Normaliser et standardiser la donnée ESG pour mieux évaluer et suivre la durabilité des entreprises
En matière de données ESG, les acteurs financiers se heurtent à plusieurs enjeux relatifs à la qualité, la transparence et la normalisation des données qu’ils sont amenés à utiliser. Pour lever ce frein, Groupama Asset Management a fait le choix de développer une méthodologie de scoring ESG en collaboration avec la société StarQube, qui permet de fiabiliser le scoring ESG et le monitoring de la donnée ESG dans la durée. Marie-Pierre Peillon, directrice de la recherche et de la stratégie ESG de Groupama Asset Management et membre du comité de direction, et Frédéric Teschner, analyste financier et extra-financier spécialiste des utilities et en charge de l’intégration et du contrôle de la donnée ESG, nous en disent plus.
Dans un contexte marqué par la CSRD, le développement de l’ESG et de la finance durable, le principal enjeu pour le secteur financier réside dans la qualité et la structuration de la donnée. Qu’en est-il ?
Marie-Pierre Peillon : En effet, le secteur est face à de nombreux enjeux en matière de données. Tout d’abord, l’absence de standardisation des données ESG et d’harmonisation des méthodologies qui sont utilisées par les différents fournisseurs, impacte la qualité de la donnée et représente un frein en matière de quantification du risque et de capacité à comparer les données.
“Applicable depuis le 1er janvier 2024, la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) va permettre de poser un cadre pour les normes et le reporting en matière de données et de performance extra-financières.”
Applicable depuis le 1er janvier 2024, la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) va permettre de poser un cadre pour les normes et le reporting en matière de données et de performance extra-financières. Grâce à ce travail que les entreprises européennes vont devoir fournir, les acteurs du secteur financier vont pouvoir accéder à des données mieux définies, normalisées et structurées.
Comment un acteur comme Groupama Asset Management appréhende le sujet ?
M‑P.P : C’est un sujet dont nous nous sommes emparés il y a près de 4 ans déjà et qui vient aujourd’hui s’inscrire totalement dans l’esprit et l’objectif de la directive CSRD. Nous avons ainsi retravaillé nos méthodologies avec nos analystes et avons identifié les données indispensables afin de pouvoir réaliser une analyse ESG pertinente en prenant en compte chacun des trois piliers.
Groupama Asset Manager est allé encore plus loin en se dotant d’un outil pour réaliser les notations ESG. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Frédéric Teschner : Au-delà du travail interne d’identification des indicateurs et des données indispensables à une analyse ESG pertinente, notre objectif était aussi de parvenir à utiliser un maximum de données dites brutes et non transformées par les fournisseurs de données pour repartir d’une donnée indépendante pour nos analyses. En effet, la transformation de cette donnée peut entraîner des inexactitudes et des altérations qui vont in fine impacter nos analyses. L’idée était donc de pouvoir s’appuyer sur des données brutes à la place des scoring mis à disposition par les fournisseurs de données. Grâce au travail d’analyse précédemment mentionné par Marie-Pierre, nous avons construit un modèle de scoring adossé à près de 70 indicateurs.
À partir de là, l’outil permet d’établir un scoring en fonction des différents indicateurs pré-définis : indépendance des instances de gouvernance, création d’emploi, émissions de CO2… En fonction de ces données, l’entreprise dont nous analysons la performance ESG va gagner ou bien perdre des points.
En parallèle, nous avons accordé une attention particulière à la qualité de la donnée. Notre outil permet de suivre l’évolution de la note ESG d’une entreprise et d’identifier quels sont les piliers et les indicateurs qui ont évolué positivement ou négativement. Cette approche apporte une réelle granularité de la donnée et une transparence au regard de l’évolution du scoring. Il s’agit là d’un point critique, car les notes des entreprises ne sont bien évidemment pas figées dans le temps et évoluent, au contraire, très régulièrement.
Néanmoins, les données mises à disposition par les providers ne sont pas régulièrement mises à jour. On estime les délais de mise à jour entre six mois et un an, voire plus. L’enjeu est donc d’être en mesure de forcer cette information, c’est-à-dire de corriger les chiffres reçus par les fournisseurs. L’outil a ainsi été pensé et développé de manière à pouvoir forcer tout indicateur ESG dans un souci majeur de traçabilité.
Au-delà, il permet également de construire des contrôles en amont dès la mise à jour des données ESG, qui ont la particularité d’être extrêmement volatiles. Grâce à un module d’alertes nous sommes en mesure de repérer les valeurs extrêmes et les évolutions de la donnée sous-jacente.
Fort de différentes fonctionnalités, c’est également un outil de pondération qui permet d’avoir une décomposition très détaillée de la note ESG. Cela contribue à promouvoir des communications plus précises autour de l’ESG et en lien direct avec les entreprises.
Et pour résumer, quelles sont les principales fonctionnalités de votre outil ?
F.T : Il permet donc d’intégrer toutes les données ESG issues des fournisseurs, de calculer le scoring ESG et d’exporter ces informations dans notre système d’information pour réaliser nos analyses et construction de portefeuille.
Quels sont les freins qu’il vous faut encore lever afin d’optimiser la qualité et la structuration de la data extra-financière ?
M‑P.M : Aujourd’hui, côté fournisseur de données, il n’existe pas forcément de contrôle qualité. Nous mettons en place ces contrôles afin de pouvoir notamment expliquer la volatilité des données d’un trimestre à un autre. Actuellement, notre plus gros enjeu est d’avoir une meilleure visibilité sur l’origine et la traçabilité des données.
Quel rôle l’IA a vocation à jouer dans ce cadre ?
F.T : Il y a encore quelques années, nous pensions que l’IA allait être la solution à l’ensemble des problématiques et des enjeux que nous venons d’aborder. Concrètement, si l’IA offre de nouvelles capacités en termes de collecte de la donnée, la problématique de la qualité et du suivi persiste.
Afin d’exploiter le potentiel technologique de l’IA et créer de la valeur, il nous semble indispensable de pouvoir s’appuyer sur une donnée normalisée et standardisée. À partir de là, l’IA aura, en effet, vocation à ouvrir de nouvelles perspectives en termes de recherche d’informations, d’analyse, de valorisation et de synthèse des données, voire de consolidation et de rapprochement de différents reportings et sources : rapport RSE, taxonomie, CSRD…
Et pour conclure, quel est l’impact de la réglementation dans ce cadre ?
M‑P.P : Jusque-là, l’harmonisation et la standardisation du reporting sur la durabilité et la performance extra-financière n’étaient pas forcément une priorité pour toutes les entreprises. En Europe, la CSRD est un élément structurant et va permettre d’accélérer sur ce sujet stratégique.