Nicolas-Toussaint Charlet : les grandes heures du dessin à la plume à Polytechnique
Nicolas-Toussaint Charlet (1792−1845) entre en 1817 dans l’atelier d’Antoine-Jean Gros et il réussit surtout dans le dessin et la lithographie. Géricault, qui apprécie son talent, sera son ami. Il est nommé professeur de dessin à l’École polytechnique fin 1838. Il y apporte des changements de méthode d’enseignement en introduisant le dessin à la plume.
La Sabix a récemment remis un recueil de lithographies de Charlet à l’École polytechnique.
« Je veux tâcher de rendre fructueuses le peu d’heures que les élèves de l’École polytechnique peuvent consacrer à l’étude du dessin… C’est alors que je songeai au dessin à la plume… La promptitude de l’exécution, l’aspect vigoureux obtenu par des moyens simples leur fit préférer ce genre à tous les autres. » [Lacombe, Charlet sa vie, ses lettres, 1856]. Il s’agit d’apprendre au polytechnicien, futur militaire et ingénieur, un dessin rapide, sommaire, sacrifiant le détail à l’ensemble, ce qu’il estime plus approprié à sa carrière future. Il remplace les modèles très élaborés par des figures et des paysages où le trait domine et où les ombres sont indiquées par les masses. Il propose de dessiner les espèces d’arbres « les plus nécessaires » : orme, chêne et sapin, saule et peuplier. S’y ajoutent les costumes militaires des différents règnes depuis Henri IV et tous les types de soldats, du conscrit ou du grenadier au vieux grognard.
L’enseignement du dessin dès les origines de l’École polytechnique
Le dessin d’imitation est enseigné dès la création de l’École polytechnique en 1794. François-Marie Neveu (1756−1808) en est le premier « instituteur ». À partir de l’an IX, le Conseil de perfectionnement préconise l’emploi du dessin géométrique, qui s’inspirait des méthodes de la géométrie descriptive de Monge. De 1808 à 1816, François-André Vincent (1747−1816) conserve la même ligne d’apprentissage que Neveu : la copie d’après des estampes ou des moulages d’après l’antique. Même méthode jusqu’en 1822 avec Jean-Baptiste Regnault (1754−1829). Après une suppression du poste de 1822 à 1838, Charlet propose avec le dessin à la plume une méthode d’enseignement plaisante et permettant aux élèves d’obtenir rapidement des résultats. Dès 1839 paraît un recueil de dessins à la plume lithographiés, destinés à l’enseignement, avec une seconde édition parue en 1842 : Suite de dessins à la plume à l’usage des élèves des écoles spéciales des Ponts et Chaussées, de Metz, d’État-Major, Polytechnique, militaires et autres, par Charlet, professeur de dessin à l’École royale polytechnique, 1842, à Paris chez Gihaut frères, éditeurs.
Une acquisition par la Sabix pour le fonds historique de l’X
C’est cet ouvrage, signalé par René Coulomb (51), administrateur de la Sabix, qui est acheté par l’association lors de la vente du 4 décembre 2019 salle Favart, pour être remis à l’École polytechnique, pour sa bibliothèque. La Sabix, Société des amis de la bibliothèque, du musée et de l’histoire de l’X, remplit ainsi l’un de ses objectifs : enrichir le fonds ancien de l’X au moyen de dons, d’achats, tout comme elle l’améliore et le valorise en contribuant à sa restauration et à sa communication par son soutien aux expositions.
Rappelons l’importance du fonds historique de l’X conservé dans sa bibliothèque. Constitué de collections bibliographiques, scientifiques et artistiques provenant à l’origine des biens nationaux ou des académies dissoutes, il ne cesse de s’enrichir pour satisfaire aux besoins de l’enseignement. Ce fonds qui comprend aussi d’abondantes archives est d’une richesse exceptionnelle pour l’histoire des sciences comme pour l’histoire de l’École. La bibliothèque assure aujourd’hui une mission de conservation et de mise en valeur du patrimoine de l’École, épaulée par la Sabix. Elle remplit une fonction élargie de bibliothèque, de centre d’archives et de musée avec la création du Mus’X en 2018.
Un ouvrage restauré
Le recueil de Charlet acquis par la Sabix complète une collection de trente lithographies de ce professeur, contrecollées dans des albums de conservation. Seize d’entre elles sont des doubles du recueil publié chez Gihaut en 1842. Il s’agit d’un volume in-folio, contenant 59 lithographies, dessins à la plume sur pierre, précédées d’un titre lithographié et de deux feuillets de texte typographié. La plupart des lithographies portent de plus la mention : « Lith. de Villain ».
La reliure est un demi-chagrin rouge, papier Annonay sur les plats, dos à cinq nerfs, orné de cinq fleurons et titre doré : Charlet – Dessins à la plume. Le titre est illustré par Charlet. La reliure en mauvais état a été restaurée par l’atelier de restauration (Centre de ressources historiques à la bibliothèque).
L’art de manier la plume
Dans son introduction intitulée La plume. Causerie artistique, il développe les principes de son enseignement. Le dessin à la plume est un « moyen simple et énergique d’exprimer une pensée, de rendre une forme et un aspect… La plume est un outil excellent, commode et peu dispendieux ; il donne à la main résolution et fermeté dans l’exécution. » Témoignages de travaux d’élèves d’après Charlet – on garde ses méthodes après son décès –, trois dessins à la plume sur papier bleu de Louis André (X 1857), général devenu ministre de la Guerre sous la IIIe République, sont conservés dans les archives. Datés de décembre 1857 et janvier 1858 pour le troisième, ils sont très bien notés : 18, 19 et 20.
Un héritage toujours présent
L’œuvre lithographique de Charlet est abondante : plus de 1 000 feuilles, près de 2 000 dessins à la sépia, à l’aquarelle, à la plume et des eaux-fortes. Dans un article sur l’enseignement du dessin à Polytechnique paru en 1987, Hervé Loilier (67), lui-même professeur d’arts plastiques à l’X de 1973 à 2012, assure que Charlet a su dépoussiérer l’enseignement. Toutefois les modèles de dessin proposés par Charlet ont une valeur plus pédagogique qu’artistique, et H. Loilier précise : « On enseigne davantage une technique destinée à reproduire qu’un art qui développe les facultés d’invention, d’imagination créatrice, chez les élèves. » Pour finir soulignons que Nicolas-Toussaint Charlet, pionnier de la lithographie, fut un artiste admiré de ses contemporains, tels Géricault, Delacroix, Musset. Il contribue à développer l’imagerie napoléonienne comme en témoigne son ouvrage L’empereur et la garde impériale paru en 1853. Il peint également des grands tableaux d’histoire dont Épisode de la Retraite de Russie (1836) conservé au musée des Beaux-Arts de Lyon.
Références
- L’empereur et la garde impériale… / Charlet, Nicolas-Toussaint 1853 I2 40
- Charlet sa vie, ses lettres, suivi d’une description raisonnée de son œuvre lithographique par M. de La Combe, Paulin et Le Chevalier, Paris, 1856 https://ccfr.bnf.fr/portailccfr/ark:/06871/0018985896
- Charlet et son œuvre, Dayot (Armand) [Paris] : Librairies-Imprimeries réunies, 1893 I1A 151
- Notice historique sur l’enseignement du dessin à l’École polytechnique par G. Pinet [1910] X2B 60
- Charlet à l’école Polytechnique : extrait de la revue L’Art ancien et moderne juillet 1910 / Pinet, Gaston (X 1864) Paris : École polytechnique, 1910 I1A 232
- « Les arts plastiques. L’enseignement du dessin et des arts à l’École polytechnique. Quelques artistes polytechniciens », Hervé Loilier (67), in La Jaune et la Rouge n° n°421, 1987
- Charlet : aux origines de la légende napoléonienne, 1792–1845 :[exposition 2009] VII 2B2 (2009) CHA
- Bulletin de la Sabix n°52 2013 « À la rencontre des peintres polytechniciens » : L’enseignement du dessin et des arts à l’École polytechnique. Un enseignement des arts à Polytechnique ? Pourquoi ? Comment ? par Hervé Loilier
- Bulletin de la Sabix n°62 2018 « Guerre et Paix. Des Polytechniciens en Russie 1810–1840 » : Charlet, un professeur de dessin bien choisi par Christian Marbach