Nobuyuki Tsujii, au piano en concert à Saint-Pétersbourg et au Carnegie Hall
Le pianiste japonais Nobuyuki Tsujii est aveugle de naissance. Ces deux DVD montrent l’extrême virtuosité et musicalité de cet artiste, dont le handicap est surmonté et transcendé. L’indépendance remarquable de ses mains lui permet de projeter un son très phonogénique car son jeu est extrêmement lisible et clair, avec une grande maîtrise de la pédale, dont il n’est pas avare.
Tsujii varie constamment les couleurs, les nuances, maintient en permanence l’attention de l’auditeur.
Le premier concert, reproduit ici, réunit dans la nouvelle salle Mariinsky de Saint-Pétersbourg, avec Valery Gergiev à la baguette (ou absence de baguette, car le grand chef russe dirige souvent sans baguette ou avec un simple cure-dent), le Premier Concerto de Tchaïkovski avec Tsujii en soliste, et la Quatorzième Symphonie de Dmitri Chostakovitch.
Le Concerto pour piano n° 1 de Piotr Ilitch Tchaïkovski fut composé en 1875 et revu en 1879 et à nouveau en 1888. Le pianiste dédicataire ne l’apprécia pas (« injouable ») et refusa l’œuvre. C’est pourtant devenu le cheval de bataille des pianistes les plus virtuoses, et Tsujii le maîtrise parfaitement, même si son jeu paraît plus appliqué que l’impression de liberté fougueuse de l’interprétation de Martha Argerich (DVD Euroarts également).
Une très belle interprétation, d’une grande virtuosité, où l’attention continue de Gergiev pour suivre son soliste est très émouvante.
La Symphonie n° 14 op. 135 de Dmitri Chostakovitch a été écrite au printemps 1969. C’est une œuvre pour soprano, basse, petit ensemble de cordes avec percussion où se succèdent onze poèmes (dont six d’Apollinaire), abordant le thème de la mort, injuste ou prématurée. Ces poèmes sont chantés en russe, et malheureusement sans sous-titre alors qu’il existe une version avec les poèmes dans leur langue originale (trouver l’enregistrement de Bernard Haitink).
Les dernières des quinze symphonies de Chostakovitch, comme les derniers de ses quinze quatuors à cordes, austères et faisant preuve d’un ascétisme étonnant, datent des années 1960 et 1970. Ce sont probablement les œuvres de cette époque qui survivront le plus à l’Histoire.
Le concert au Carnegie Hall montre un programme soliste d’une grande intelligence : La 17e sonate, La Tempête, de Beethoven (1802), les Tableaux d’une exposition de Moussorgski et deux pièces de Liszt, et une œuvre contemporaine très intéressante Improvisation et Fugue de John Musto (né en 1954), l’œuvre avec laquelle « Nobu » a remporté le concours Chopin en 2009, dans le style des œuvres pour piano d’Hindemith, Chostakovitch ou Krenek.
En bis le Prélude « à la goutte d’eau » de Chopin très bien construit et une adaptation par Tsujii lui-même de Jeanie with the light brown hair, célèbre chanson populaire américaine du XIXe siècle dont Heifetz lui-même avait mis une adaptation à son catalogue de bis. Ce programme montre la largeur de son répertoire.
Un premier concert au Carnegie Hall est un événement important dans la carrière d’un artiste. On voit Tsujii, avant de pénétrer sur cette scène gigantesque, où le pianiste paraîtra un peu perdu, très impressionné.
Mais le concert est un énorme succès, et le public lui fait un accueil formidable. Le musicien joue naturellement par cœur, mais sans trembler, sans mièvrerie, au contraire avec une maîtrise et une sûreté rares.
Les Tableaux d’une exposition de Modest Moussorgski sont une série de dix pièces pour piano de 1874, inspirées par une exposition du peintre Victor Hartmann, ami du compositeur mort l’année précédente, de plus de 400 de ses œuvres (peintures surtout mais aussi aquarelles, plans, dessin…) à l’Académie des beaux-arts à Saint-Pétersbourg. Seuls six des dix tableaux présentés dans l’œuvre subsistent de nos jours.
La variété des sujets donne prétexte à une œuvre incroyable, mélange de nombreux styles et ambiances musicales.
Cette œuvre a été plusieurs fois orchestrée (notamment par Ravel, orchestration la plus jouée), car il est naturel de vouloir entendre ces morceaux phénoménaux joués par un orchestre symphonique. Avec Tsujii, c’est l’orchestre que l’on entend, tellement son jeu est puissant, contrasté, coloré.
Voici deux DVD vraiment très impressionnants.