Portrait de Nicolas Truelle par Laurent Simon

Nicolas Truelle (X80) Neuf années aux Apprentis d’Auteuil

Dossier : TrajectoiresMagazine N°796 Juin 2024
Par Jérôme BASTIANELLI (X90)

Nico­las Truelle va quit­ter la direc­tion des Appren­tis d’Auteuil après un long man­dat qui est comme le cou­ron­ne­ment d’une car­rière mar­quée par l’expérience de l’humain dans toutes ses dimen­sions. Ren­contre avec le fruit d’un croi­se­ment de ratio­na­li­té et de spiritualisme.

Il y a des chas­seurs de têtes qui ont de drôles de spé­cia­li­tés. Celui qui, en 2014, sug­gé­ra à Nico­las Truelle de pré­sen­ter sa can­di­da­ture à la direc­tion géné­rale de la fon­da­tion Appren­tis d’Auteuil était un ancien sémi­na­riste jésuite. S’il tra­vaillait essen­tiel­le­ment dans le sec­teur de la chi­mie, il avait gar­dé de ses années de congré­ga­tion l’envie de rendre ser­vice à l’Église et à ses diverses éma­na­tions : entre deux mis­sions pour le sec­teur indus­triel, il lui arri­vait de recru­ter un éco­nome dio­cé­sain. Pro­po­ser à la tête de la fon­da­tion catho­lique recon­nue d’utilité publique la nomi­na­tion d’un ingé­nieur riche d’une belle car­rière et dési­reux de mettre ses com­pé­tences au ser­vice de la jeu­nesse en dif­fi­cul­té lui per­met­tait en quelque sorte de faire les deux à la fois.

Un mélange de rationalité et de spiritualisme

Jusqu’alors, le par­cours de notre cama­rade avait été une suite de rebonds autour de deux pôles : un attrait pour la rigueur scien­ti­fique et un goût pro­non­cé pour les rela­tions humaines. Nico­las Truelle s’amuse à voir dans ces oscil­la­tions la consé­quence de sa double culture fami­liale. Du côté pater­nel, on tient un bel exemple d’ascension sociale repo­sant sur le mérite : un arrière-grand-père tan­neur, un grand-père méde­cin, un père poly­tech­ni­cien (pro­mo­tion 47, il fit car­rière chez Alstom), tous adeptes d’une grande ratio­na­li­té dans la conduite de leur exis­tence. Du côté mater­nel, dans une famille d’aristocrates rui­nés par la crise de 1929, on croyait davan­tage aux forces de l’esprit : le grand-père se van­tait de pou­voir déter­mi­ner les mala­dies de ses enfants à l’aide d’un simple pen­dule. « Je suis issu de ce mélange, et je me sens bien dans les deux cou­rants de pen­sée », résume Nicolas.

L’industrie, finalement

En 1980, après une brillante sco­la­ri­té (chez les jésuites, déjà, puis à Louis-le-Grand), il est admis à la fois à Ulm et à l’X. Par goût pour la recherche (il rêve d’une car­rière de bio­lo­giste molé­cu­laire, à une époque où le génie géné­tique était en plein essor), il penche vers l’École nor­male, mais son père lui conseille tout de même d’aller jeter un œil dans les labos tout neufs de l’École poly­tech­nique – la visite du pla­teau le convain­cra de revoir son choix. Sor­ti 11e au clas­se­ment, une année où le corps des Mines offre 11 places, il n’hésite pas, et le voi­là qui fran­chit les portes du monde de l’industrie.

Son pre­mier poste l’amène à Rouen, où il s’occupe à la fois de contrô­ler les entre­prises qui construisent la cen­trale nucléaire de Pen­ly et d’assurer la concer­ta­tion autour des nou­velles auto­routes nor­mandes que le gou­ver­ne­ment a déci­dé de bâtir. « Les tra­cés que pro­po­saient les rive­rains s’éloignaient sou­vent de ce que dic­tait le bon sens tech­nique, se sou­vient-il, et me ren­voyaient à l’opposi­tion ration­nel irra­tion­nel qui marque mon existence. »

L’expérience de l’entreprise

Après cette pre­mière expé­rience, la car­rière de Nico­las Truelle donne un peu le tour­nis. Il revient à Paris, où pen­dant trois ans il est direc­teur de cabi­net du direc­teur géné­ral de l’Industrie (poste occu­pé par Chris­tian Mar­bach puis Didier Lom­bard). Si la décou­verte de la vie poli­tique le fas­cine, le « réel » lui manque, et « qu’est-ce que le réel, sinon une usine ? ». 

On lui conseille alors de prendre l’attache de Jean-Fran­çois Dehecq, le patron de Sano­fi, qui, pré­ci­sé­ment, cherche un direc­teur pour un éta­blis­se­ment chi­mique situé dans le Gard. En veillant à la bonne fabri­ca­tion des prin­cipes actifs qui com­posent, entre autres, le Tran­xene, Nico­las découvre avec enthou­siasme, sans avoir besoin de tran­quilli­sant lui-même, com­ment gérer une petite entre­prise. Les choses se passent tel­le­ment bien que Dehecq lui pro­pose, trois ans plus tard, de deve­nir le DRH de Sano­fi, puis, après trois autres années, le patron opé­ra­tion­nel de la branche diag­nos­tic de Sanofi. 

En 2000, le rachat de cette enti­té par l’américain Bio-Rad offre à Nico­las Truelle l’occasion de faire tout autre chose : à la suite d’une ren­contre avec l’investisseur Abde­la­ziz Zouad, le voi­là direc­teur géné­ral d’une entre­prise… de loca­tion de camions ! Il y met toutes ses éco­no­mies, et toute son éner­gie aus­si, afin de redres­ser l’entreprise puis d’affronter la ter­rible épreuve de la crise de 2008. Mais voi­là qu’il a de nou­veau une envie d’ailleurs : Serge Wein­berg lui pro­pose d’être asso­cié de son fonds d’investissement. Pen­dant quatre ans, il découvre le monde de la finance avec un grand inté­rêt pour l’accompagnement des diri­geants des par­ti­ci­pa­tions, jusqu’au jour où il croise le chas­seur de têtes ancien séminariste.

Les Apprentis d’Auteuil, enfin

De la fon­da­tion Appren­tis d’Auteuil, ce Pari­sien ama­teur de jar­dins ne connais­sait jusqu’alors que la façade et le petit parc devant la cha­pelle. En en pre­nant la direc­tion, il découvre que ce joli par­terre cache une ample struc­ture de ser­vices aux enfants et ado­les­cents vul­né­rables. Et il se prend de pas­sion pour les ques­tions que l’on s’y pose : « com­ment un enfant mal­trai­té va-t-il à nou­veau accep­ter de pla­cer sa confiance dans un adulte ? », « com­ment pas­ser d’une logique de gui­chet, où l’on attend d’être sol­li­ci­té par les jeunes en dif­fi­cul­té, à une logique de l’aller-vers, où l’on part à leur ren­contre, barre d’immeuble par barre d’immeuble ? ».

Ce catho­lique convain­cu trou­ve­ra là l’épanouissement de toute sa car­rière. Mais, après neuf années pas­sées à réflé­chir aux pro­jets édu­ca­tifs les mieux adap­tés à chaque situa­tion per­son­nelle, il aspire main­te­nant à tra­vailler à un autre rythme, un rythme qui lui per­met­trait de s’occuper davan­tage de ses petits-enfants, par exemple. Il quit­te­ra donc ses fonc­tions le 30 juin.

« Les élèves polytechniciens font d’excellents éducateurs spécialisés. »

Quand on sort de son bureau, déco­ré de quelques images en noir et blanc de films avec Bour­vil ou Louis de Funès, il nous glisse : « C’est amu­sant qu’on se soit vu aujourd’hui, car c’est aus­si le jour où je déjeune avec les huit jeunes cama­rades qui ont choi­si de faire leur “for­ma­tion humaine” au sein d’Apprentis d’Auteuil. De l’avis de tous, les élèves poly­techniciens font d’excellents édu­ca­teurs spécialisés. » 

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