­sonnes. À leur tête les res­pon­sables tech­niques rendent compte de l’évolution des com­pé­tences et de leur prise en compte dans le domaine de l’architecture sous-marine, des sys­tèmes d’aviation, de la pro­pul­sion nucléaire, de la sécu­ri­té en plon­gée et de l’invulnérabilité. Leurs tra­vaux per­mettent d’intégrer des recom­man­da­tions sur les com­pé­tences à déve­lop­per et les for­ma­tions à mettre en place. Cha­cun de ces res­pon­sables effec­tue ain­si des pro­po­si­tions que chaque mana­ger sur le ter­rain peut appli­quer à son échelle.


REPÈRES

La réa­li­sa­tion et l’entretien d’un sous-marin nucléaire lan­ceur d’engins, d’une fré­gate de com­bat ou encore d’un porte-avions peuvent s’étendre sur un cycle de vie allant jusqu’à soixante ans. Ces pro­grammes, comp­tant par­mi les plus com­plexes au monde à réa­li­ser, tra­versent des varia­tions de charge indus­trielle, avec l’alternance de pics d’activité et de rup­tures par­fois durables entre deux pro­jets. Ils néces­sitent le main­tien et le déve­lop­pe­ment d’un por­te­feuille de plus de 400 compétences. 

Maî­tri­ser le sou­dage de la coque épaisse d’un sous-marin néces­site par exemple un temps d’acquisition qui s’étale entre six et dix ans. Répa­rer le sous-marin La Perle, qui a été réa­li­sé dans les années 90 et qui a subi un incen­die dra­ma­tique en 2020, en réa­li­sant une hybri­da­tion inédite avec Le Saphir qui était sor­ti du ser­vice un an plus tôt, n’aurait jamais été pos­sible sans un tra­vail per­ma­nent de main­tien et de déve­lop­pe­ment des com­pé­tences cri­tiques au sein de la socié­té qui a réa­li­sé cet exploit. 


Cybersécurité et drones de combat

Aujourd’hui, la défense navale com­pose avec de nou­velles menaces qui relèvent notam­ment d’enjeux de cyber­sé­cu­ri­té ou encore d’automatisation des pla­te­formes navales de com­bat. L’entreprise a anti­ci­pé ces besoins de com­pé­tences tech­no­lo­giques pour être au ren­dez-vous de ses clients. Ain­si les nou­veaux métiers de la data et de la cyber­sé­cu­ri­té sont deve­nus indis­pen­sables et per­mettent à nos navires, que ce soient les sous-marins ou les bâti­ments de sur­face, d’être dotés d’équipements de pointe et de sys­tèmes numé­riques cybersécurisés.

Le déve­lop­pe­ment des drones sur les théâtres d’opérations navales carac­té­rise éga­le­ment très bien cette approche stra­té­gique de l’entreprise en matière de déve­lop­pe­ment des com­pé­tences. Qua­si inexis­tants dans le naval de défense il y a seule­ment quelques années, ces véhi­cules auto­nomes deviennent aujourd’hui une com­po­sante majeure des enjeux navals.

En anti­ci­pant les besoins des armées dans ce nou­veau domaine de lutte et du ren­sei­gne­ment et donc les exper­tises néces­saires pour y faire face, Naval Group a la capa­ci­té aujourd’hui de répondre à leur demande. Les équipes, par exemple, ont conçu avec ECA pour les marines belge et néer­lan­daise un sys­tème mili­taire dro­ni­sé dédié à la guerre des mines robo­ti­sée. Une pla­te­forme navale met en œuvre des drones aériens, sous-marins et de sur­face. Une fois la menace iden­ti­fiée, grâce à leur auto­no­mie déci­sion­nelle, les drones sous-marins et de sur­face opèrent direc­te­ment sur le théâtre d’opérations pour neu­tra­li­ser les menaces tout en mini­mi­sant les risques d’exposition de l’équipage, qui reste éloi­gné de la zone dangereuse.

Mise à flot de la FREMM Alsace
Mise à flot de la FREMM Alsace

Un plan de charge en croissance

En matière indus­trielle, les plans de charge et l’évolution natu­relle des effec­tifs font appa­raître les besoins en com­pé­tences à court, moyen et long terme dans les dif­fé­rents bas­sins d’emplois. Une stra­té­gie visant à assu­rer la dis­po­ni­bi­li­té des res­sources au bon endroit et au bon moment a été mise en place. Elle intègre les enjeux de l’entreprise étendue.

L’appel de charge lié à la construc­tion et à la main­te­nance en France et à l’international de nom­breux navires se tra­duit par une aug­men­ta­tion d’activités indus­trielles d’ici 2030, notam­ment l’entretien des navires de pre­mier rang et des sous-marins de la Marine natio­nale à Brest et à Tou­lon ou de marines clientes à l’international. Pour réa­li­ser au mieux ces chan­tiers qui engagent l’entreprise sur deux décen­nies, nous devons anti­ci­per les besoins en com­pé­tences de nom­breux métiers spé­ci­fiques tels que, pour n’en citer que quelques-uns, chau­dron­nier, char­pen­tier, for­meur dres­seur, méca­ni­cien naval, sou­deur, décou­peur meu­leur ou encore concep­teur de logi­ciels, ingé­nieur méthode, etc. 

Des plans d’anticipation des compétences

Des plans d’action de res­sources humaines per­mettent de modé­li­ser à l’horizon de dix ans les tra­jec­toires de recru­te­ment, de mon­tée en com­pé­tences de col­la­bo­ra­teurs et de mobi­li­té et d’attractivité. Ces plans d’action per­mettent de pro­je­ter fine­ment l’évolution des res­sources et de modé­li­ser l’effet de dif­fé­rents leviers pour accé­lé­rer les temps d’acquisition de com­pé­tences par niveau de matu­ri­té. Ces plans défi­nissent éga­le­ment quels sont les seuils de com­pé­tences néces­saires par métier pour per­mettre l’excellence d’exécution. La mon­tée en charge impor­tante sur les dix ans à venir néces­site notam­ment d’anticiper les temps d’acquisition des com­pé­tences dans les domaines clés tels que les métiers de fabri­ca­tion de la coque, ceux des inté­gra­teurs pro­je­teurs ou encore des archi­tectes d’intérieur.

Le pilo­tage des besoins indus­triels passe aus­si par des leviers internes et externes. Naval Group met en œuvre des pas­se­relles métiers qui prennent en compte l’évolution des besoins. Nous inci­tons les col­la­bo­ra­teurs qui le sou­haitent à pas­ser d’une filière tech­nique à une autre. Le déve­lop­pe­ment des com­pé­tences passe aus­si par la cer­ti­fi­ca­tion des com­pé­tences par des orga­nismes exté­rieurs ou des par­te­na­riats aca­dé­miques et de recherche. Enfin, la poli­tique indus­trielle se tra­duit en termes de res­sources humaines par des par­te­na­riats avec cer­taines entre­prises qui vont nous accom­pa­gner dans la mon­tée en puis­sance des res­sources néces­saires à nos pro­grammes, comme c’est le cas en ce moment pour les études du sous-marin nucléaire de troi­sième géné­ra­tion. À l’inverse la réin­ter­na­li­sa­tion de cer­taines tâches indus­trielles peut être réa­li­sée pour assu­rer une cer­taine péren­ni­té de charge de tra­vail ou lorsque les com­pé­tences deviennent trop rares pour être diluées entre plu­sieurs entreprises. 

La création d’écoles de formation

Pour répondre à ces enjeux cri­tiques de maî­trise des com­pé­tences et afin de maî­tri­ser la qua­li­té d’exécution, nous avons éga­le­ment mis en place depuis quelques années nos propres écoles de for­ma­tions internes au sein des sites de l’entreprise. Aujourd’hui, un col­la­bo­ra­teur sur trois a moins de cinq ans d’ancienneté. Le fort renou­vel­le­ment des com­pé­tences a entraî­né un rajeu­nis­se­ment de l’entreprise où la moyenne d’âge est de 41 ans contre 43 ans en 2016. Pour faci­li­ter l’intégration de jeunes et opti­mi­ser le tra­vail en équipes, nous avons lan­cé il y a trois ans envi­ron des chan­tiers-écoles dans nos propres ate­liers pour for­mer par petits groupes aux spé­ci­fi­ci­tés des métiers. Des écoles de sou­dage, de mon­tage méca­nique ou encore d’usinage, de manu­ten­tion ont pris place dans nos nefs de construc­tion. Elles per­mettent d’apprendre le bon geste, de prendre de l’assurance et d’accélérer la mon­tée en compétences.

“Plus de 20 000 créations nettes d’emplois en dix ans dans le naval de défense.”

Par ailleurs, pour répondre aux besoins liés au pro­gramme de sous-marins nucléaires de troi­sième géné­ra­tion, nous avons créé fin 2018 une école de concep­tion à Cher­bourg. Les pre­mières pro­mo­tions ont per­mis de qua­li­fier et de for­mer des pro­fes­sion­nels qui emmé­nagent des sous-marins en maquette 3D en divi­sant par trois le temps d’acquisition des com­pé­tences. L’école a élar­gi son panel de for­ma­tions en par­ti­cu­lier aux métiers de char­gés d’études en tech­no­lo­gie et de méthodes et indus­tria­li­sa­tion. Au ser­vice de la trans­for­ma­tion des com­pé­tences, l’école joue un rôle crois­sant dans l’accompagnement des évo­lu­tions métiers de nos collaborateurs.

Naval Group accueille ain­si chaque année plus de 1 000 jeunes dans ses équipes, dont plus de 400 nou­veaux alter­nants en 2020 et 450 en 2021, posi­tion­nés à 80 % sur des métiers de production.

Défense navale

Renforcer l’attractivité de la filière navale et maritime

Pour répondre à ces besoins en com­pé­tences, le groupe intègre plei­ne­ment dans sa démarche l’écosystème indus­triel et édu­ca­tif dans lequel nous évo­luons. L’entreprise s’inscrit dans une dyna­mique de filière, en par­ti­cu­lier pour répondre aux besoins sur les métiers en ten­sion. Un défi lorsque l’on connaît les besoins de recru­te­ment du naval de défense, notam­ment aux éche­lons ouvriers et tech­ni­ciens (du bre­vet à bac + 3). Plus de 70 000 embauches ont été effec­tuées en dix ans avec à la clé plus de 20 000 créa­tions nettes d’emplois. Pour la construc­tion navale, même si elle est tou­chée de manière conjonc­tu­relle par la crise sani­taire comme de nom­breux autres sec­teurs, nous esti­mons qu’il y a encore un besoin de recru­te­ment (CDD, CDI et alter­nants confondus).

Nous devons déve­lop­per mas­si­ve­ment l’attractivité de nos métiers tech­niques auprès des jeunes et adap­ter l’offre de for­ma­tion ini­tiale à nos besoins indus­triels en nava­li­sant les for­ma­tions et en label­li­sant leur conte­nu. Depuis sa créa­tion en 2018, le Cam­pus des indus­tries navales est la colonne ver­té­brale de ce dis­po­si­tif. Ce pro­jet col­la­bo­ra­tif, dont Naval Group est le moteur, ras­semble cinq régions, cinq indus­triels, quatre minis­tères et trois syn­di­cats professionnels. 

Développer la diversité au sein de nos entreprises

Il nous faut enfin et tou­jours pro­mou­voir la mixi­té. Comme dans tous les métiers tech­niques, nous avons encore du mal à atti­rer des femmes alors que nos besoins sont très impor­tants. Convaincre, dès le col­lège et le lycée, des jeunes filles de choi­sir des filières tech­niques ou de pour­suivre leurs études vers des écoles d’ingénieurs fait par­tie de nos objec­tifs. Nous comp­tons pour cela sur de nom­breuses ini­tia­tives menées sur le ter­rain par des asso­cia­tions de femmes enga­gées, à l’image de l’association Elles Bougent, pour faire connaître nos entre­prises et don­ner envie à plus de femmes jeunes ou moins jeunes de venir y faire carrière. 

Et, pour une entre­prise de sou­ve­rai­ne­té comme Naval Group, être à l’image de la socié­té que nous ser­vons est un enjeu stra­té­gique sur le long terme ! 

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