Deux élèves de l’École polytechnique

Nicolas-Toussaint Charlet : les grandes heures du dessin à la plume à Polytechnique

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°757 Septembre 2020
Par Marie-Christine THOORIS

Nico­las-Tous­saint Char­let (1792−1845) entre en 1817 dans l’atelier d’Antoine-Jean Gros et il réus­sit sur­tout dans le des­sin et la litho­gra­phie. Géri­cault, qui appré­cie son talent, sera son ami. Il est nom­mé pro­fes­seur de des­sin à l’École poly­tech­nique fin 1838. Il y apporte des chan­ge­ments de méthode d’enseignement en intro­dui­sant le des­sin à la plume. 
La Sabix a récem­ment remis un recueil de litho­gra­phies de Char­let à l’École polytechnique.

Nicolas-Toussaint Charlet
Nico­las-Tous­saint Char­let (1792−1845) © Col­lec­tions École poly­tech­nique, Palaiseau

« Je veux tâcher de rendre fruc­tueuses le peu d’heures que les élèves de l’École poly­tech­nique peuvent consa­crer à l’étude du des­sin… C’est alors que je son­geai au des­sin à la plume… La promp­ti­tude de l’exécution, l’aspect vigou­reux obte­nu par des moyens simples leur fit pré­fé­rer ce genre à tous les autres. » [Lacombe, Char­let sa vie, ses lettres, 1856]. Il s’agit d’apprendre au poly­tech­ni­cien, futur mili­taire et ingé­nieur, un des­sin rapide, som­maire, sacri­fiant le détail à l’ensemble, ce qu’il estime plus appro­prié à sa car­rière future. Il rem­place les modèles très éla­bo­rés par des figures et des pay­sages où le trait domine et où les ombres sont indi­quées par les masses. Il pro­pose de des­si­ner les espèces d’arbres « les plus néces­saires » : orme, chêne et sapin, saule et peu­plier. S’y ajoutent les cos­tumes mili­taires des dif­fé­rents règnes depuis Hen­ri IV et tous les types de sol­dats, du conscrit ou du gre­na­dier au vieux grognard.

L’enseignement du dessin dès les origines de l’École polytechnique

Le des­sin d’imitation est ensei­gné dès la créa­tion de l’École poly­tech­nique en 1794. Fran­çois-Marie Neveu (1756−1808) en est le pre­mier « ins­ti­tu­teur ». À par­tir de l’an IX, le Conseil de per­fec­tion­ne­ment pré­co­nise l’emploi du des­sin géo­mé­trique, qui s’inspirait des méthodes de la géo­mé­trie des­crip­tive de Monge. De 1808 à 1816, Fran­çois-André Vincent (1747−1816) conserve la même ligne d’apprentissage que Neveu : la copie d’après des estampes ou des mou­lages d’après l’antique. Même méthode jusqu’en 1822 avec Jean-Bap­tiste Regnault (1754−1829). Après une sup­pres­sion du poste de 1822 à 1838, Char­let pro­pose avec le des­sin à la plume une méthode d’enseignement plai­sante et per­met­tant aux élèves d’obtenir rapi­de­ment des résul­tats. Dès 1839 paraît un recueil de des­sins à la plume litho­gra­phiés, des­ti­nés à l’enseignement, avec une seconde édi­tion parue en 1842 : Suite de des­sins à la plume à l’usage des élèves des écoles spé­ciales des Ponts et Chaus­sées, de Metz, d’État-Major, Poly­tech­nique, mili­taires et autres, par Char­let, pro­fes­seur de des­sin à l’École royale poly­tech­nique, 1842, à Paris chez Gihaut frères, éditeurs.

Une acquisition par la Sabix pour le fonds historique de l’X

C’est cet ouvrage, signa­lé par René Cou­lomb (51), admi­nis­tra­teur de la Sabix, qui est ache­té par l’association lors de la vente du 4 décembre 2019 salle Favart, pour être remis à l’École poly­tech­nique, pour sa biblio­thèque. La Sabix, Socié­té des amis de la biblio­thèque, du musée et de l’histoire de l’X, rem­plit ain­si l’un de ses objec­tifs : enri­chir le fonds ancien de l’X au moyen de dons, d’achats, tout comme elle l’améliore et le valo­rise en contri­buant à sa res­tau­ra­tion et à sa com­mu­ni­ca­tion par son sou­tien aux expositions.

Rap­pe­lons l’importance du fonds his­to­rique de l’X conser­vé dans sa biblio­thèque. Consti­tué de col­lec­tions biblio­gra­phiques, scien­ti­fiques et artis­tiques pro­ve­nant à l’origine des biens natio­naux ou des aca­dé­mies dis­soutes, il ne cesse de s’enrichir pour satis­faire aux besoins de l’enseignement. Ce fonds qui com­prend aus­si d’abondantes archives est d’une richesse excep­tion­nelle pour l’histoire des sciences comme pour l’histoire de l’École. La biblio­thèque assure aujourd’hui une mis­sion de conser­va­tion et de mise en valeur du patri­moine de l’École, épau­lée par la Sabix. Elle rem­plit une fonc­tion élar­gie de biblio­thèque, de centre d’archives et de musée avec la créa­tion du Mus’X en 2018.

Un ouvrage restauré

Le recueil de Char­let acquis par la Sabix com­plète une col­lec­tion de trente litho­gra­phies de ce pro­fes­seur, contre­col­lées dans des albums de conser­va­tion. Seize d’entre elles sont des doubles du recueil publié chez Gihaut en 1842. Il s’agit d’un volume in-folio, conte­nant 59 litho­gra­phies, des­sins à la plume sur pierre, pré­cé­dées d’un titre litho­gra­phié et de deux feuillets de texte typo­gra­phié. La plu­part des litho­gra­phies portent de plus la men­tion : « Lith. de Villain ». 

La reliure est un demi-cha­grin rouge, papier Anno­nay sur les plats, dos à cinq nerfs, orné de cinq fleu­rons et titre doré : Char­let – Des­sins à la plume. Le titre est illus­tré par Char­let. La reliure en mau­vais état a été res­tau­rée par l’atelier de res­tau­ra­tion (Centre de res­sources his­to­riques à la bibliothèque).

Charlet, dessins à la plume
© Col­lec­tions École poly­tech­nique, Palaiseau

L’art de manier la plume

Dans son intro­duc­tion inti­tu­lée La plume. Cau­se­rie artis­tique, il déve­loppe les prin­cipes de son ensei­gne­ment. Le des­sin à la plume est un « moyen simple et éner­gique d’exprimer une pen­sée, de rendre une forme et un aspect… La plume est un outil excellent, com­mode et peu dis­pen­dieux ; il donne à la main réso­lu­tion et fer­me­té dans l’exécution. » Témoi­gnages de tra­vaux d’élèves d’après Char­let – on garde ses méthodes après son décès –, trois des­sins à la plume sur papier bleu de Louis André (X 1857), géné­ral deve­nu ministre de la Guerre sous la IIIe Répu­blique, sont conser­vés dans les archives. Datés de décembre 1857 et jan­vier 1858 pour le troi­sième, ils sont très bien notés : 18, 19 et 20.

Un héritage toujours présent

L’œuvre litho­gra­phique de Char­let est abon­dante : plus de 1 000 feuilles, près de 2 000 des­sins à la sépia, à l’aquarelle, à la plume et des eaux-fortes. Dans un article sur l’enseignement du des­sin à Poly­tech­nique paru en 1987, Her­vé Loi­lier (67), lui-même pro­fes­seur d’arts plas­tiques à l’X de 1973 à 2012, assure que Char­let a su dépous­sié­rer l’enseignement. Tou­te­fois les modèles de des­sin pro­po­sés par Char­let ont une valeur plus péda­go­gique qu’artistique, et H. Loi­lier pré­cise : « On enseigne davan­tage une tech­nique des­ti­née à repro­duire qu’un art qui déve­loppe les facul­tés d’invention, d’imagination créa­trice, chez les élèves. » Pour finir sou­li­gnons que Nico­las-Tous­saint Char­let, pion­nier de la litho­gra­phie, fut un artiste admi­ré de ses contem­po­rains, tels Géri­cault, Dela­croix, Mus­set. Il contri­bue à déve­lop­per l’imagerie napo­léo­nienne comme en témoigne son ouvrage L’empereur et la garde impé­riale paru en 1853. Il peint éga­le­ment des grands tableaux d’histoire dont Épi­sode de la Retraite de Rus­sie (1836) conser­vé au musée des Beaux-Arts de Lyon.


Références

  • L’empereur et la garde impé­riale… / Char­let, Nico­las-Tous­saint 1853 I2 40
  • Char­let sa vie, ses lettres, sui­vi d’une des­crip­tion rai­son­née de son œuvre litho­gra­phique par M. de La Combe, Pau­lin et Le Che­va­lier, Paris, 1856 https://ccfr.bnf.fr/portailccfr/ark:/06871/0018985896
  • Char­let et son œuvre, Dayot (Armand) [Paris] : Librai­ries-Impri­me­ries réunies, 1893 I1A 151
  • Notice his­to­rique sur l’enseignement du des­sin à l’É­cole poly­tech­nique par G. Pinet [1910] X2B 60
  • Char­let à l’école Poly­tech­nique : extrait de la revue L’Art ancien et moderne juillet 1910 / Pinet, Gas­ton (X 1864) Paris : École poly­tech­nique, 1910 I1A 232
  • « Les arts plas­tiques. L’enseignement du des­sin et des arts à l’École poly­tech­nique. Quelques artistes poly­tech­ni­ciens », Her­vé Loi­lier (67), in La Jaune et la Rouge n° n°421, 1987
  • Char­let : aux ori­gines de la légende napo­léo­nienne, 1792–1845 :[expo­si­tion 2009] VII 2B2 (2009) CHA
  • Bul­le­tin de la Sabix n°52 2013 « À la ren­contre des peintres poly­tech­ni­ciens » : L’enseignement du des­sin et des arts à l’École poly­tech­nique. Un ensei­gne­ment des arts à Poly­tech­nique ? Pour­quoi ? Com­ment ? par Her­vé Loilier
  • Bul­le­tin de la Sabix n°62 2018 « Guerre et Paix. Des Poly­tech­ni­ciens en Rus­sie 1810–1840 » : Char­let, un pro­fes­seur de des­sin bien choi­si par Chris­tian Marbach

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