Normalisation, standardisation et brevets, leviers de l’innovation

Dossier : La propriété intellectuelle : Défendre la créationMagazine N°672 Février 2012
Par Pierre OLLIVIER (78)

REPÈRES

REPÈRES
Les stan­dards concourent à une meilleure inter­opé­ra­bi­li­té des sys­tèmes, per­met­tant ain­si une adop­tion rapide des inno­va­tions tech­niques. Les normes faci­litent la com­mu­ni­ca­tion entre acteurs et per­mettent de pas­ser d’une échelle arti­sa­nale à une échelle indus­trielle. Les bre­vets sont un élé­ment fon­da­men­tal de créa­tion de valeur à par­tir des inno­va­tions car ils maté­ria­lisent en quelque sorte le vir­tuel : ils per­mettent de plan­ter des dra­peaux sur des ter­ri­toires, eux, bien réels (géo­gra­phie, domaines tech­niques) et ensuite de les exploi­ter stra­té­gi­que­ment pour créer et main­te­nir des emplois.

Innovation et créativité

Il y a un appa­rent para­doxe à par­ler de normes et stan­dards quand on évoque l’innovation. Cela vient de la confu­sion fré­quente entre inno­va­tion et créa­ti­vi­té : or la créa­ti­vi­té n’a pas réel­le­ment besoin de règles, sauf pour la favo­ri­ser et lui per­mettre de s’exprimer, alors que l’innovation, ancrée sur le moyen et long terme, en a besoin pour sur­vivre dans une logique de court terme encore très pré­gnante aujourd’hui.

Il existe une étroite rela­tion entre inno­va­tion, normes et brevets

En effet, l’innovation est un véri­table pro­ces­sus per­ma­nent et exi­geant dont il faut mesu­rer toutes les facettes pour espé­rer la rendre réelle : elle ne sau­rait échap­per à cette règle de la nor­ma­li­sa­tion si elle doit tenir le rôle éco­no­mique et socié­tal que l’on entend lui faire jouer : il fau­dra bien lui don­ner un cadre pour lui per­mettre de déployer toute sa capa­ci­té prometteuse.

Marquer les territoires

Dans ce contexte – de manière struc­tu­rante mais non néces­sai­re­ment dis­cri­mi­na­toire par rap­port à d’autres formes de pro­prié­té intel­lec­tuelle –, les bre­vets sont un élé­ment fon­da­men­tal de créa­tion de valeur à par­tir des inno­va­tions, car ils maté­ria­lisent en quelque sorte le vir­tuel : ils per­mettent de plan­ter des dra­peaux sur des ter­ri­toires, eux, bien réels (géo­gra­phie, domaines tech­niques) et ensuite de les exploi­ter stra­té­gi­que­ment pour créer et main­te­nir des emplois. A contra­rio, l’absence de bre­vet crée des situa­tions très dif­fi­ciles à tenir face à une vive concur­rence, par­fois même rédhi­bi­toires, lorsqu’on passe d’une échelle arti­sa­nale à une échelle industrielle.

À cause de ce besoin de répli­ca­tion à grande échelle, il existe une étroite rela­tion entre inno­va­tion, normes et bre­vets ; pour arti­cu­ler conve­na­ble­ment cette rela­tion tout en répon­dant aux grands défis de régions telles que les États- Unis ou la Chine, il est impor­tant d’œuvrer au niveau européen.

Un triple lien

Inno­va­tion, normes et pro­prié­té intel­lec­tuelle s’articulent entre elles de trois manières distinctes.

Mil­liards de dollars
En matière d’économie de la connais­sance, cer­tains États se lancent dans la com­pé­ti­tion avec d’énormes moyens en créant des fonds sou­ve­rains à hau­teur du mil­liard de dol­lars – à titre de com­pa­rai­son, la dota­tion de France Bre­vets est aujourd’hui de 100 M€ – dont le but est la consti­tu­tion de por­te­feuilles de bre­vets per­met­tant à leurs indus­tries stra­té­giques de pros­pé­rer dans le monde entier.

Pre­miè­re­ment, par l’inclusion de tech­no­lo­gies bre­ve­tées dans les normes offi­cielles et les stan­dards tech­niques (normes de fait) : on parle d’innovation par­ta­gée (open inno­va­tion) et de paniers (pools) de bre­vets mis en com­mun par plu­sieurs détenteurs.

Deuxiè­me­ment, par la recom­man­da­tion de bonnes pra­tiques de mana­ge­ment de l’innovation : il s’agit d’utiliser le pro­ces­sus nor­ma­tif pour déve­lop­per des normes de ges­tion de la recherche et de l’innovation ain­si que de la pro­prié­té intel­lec­tuelle. Les com­mis­sions de nor­ma­li­sa­tion euro­péenne CEN/TC-389 et fran­çaise AFNOR/CN-INNOV œuvrent dans ce sens.

Troi­siè­me­ment, par l’organisation des échanges de titres d’actifs imma­té­riels : cela concerne le déve­lop­pe­ment d’outils métho­do­lo­giques nor­ma­tifs pour valo­ri­ser les bre­vets et amé­lio­rer la trans­pa­rence dans les tran­sac­tions met­tant en jeu des bre­vets. Les acteurs éco­no­miques, dans une éco­no­mie de plus en plus dépen­dante de la connais­sance, étu­dient de près les moyens de mettre une valeur sur les actifs imma­té­riels, et en par­ti­cu­lier les bre­vets, tout au long de leur cycle de vie (ex-ante, ex-post).

Pas d’autorégulation

D’autre part, on ne peut espé­rer une auto­ré­gu­la­tion par les mar­chés en matière de connais­sance et de savoir-faire, la com­pé­ti­tion s’organisant désor­mais géo­gra­phi­que­ment, alors que l’on aurait pu croire au départ que l’économie de la connais­sance s’orienterait vers une glo­ba­li­sa­tion à coût mar­gi­nal nul et sans limi­ta­tion de territoire.

Ambition politique

Sécu­ri­ser les actifs
Par­mi les actions qui pour­raient être envi­sa­gées sur le plan fran­çais ou euro­péen figurent des mesures encou­ra­geant les acteurs éco­no­miques et labo­ra­toires publics à dif­fu­ser des bre­vets à tra­vers les normes et les stan­dards, afin de sécu­ri­ser et pro­té­ger leurs actifs tout en flui­di­fiant et ren­dant trans­pa­rents les échanges éco­no­miques issus de ces brevets.

En consé­quence, il devient néces­saire que la France s’organise en liai­son avec ses par­te­naires euro­péens pour créer une poli­tique publique ambi­tieuse en la matière des­ti­née aux entre­prises, en com­plé­ment de celle déjà mise en œuvre pour nos uni­ver­si­tés et nos labo­ra­toires publics. Le cré­dit impôt recherche à lui seul ne répond pas à ce besoin d’un nou­veau genre, puisqu’il ne prend en compte que la créa­tion de bre­vets natio­naux dans le cadre de pro­jets inno­vants, et non leurs exten­sions inter­na­tio­nales ulté­rieures indis­pen­sables à un déve­lop­pe­ment indus­triel et com­mer­cial massif.

Partager l’innovation

Il convien­drait aus­si de favo­ri­ser la nor­ma­li­sa­tion des pra­tiques de l’innovation par­ta­gée dans un res­pect mutuel d’intérêts bien com­pris entre grandes entre­prises, PME et labo­ra­toires publics ; c’est en effet un moyen pri­vi­lé­gié de créer effi­ca­ce­ment et à moindre coût la pro­prié­té intel­lec­tuelle néces­saire à un déve­lop­pe­ment indus­triel sécu­ri­sé. Cela aurait, de plus, l’effet de rendre acces­sibles le lan­gage déci­sion­nel et les bonnes pra­tiques, de faci­li­ter la trans­pa­rence de ges­tion et de démys­ti­fier le carac­tère sou­vent éso­té­rique de la pro­prié­té intellectuelle.

Une Coface des brevets

Ce n’est pas tant la créa­tion de pro­prié­té intel­lec­tuelle qui pose un pro­blème que son exploitation

Les pou­voirs publics pour­raient enfin inci­ter à accom­pa­gner ces pra­tiques nou­velles par des mesures de mutua­li­sa­tion du risque de conten­tieux à l’international, à l’exemple de la Coface pour les risques finan­ciers et com­mer­ciaux. Cette mesure aurait un poids très impor­tant auprès des PME-PMI dans la mesure où ce n’est pas tant la créa­tion de pro­prié­té intel­lec­tuelle qui pose un pro­blème que son exploi­ta­tion, en par­ti­cu­lier lors de conten­tieux bien plus coû­teux à l’international que la seule créa­tion de bre­vet avec ses exten­sions et la main­te­nance asso­ciée, déjà en soi fort coû­teuse mais sans com­mune mesure avec le conten­tieux et ses risques indus­triels asso­ciés – voir les der­nières affaires média­ti­sées dans le domaine des tablettes ou de la télé­pho­nie mobile.

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