Normalisation et éthique, un mariage impossible ?
Point de départ
Ces réflexions font suite à une conférence organisée en mai 2011 par l’Association amicale des ingénieurs des mines. Les participants étaient pour la plupart impliqués professionnellement dans les systèmes d’élaboration de normes, dans les groupes de recherche de consensus.
La question centrale qui se pose en matière de normalisation est l’improbable convergence entre intérêts privés et intérêt général. Cette question n’a pas de solution effective, ou plutôt il ne pouvait en exister une que dans le cadre national où l’État remplissait la fonction régalienne de définir l’intérêt général, le » bien commun », et de faire observer les règlements appropriés. Cette convergence, à l’heure de la mondialisation, est devenue illusoire puisque aucune fonction régalienne n’existe plus au niveau européen, et moins encore au niveau mondial.
Il s’agit d’un problème politique que les spécialistes de la normalisation peinent à appréhender. Mais les pouvoirs publics commencent enfin à vouloir impliquer les consommateurs dans la mécanique de la normalisation.
Précédents
Sans le flambeau de l’Histoire l’esprit chemine dans l’obscurité
Revenons aux leçons de l’histoire, en nous souvenant des mots d’Alexis de Tocqueville : » Sans le flambeau de l’Histoire, l’esprit chemine dans l’obscurité. » Au début du XIXe siècle, l’idée de normaliser les échanges de messages écrits, échange pratiqué depuis des siècles, se fait jour. Ainsi naît le timbre-poste en 1840 en Angleterre, le cachet de la poste, etc. L’Union postale internationale voit le jour, et devient en 1874 l’UPU, l’Union postale universelle.
À la fin du siècle, on normalise les communications télégraphiques, téléphoniques, radioélectriques : ainsi naît l’UIT, Union internationale des télécommunications. Qui a fonctionné plutôt bien jusqu’au tsunami récent de la mondialisation à outrance. Dans ces deux domaines, des normes internationales universellement adoptées ont été respectées durant des décennies qui ont permis aux intérêts privés de prospérer, sans que l’intérêt général soit gravement compromis.
Enjeux concurrentiels
Scandales
Le scandale des ascenseurs fait l’objet d’une indignation unanime chez les experts en matière de règles et normes. Mais personne ne sait expliquer comment l’État a, en France, établi à ce sujet les réglementations que l’on sait, qui appauvrissent les plus modestes et enrichissent quelques entreprises. Cartouches d’encre pour imprimantes, capsules pour machines à café, normes financières et bien d’autres sujets soulèvent le même type de question.
Dans de nombreux domaines, la normalisation a longtemps été utilisée comme frein à la concurrence et comme défense de monopoles abusifs. Il était légitime, même du point de vue de l’intérêt général, que l’adoption de normes évolue sous l’influence du progrès technique.
Depuis plus de trente ans, le développement accéléré des technologies, poussé par un libéralisme économique érigé en dogme universel, encourage l’adoption précipitée de normes dans des domaines où manque le recul social et politique.
Dans les affrontements d’aujourd’hui, l’intérêt général ne fait pas le poids devant les intérêts privés, notamment industriels.
Nouvelle éthique
Que faire ? Qu’espérer ? L’Europe n’est pas près d’avoir un numéro de téléphone unique. Le gouvernement mondial reste un rêve. Pourtant, parfois, une certaine opinion planétaire se dégage. Par exemple, l’idée que le vivant n’est pas brevetable progresse. Pourquoi des économistes, des sociologues, des politiques ne pourraient-ils pas développer l’idée que l’accès au consommable est un droit universel et que par conséquent les brevets touchant à la connectique devraient relever d’un organisme mondial spécifique ?