Neuf mois pour réorganiser un opérateur de télécommunication

Dossier : Le conseil en managementMagazine N°548 Octobre 1999
Par Michel BARTH (79)
Par Roland de LA BROSSE

La réorientation stratégique d’une « start-up » des télécoms

Créée il y a quelques années dans un pays euro­péen dans un contexte de déré­gle­men­ta­tion nais­sante, une « start-up » de télé­com­mu­ni­ca­tion se consa­crant ini­tia­le­ment à une offre de pro­duit unique vers un seul seg­ment de clien­tèle avait pour ambi­tion de deve­nir sur ce seg­ment le numé­ro deux du mar­ché der­rière l’o­pé­ra­teur his­to­rique. L’offre était basée sur la construc­tion d’un réseau en propre, com­plé­té par l’u­ti­li­sa­tion en sous-trai­tance des capa­ci­tés de l’o­pé­ra­teur his­to­rique. Grâce à un déve­lop­pe­ment sou­te­nu, ce pre­mier pari a été gagné.

Le mou­ve­ment inin­ter­rom­pu de conver­gence entre la voie fixe et mobile, la trans­mis­sion de don­nées et l’In­ter­net ont néces­si­té de recon­si­dé­rer les objec­tifs ini­tiaux, et d’en­vi­sa­ger une réorien­ta­tion de la stra­té­gie : d’un objec­tif de lea­der­ship sur un seg­ment de mar­ché unique, il était désor­mais indis­pen­sable pour la « start-up » de deve­nir un acteur glo­bal cou­vrant l’en­semble de l’offre de télé­com­mu­ni­ca­tion sur la tota­li­té des seg­ments de mar­ché du pays consi­dé­ré. Concré­ti­sée par le lan­ce­ment de plu­sieurs pro­jets com­pre­nant d’im­por­tants inves­tis­se­ments, dans un contexte de crois­sance expo­nen­tielle de l’ac­ti­vi­té, la réorien­ta­tion stra­té­gique ne pou­vait cepen­dant s’ef­fec­tuer sans une pro­fonde réorganisation.

Comment s’organiser dans le cadre d’une très forte croissance des activités

Trois enjeux carac­té­ri­saient le contexte de la réorien­ta­tion stratégique.

Le carac­tère imma­té­riel et touf­fu de l’offre, l’im­por­tance des inves­tis­se­ments liés au réseau et aux sys­tèmes infor­ma­tiques dans un contexte d’é­vo­lu­tions tech­no­lo­giques accé­lé­rées, la néces­si­té d’une imbri­ca­tion très pous­sée entre les sys­tèmes d’in­for­ma­tion, le réseau et les pro­ces­sus com­mer­ciaux (com­mande – livrai­son, fac­tu­ra­tion…), la pré­sence d’un grand nombre de métiers très dif­fé­rents depuis la main­te­nance réseau jus­qu’au ser­vice clients ren­daient le pro­blème posé par­ti­cu­liè­re­ment complexe.

Par ailleurs, la dyna­mique de déve­lop­pe­ment exis­tante devait impé­ra­ti­ve­ment être prise en compte pour lan­cer les nou­veaux pro­jets dans des condi­tions satis­fai­santes. Le contexte de forte crois­sance des acti­vi­tés tra­di­tion­nelles était d’ailleurs un fac­teur de com­plexi­té sup­plé­men­taire pour les équipes et le mana­ge­ment. Car com­ment se déployer sur des mar­chés nou­veaux tout en res­tant foca­li­sé sur le mar­ché de base ?

Enfin, l’or­ga­ni­sa­tion, ini­tia­le­ment conçue pour un seul pro­duit et un seul seg­ment de clien­tèle, devait être for­te­ment repen­sée : construite autour d’un « râteau » de direc­teurs fonc­tion­nels, cha­cun en charge d’un métier : com­mer­cial, mar­ke­ting, réseau, infor­ma­tique, ser­vice clients, res­sources humaines, qua­li­té et finance, elle ne pou­vait en fait fonc­tion­ner dans un contexte mul­ti­mar­ché et multiproduit.

Une pre­mière expé­rience de lan­ce­ment d’un pro­duit dif­fé­rent de l’offre de base s’é­tait d’ailleurs sol­dée par un qua­si-échec, du fait d’une culture d’en­tre­prise du « nous savons tout faire », avec un goût cer­tain pour la nou­veau­té, mais sans que les enjeux d’or­ga­ni­sa­tion soient néces­sai­re­ment bien pris en compte.

La com­bi­nai­son de ces trois fac­teurs a ame­né le comi­té de direc­tion à consi­dé­rer que, dans le cadre de ce nou­veau pro­jet, une réor­ga­ni­sa­tion d’en­semble s’im­po­sait. Cette réor­ga­ni­sa­tion devait être conduite dans des délais très brefs, pour res­pec­ter le calen­drier des pro­jets com­mer­ciaux déjà lan­cés. Dans ce laps de temps très court, les cinq axes de chan­ge­ment décrits ci-des­sous ont ain­si été mis en place de façon simultanée.

1er axe : la création d’entités orientées marchés et produits

L’or­ga­ni­sa­tion ini­tiale, par « silos » fonc­tion­nels (ventes, mar­ke­ting, ser­vices sup­port…), ren­dait très dif­fi­cile une foca­li­sa­tion simul­ta­née sur des mar­chés dif­fé­rents, avec des clients aus­si divers que, d’une part, le grand public avec des besoins simples de télé­pho­nie fixe ou mobile, ou que, d’autre part, les entre­prises mul­ti­na­tio­nales avec des sites dis­tants s’é­chan­geant des données.

La mise en place d’en­ti­tés, cha­cune res­pon­sable d’un seg­ment de mar­ché, devait per­mettre de foca­li­ser les équipes com­mer­ciales sur les besoins spé­ci­fiques de chaque type de clients en les ser­vant de manière indi­vi­dua­li­sée : grand public, pro­fes­sions libé­rales et arti­sans, petites et grandes entreprises.

En plus, chaque enti­té s’est vu confier la res­pon­sa­bi­li­té trans­ver­sale d’une ou plu­sieurs lignes de pro­duits : Inter­net, Intra­net, voix fixe et mobile… Ce choix, qui ne s’est pas impo­sé d’emblée comme une évi­dence, a repo­sé en fait sur le constat que chaque ligne de pro­duits cor­res­pon­dait prin­ci­pa­le­ment à un seg­ment de mar­ché, même si elle pou­vait aus­si être dis­tri­buée sur d’autres segments.

Ain­si, la télé­pho­nie mobile était prin­ci­pa­le­ment le fait du grand public, même si les entre­prises l’u­ti­li­saient aus­si. La res­pon­sa­bi­li­té des lignes de pro­duits don­née aux enti­tés devait per­mettre aux res­pon­sables pro­duits de res­ter le plus proche pos­sible du mar­ché tout en auto­ri­sant une meilleure lisi­bi­li­té finan­cière de l’en­semble, le résul­tat de chaque enti­té reflé­tant vrai­ment la valeur créée par le seg­ment de mar­ché en question.

L’al­ter­na­tive, non rete­nue, visait à confier la res­pon­sa­bi­li­té des lignes de pro­duits à une struc­ture trans­ver­sale aux enti­tés. Ce fai­sant, le risque aurait été de voir se déve­lop­per le syn­drome d’une direc­tion pro­duits deve­nant un véri­table contre-pou­voir aux enti­tés, ce que per­sonne ne souhaitait.

En corol­laire à ce choix d’une double res­pon­sa­bi­li­té seg­ment et pro­duit de chaque enti­té, le prin­cipe du point de contact unique a éga­le­ment été adop­té, chaque client se voyant pro­po­ser l’en­semble de la gamme des pro­duits par un point de contact com­mer­cial unique au sein de chaque enti­té. Ain­si, une coopé­ra­tion très forte était ren­due néces­saire entre les enti­tés, cha­cune devant déve­lop­per des pro­duits pour l’en­semble du Groupe.

Le risque poten­tiel d’un « oubli » de ce prin­cipe, avec ses consé­quences catas­tro­phiques, devait être contrô­lé par des struc­tures de mana­ge­ment ad hoc, ain­si que par la cohé­sion de l’en­semble du comi­té de direc­tion autour des objec­tifs supé­rieurs du Groupe.

L’une des pre­mières consé­quences de ce choix d’or­ga­ni­sa­tion a été l’é­cla­te­ment des fonc­tions ventes et mar­ke­ting dans autant de dépar­te­ments mar­ke­ting et ventes qu’il y avait d’en­ti­tés. Pour les équipes, cet émiet­te­ment a repré­sen­té une perte de pou­voir dif­fi­cile à accep­ter, néces­si­tant de nom­breuses actions de com­mu­ni­ca­tion et d’accompagnement.

2e axe : la création de services partagés

En dehors des fonc­tions « ventes » et « mar­ke­ting », toutes les autres fonc­tions trans­verses ont été grou­pées au sein de ser­vices par­ta­gés entre l’en­semble des enti­tés. Les béné­fices de la consti­tu­tion de tels ser­vices par­ta­gés devaient être de deux ordres.

  • Mise en com­mun des res­sources pour effec­tuer des éco­no­mies sub­stan­tielles, notam­ment en aug­men­tant le taux d’u­ti­li­sa­tion des actifs, en par­ti­cu­lier au niveau des inves­tis­se­ments infor­ma­tique et réseau.
  • Défi­ni­tion de règles d’en­semble, de manière à conso­li­der la culture, les valeurs et l’ho­mo­gé­néi­té du Groupe. Ce deuxième rôle plus stra­té­gique, en sou­tien de la direc­tion géné­rale, n’é­tait pas le moins impor­tant : il s’a­gis­sait en par­ti­cu­lier de garan­tir qu’une enti­té ne prenne pas la spé­ci­fi­ci­té de son métier pour pré­texte à une mar­gi­na­li­sa­tion au sein du Groupe. Ain­si, par exemple, les employés peuvent-ils pas­ser d’une enti­té à une autre de manière trans­pa­rente grâce à une homo­gé­néi­té de la poli­tique de rému­né­ra­tion et d’é­vo­lu­tion de carrière.

Afin de garan­tir la bonne qua­li­té des rela­tions entre les enti­tés et leurs four­nis­seurs internes, les ser­vices par­ta­gés, il a été déci­dé de conclure entre eux des contrats de ser­vice internes, à l’ins­tar des contrats de ser­vice externes fré­quem­ment signés entre un opé­ra­teur de télé­com et ses clients entre­prises. Défi­nir ces contrats de ser­vice a consis­té à faire entrer en négo­cia­tion les enti­tés et les ser­vices par­ta­gés, afin de défi­nir ensemble :

  • le conte­nu des attentes de l’en­ti­té et les spé­ci­fi­ca­tions des ser­vices ren­dus par le ser­vice par­ta­gé pour répondre à ces attentes ;
  • le niveau de qua­li­té atten­du de la pres­ta­tion, mesu­ré par des indi­ca­teurs clés de per­for­mance défi­nis en com­mun par le client et le four­nis­seur internes, et hié­rar­chi­sés pour être inté­grés dans le tableau de bord de l’entreprise ;
  • l’en­ga­ge­ment sur un volume d’ac­ti­vi­té per­met­tant au ser­vice par­ta­gé d’op­ti­mi­ser le dimen­sion­ne­ment des moyens à mettre en œuvre après agré­ga­tion des demandes des dif­fé­rentes entités ;
  • l’en­ga­ge­ment de prix de ces­sion interne du ser­vice par­ta­gé, qui, au-delà de la simple allo­ca­tion des coûts, res­pon­sa­bi­lise celui-ci sur une mise en œuvre de moyens « au plus juste ».

Dans le cas consi­dé­ré, l’exer­cice de défi­ni­tion des contrats de ser­vice a été rela­ti­ve­ment lourd, d’au­tant qu’il a dépas­sé le cadre d’u­ti­li­sa­tion de cet outil plus géné­ra­le­ment obser­vé dans l’in­dus­trie. L’ex­ten­sion de ce sys­tème à l’en­semble des fonc­tions sup­port et aux ser­vices tech­niques a eu pour effet béné­fique de faire prendre conscience aux acteurs de ces dépar­te­ments des impli­ca­tions de la diver­si­fi­ca­tion des acti­vi­tés de l’o­pé­ra­teur sur leur mode de tra­vail, et les tour­ner tous clai­re­ment vers leurs clients.

Par ailleurs, ces contrats de ser­vice ont per­mis à celles des enti­tés opé­rant sur les nou­veaux mar­chés et avec les nou­velles offres, de mieux se concen­trer sur leur acti­vi­té « cœur de métier » : ser­vir au mieux et avec pro­fit leurs clients.

En effet, dans un contexte de lan­ce­ment, le fait de pou­voir faire l’é­co­no­mie de la mise en place de struc­tures non direc­te­ment pro­duc­tives a consti­tué sans aucun doute un atout. Atout qui n’a tou­te­fois pas été tou­jours immé­dia­te­ment iden­ti­fié comme tel puis­qu’une « start up » nais­sante était pla­cée dès le début dans un contexte d’en­tre­prise adulte, avec les contraintes qui y sont tra­di­tion­nel­le­ment asso­ciées : obli­ga­tion de suivre des pro­ces­sus de groupe, ten­dance de l’or­ga­ni­sa­tion his­to­rique à reje­ter la greffe…

Des réac­tions de rejet ont pu effec­ti­ve­ment être consta­tées de part et d’autre, et celles-ci ont alors ren­du néces­saire un dia­logue construit et nour­ri pour faire dia­lo­guer fruc­tueu­se­ment les enti­tés en pré­sence et ain­si tirer béné­fice des synergies.

3e axe : le renforcement de l’axe transversal processus

Très rapi­de­ment, la mise en place des contrats de ser­vice a per­mis de bien cer­ner deux pro­blèmes majeurs.

Tout d’a­bord, habi­tués à une coopé­ra­tion infor­melle héri­tée de la période « héroïque » de la créa­tion de l’en­tre­prise, les dif­fé­rents par­te­naires tra­vaillaient plus par calages suc­ces­sifs en fonc­tion d’ob­ser­va­tions prag­ma­tiques qu’en fonc­tion d’une défi­ni­tion ex ante de pro­cé­dures de tra­vail déduites d’un modèle d’or­ga­ni­sa­tion. Très cen­tra­li­sée, la plu­part des déci­sions se pre­nant au niveau du comi­té de direc­tion, cette orga­ni­sa­tion voyait paral­lè­le­ment avec l’ac­crois­se­ment du volume d’ac­ti­vi­té son effi­ca­ci­té se réduire, le comi­té ne réus­sis­sant plus à trai­ter en temps et en heure les dos­siers tou­jours plus nombreux.

Par ailleurs, le modèle entités/services par­ta­gés basé sur des contrats de ser­vice créait le risque de l’ins­ti­tu­tion­na­li­sa­tion d’une coopé­ra­tion sur un mode « gui­chet », où les dépar­te­ments n’in­te­ra­gissent qu’a­vec leur contrat de ser­vice à la main, se tenant de manière stricte à leurs enga­ge­ments sans cher­cher à trou­ver une solu­tion optimale.

Ain­si une enti­té pou­vait-elle déri­ver vers un mode de tra­vail où le reste de l’or­ga­ni­sa­tion n’é­tait plus pour elle qu’une « boîte noire », dont elle ne cher­chait même plus à com­prendre le fonc­tion­ne­ment. Ceci aurait certes pu consti­tuer un opti­mum local, mais aurait été évi­dem­ment contraire aux inté­rêts supé­rieurs du Groupe.

Pour évi­ter ces tra­vers, il a été déci­dé de mettre en avant les pro­ces­sus. Préa­la­ble­ment consi­dé­rés comme utiles sur­tout pour la cer­ti­fi­ca­tion ISO, il a fal­lu un « ren­ver­se­ment cultu­rel » pour qu’ils appa­raissent comme de réels outils au ser­vice de l’ef­fi­ca­ci­té opé­ra­tion­nelle, avec l’ob­jec­tif de faire tra­vailler ensemble effi­ca­ce­ment les acteurs de l’en­tre­prise afin de déli­vrer le bon résultat.

Ce chan­ge­ment était faci­li­té par la modi­fi­ca­tion du péri­mètre des acti­vi­tés de l’en­tre­prise qui trans­for­mait de toute façon la teneur des rela­tions de tra­vail, ren­dant néces­saire une revue cri­tique des pro­ces­sus et leur adaptation.

Cette mise en avant des pro­ces­sus a été réa­li­sée par la refonte de la car­to­gra­phie d’en­semble des pro­ces­sus (pour une mise en confor­mi­té avec le nou­veau cadre stra­té­gique), avec, paral­lè­le­ment, le ren­for­ce­ment du rôle de res­pon­sable de pro­ces­sus. Ces res­pon­sables ont été choi­sis par­mi les direc­teurs opé­ra­tion­nels d’un poids suf­fi­sam­ment éle­vé dans l’or­ga­ni­sa­tion, qui se sont vu confier une mis­sion d’en­semble sur le pro­ces­sus, sur laquelle ils devaient être évalués.

Dans la mise en œuvre de ce type d’or­ga­ni­sa­tion, il est cepen­dant essen­tiel de res­ter vigi­lant : une uti­li­sa­tion trop dog­ma­tique des pro­ces­sus peut conduire à des résul­tats inverses à ceux sou­hai­tés : dans le meilleur des cas, le pro­ces­sus devient un clas­seur de méthodes inap­pli­quées. Dans le pire des cas, il devient un para­site qui per­turbe le bon fonc­tion­ne­ment de l’or­ga­ni­sa­tion et la sclé­rose, empê­chant les évo­lu­tions lors­qu’elles sont nécessaires.

4e axe : la création d’un axe transversal de pilotage de lignes de produits

L’aug­men­ta­tion du nombre de réfé­rences de pro­duits incluses dans le por­te­feuille ren­daient les tâches des dif­fé­rents dépar­te­ments beau­coup plus com­plexes, le mar­ke­ting devant assu­rer chaque fois la défi­ni­tion du mar­ke­ting mix de cha­cun des pro­duits et son posi­tion­ne­ment rela­tif, le dépar­te­ment réseaux pre­nant en compte des pro­duits aux carac­té­ris­tiques de plus en plus variées, le dépar­te­ment infor­ma­tique réa­li­sant des déve­lop­pe­ments mul­tiples… Il y avait un risque de voir cer­tains pro­duits « sacri­fiés » par l’un ou l’autre des acteurs de la chaîne de pro­duc­tion, sans consi­dé­ra­tion du manque à gagner commercial.

Il a donc été déci­dé, en com­plé­ment de l’axe trans­ver­sal hori­zon­tal pro­ces­sus, de pous­ser un deuxième axe trans­ver­sal, ver­ti­cal cette fois, concer­nant le pilo­tage par lignes de pro­duits. Confier à une per­sonne unique la res­pon­sa­bi­li­té trans­ver­sale de l’en­semble du cycle de pro­duc­tion devait per­mettre d’as­su­rer la bonne coor­di­na­tion de l’en­semble des dépar­te­ments impli­qués dans son déve­lop­pe­ment et sa pro­duc­tion. Le pilote de la ligne de pro­duits devait avoir un rôle glo­bal, au niveau des aspects éco­no­miques, opé­ra­tion­nels, mar­ke­ting et ventes, réa­li­sant ain­si une véri­table enti­té vir­tuelle autour de son compte de résul­tat produit.

La dif­fi­cul­té prin­ci­pale de cette démarche a été le choix du niveau hié­rar­chique le plus appro­prié pour cette fonc­tion, ain­si que l’i­den­ti­fi­ca­tion des can­di­dats poten­tiels au sein de l’or­ga­ni­sa­tion. Une solu­tion envi­sa­geable était de don­ner un poids très fort à ce nou­veau rôle en créant des postes de niveau direc­tion, à l’ins­tar de ce qui se fait dans l’in­dus­trie auto­mo­bile par exemple.

Ici, une solu­tion médiane a été pri­vi­lé­giée, capi­ta­li­sant sur la fonc­tion mar­ke­ting qui jouait déjà plus ou moins ce rôle de manière dif­fuse, en consi­dé­rant que la com­pé­tence don­nait une légi­ti­mi­té forte à la démarche de pilo­tage. De plus, cette solu­tion était la seule qui ne bou­le­ver­sait pas trop l’or­ga­ni­sa­tion, et qui res­tait donc accep­table par celle-ci.

Cepen­dant, cette « prise de pou­voir » des res­pon­sables des lignes de pro­duits reste encore aujourd’­hui un sujet d’ac­tua­li­té, car elle demande un chan­ge­ment des men­ta­li­tés, à com­men­cer par les prin­ci­paux intéressés.

5e axe : l’alignement du système financier

La mise en place d’une telle orga­ni­sa­tion exi­geait la mise en place en paral­lèle d’ou­tils de sui­vi bud­gé­taires pour assu­rer au mana­ge­ment un sui­vi pré­cis des résul­tats éco­no­miques de chaque enti­té : un compte de résul­tat par enti­té, la mesure de la ren­ta­bi­li­té de chaque ligne de pro­duits, de chaque caté­go­rie de clients, voire une esti­ma­tion du coût des processus.

Le modèle finan­cier à mettre en place devait s’ap­puyer sur une ana­lyse « d’Acti­vi­ty Based Cos­ting (ABC) ». Celle-ci devait per­mettre en par­ti­cu­lier de cal­cu­ler les prix de ces­sion interne entre ser­vices par­ta­gés et enti­tés, mesu­rer les béné­fices à attendre d’une uti­li­sa­tion opti­mi­sée de ceux-ci, et enfin, iden­ti­fier le coût de la non-qualité.

La nou­velle orga­ni­sa­tion devait modi­fier éga­le­ment consi­dé­ra­ble­ment le mode de consti­tu­tion du bud­get, puisque l’al­lo­ca­tion des res­sources devait désor­mais se réa­li­ser méca­ni­que­ment lors des négo­cia­tions des contrats de ser­vice, au lieu de résul­ter d’une approche « de haut en bas » du comi­té de direction.

Dans le nou­veau sché­ma d’or­ga­ni­sa­tion, chaque enti­té devait défi­nir ses besoins avec ses four­nis­seurs internes qui lui com­mu­ni­quaient un prix de ces­sion interne pré­vi­sion­nel (approche « de bas en haut »). Ce prix dépen­dait du niveau de qua­li­té ou de per­for­mance sou­hai­té, l’ou­til « d’Acti­vi­ty Based Cos­ting » per­met­tant de quan­ti­fier l’in­ci­dence finan­cière d’une varia­tion de chaque fac­teur. Le bud­get d’un ser­vice par­ta­gé devait donc doré­na­vant être com­po­sé prin­ci­pa­le­ment par les reve­nus liés aux com­mandes des enti­tés, et non par une somme allouée for­fai­tai­re­ment par la direc­tion générale.

Un tel sys­tème finan­cier avait l’a­van­tage de per­mettre des com­pa­rai­sons entre le prix des ser­vices ren­dus en interne et le prix qui serait payé si le ser­vice était exter­na­li­sé, c’est-à-dire ache­té à un four­nis­seur externe.

Tou­te­fois, afin de garan­tir l’in­té­gri­té du groupe, il a été déci­dé de ne pas per­mettre à une enti­té de faire effec­ti­ve­ment appel aux ser­vices de socié­tés exté­rieures quand les com­pé­tences et les moyens exis­taient en interne.

La lisi­bi­li­té finan­cière pla­çait pour­tant les four­nis­seurs internes sous une pres­sion forte des enti­tés, ce qui devait avoir pour consé­quence l’a­mé­lio­ra­tion constante de la qua­li­té de leur service.

La mise en œuvre opé­ra­tion­nelle de ce modèle finan­cier est encore en cours aujourd’­hui, car elle demande quelques années, et néces­site des paliers suc­ces­sifs de pro­grès calés sur les périodes budgétaires.

Conclusion

Lorsque le comi­té de direc­tion a esti­mé qu’un nou­veau cadre orga­ni­sa­tion­nel d’en­semble devait être mis sur pied très rapi­de­ment, il a déci­dé de le faire sous la forme d’un pro­jet de réor­ga­ni­sa­tion struc­tu­ré. Pro­gram­mé pour durer moins de neuf mois, le pro­jet a été décou­pé en trois phases : vision (deux mois), concep­tion détaillée du modèle d’or­ga­ni­sa­tion (quatre mois) et déploie­ment opé­ra­tion­nel, celui-ci étant tou­jours en cours.

Dans un tel pro­jet de réor­ga­ni­sa­tion, l’en­jeu majeur est bien sûr l’ac­cep­ta­tion par l’or­ga­ni­sa­tion du nou­veau sché­ma direc­teur. Une des dif­fi­cul­tés prin­ci­pales a par exemple rési­dé dans la capa­ci­té à créer un débat posé là où des enjeux de pou­voir per­son­nels très forts étaient en ques­tion, venant sou­vent per­tur­ber la séré­ni­té des échanges, au moment de défi­nir la vision d’en­semble du cadre orga­ni­sa­tion­nel futur.

Dans ce contexte, les consul­tants jouent un rôle impor­tant d’in­ter­faces, d’ex­perts, d’a­na­lystes, de créa­tifs, de cata­ly­seurs et de « coachs ».

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