Normaliser et standardiser la donnée ESG pour mieux évaluer et suivre la durabilité des entreprises

Dossier : Vie des entreprises, FintechMagazine N°798 Octobre 2024
Par Marie-Pierre PEILLON
Par Frédéric TESCHNER

En matière de don­nées ESG, les acteurs finan­ciers se heurtent à plu­sieurs enjeux rela­tifs à la qua­li­té, la trans­pa­rence et la nor­ma­li­sa­tion des don­nées qu’ils sont ame­nés à uti­li­ser. Pour lever ce frein, Grou­pa­ma Asset Mana­ge­ment a fait le choix de déve­lop­per une métho­do­lo­gie de sco­ring ESG en col­la­bo­ra­tion avec la socié­té Star­Qube, qui per­met de fia­bi­li­ser le sco­ring ESG et le moni­to­ring de la don­née ESG dans la durée. Marie-Pierre Peillon, direc­trice de la recherche et de la stra­té­gie ESG de Grou­pa­ma Asset Mana­ge­ment et membre du comi­té de direc­tion, et Fré­dé­ric Tes­ch­ner, ana­lyste finan­cier et extra-finan­cier spé­cia­liste des uti­li­ties et en charge de l’intégration et du contrôle de la don­née ESG, nous en disent plus. 

Dans un contexte marqué par la CSRD, le développement de l’ESG et de la finance durable, le principal enjeu pour le secteur financier réside dans la qualité et la structuration de la donnée. Qu’en est-il ?

Marie-Pierre Peillon : En effet, le sec­teur est face à de nom­breux enjeux en matière de don­nées. Tout d’abord, l’absence de stan­dar­di­sa­tion des don­nées ESG et d’harmonisation des métho­do­lo­gies qui sont uti­li­sées par les dif­fé­rents four­nis­seurs, impacte la qua­li­té de la don­née et repré­sente un frein en matière de quan­ti­fi­ca­tion du risque et de capa­ci­té à com­pa­rer les données.

“Applicable depuis le 1er janvier 2024, la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) va permettre de poser un cadre pour les normes et le reporting en matière de données et de performance extra-financières.”

Appli­cable depuis le 1er jan­vier 2024, la direc­tive euro­péenne Cor­po­rate Sus­tai­na­bi­li­ty Repor­ting Direc­tive (CSRD) va per­mettre de poser un cadre pour les normes et le repor­ting en matière de don­nées et de per­for­mance extra-finan­cières. Grâce à ce tra­vail que les entre­prises euro­péennes vont devoir four­nir, les acteurs du sec­teur finan­cier vont pou­voir accé­der à des don­nées mieux défi­nies, nor­ma­li­sées et structurées. 

Comment un acteur comme Groupama Asset Management appréhende le sujet ? 

M‑P.P : C’est un sujet dont nous nous sommes empa­rés il y a près de 4 ans déjà et qui vient aujourd’hui s’inscrire tota­le­ment dans l’esprit et l’objectif de la direc­tive CSRD. Nous avons ain­si retra­vaillé nos métho­do­lo­gies avec nos ana­lystes et avons iden­ti­fié les don­nées indis­pen­sables afin de pou­voir réa­li­ser une ana­lyse ESG per­ti­nente en pre­nant en compte cha­cun des trois piliers. 

Groupama Asset Manager est allé encore plus loin en se dotant d’un outil pour réaliser les notations ESG. Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Fré­dé­ric Tes­ch­ner : Au-delà du tra­vail interne d’identification des indi­ca­teurs et des don­nées indis­pen­sables à une ana­lyse ESG per­ti­nente, notre objec­tif était aus­si de par­ve­nir à uti­li­ser un maxi­mum de don­nées dites brutes et non trans­for­mées par les four­nis­seurs de don­nées pour repar­tir d’une don­née indé­pen­dante pour nos ana­lyses. En effet, la trans­for­ma­tion de cette don­née peut entraî­ner des inexac­ti­tudes et des alté­ra­tions qui vont in fine impac­ter nos ana­lyses. L’idée était donc de pou­voir s’appuyer sur des don­nées brutes à la place des sco­ring mis à dis­po­si­tion par les four­nis­seurs de don­nées. Grâce au tra­vail d’analyse pré­cé­dem­ment men­tion­né par Marie-Pierre, nous avons construit un modèle de sco­ring ados­sé à près de 70 indicateurs.

À par­tir de là, l’outil per­met d’établir un sco­ring en fonc­tion des dif­fé­rents indi­ca­teurs pré-défi­nis : indé­pen­dance des ins­tances de gou­ver­nance, créa­tion d’emploi, émis­sions de CO2… En fonc­tion de ces don­nées, l’entreprise dont nous ana­ly­sons la per­for­mance ESG va gagner ou bien perdre des points. 

En paral­lèle, nous avons accor­dé une atten­tion par­ti­cu­lière à la qua­li­té de la don­née. Notre outil per­met de suivre l’évolution de la note ESG d’une entre­prise et d’identifier quels sont les piliers et les indi­ca­teurs qui ont évo­lué posi­ti­ve­ment ou néga­ti­ve­ment. Cette approche apporte une réelle gra­nu­la­ri­té de la don­née et une trans­pa­rence au regard de l’évolution du sco­ring. Il s’agit là d’un point cri­tique, car les notes des entre­prises ne sont bien évi­dem­ment pas figées dans le temps et évo­luent, au contraire, très régulièrement. 

Néan­moins, les don­nées mises à dis­po­si­tion par les pro­vi­ders ne sont pas régu­liè­re­ment mises à jour. On estime les délais de mise à jour entre six mois et un an, voire plus. L’enjeu est donc d’être en mesure de for­cer cette infor­ma­tion, c’est-à-dire de cor­ri­ger les chiffres reçus par les four­nis­seurs. L’outil a ain­si été pen­sé et déve­lop­pé de manière à pou­voir for­cer tout indi­ca­teur ESG dans un sou­ci majeur de traçabilité.

Au-delà, il per­met éga­le­ment de construire des contrôles en amont dès la mise à jour des don­nées ESG, qui ont la par­ti­cu­la­ri­té d’être extrê­me­ment vola­tiles. Grâce à un module d’alertes nous sommes en mesure de repé­rer les valeurs extrêmes et les évo­lu­tions de la don­née sous-jacente. 

Fort de dif­fé­rentes fonc­tion­na­li­tés, c’est éga­le­ment un outil de pon­dé­ra­tion qui per­met d’avoir une décom­po­si­tion très détaillée de la note ESG. Cela contri­bue à pro­mou­voir des com­mu­ni­ca­tions plus pré­cises autour de l’ESG et en lien direct avec les entreprises. 

Et pour résumer, quelles sont les principales fonctionnalités de votre outil ? 

F.T : Il per­met donc d’intégrer toutes les don­nées ESG issues des four­nis­seurs, de cal­cu­ler le sco­ring ESG et d’exporter ces infor­ma­tions dans notre sys­tème d’information pour réa­li­ser nos ana­lyses et construc­tion de portefeuille.

Quels sont les freins qu’il vous faut encore lever afin d’optimiser la qualité et la structuration de la data extra-financière ?

M‑P.M : Aujourd’hui, côté four­nis­seur de don­nées, il n’existe pas for­cé­ment de contrôle qua­li­té. Nous met­tons en place ces contrôles afin de pou­voir notam­ment expli­quer la vola­ti­li­té des don­nées d’un tri­mestre à un autre. Actuel­le­ment, notre plus gros enjeu est d’avoir une meilleure visi­bi­li­té sur l’origine et la tra­ça­bi­li­té des données.

Quel rôle l’IA a vocation à jouer dans ce cadre ?

F.T : Il y a encore quelques années, nous pen­sions que l’IA allait être la solu­tion à l’ensemble des pro­blé­ma­tiques et des enjeux que nous venons d’aborder. Concrè­te­ment, si l’IA offre de nou­velles capa­ci­tés en termes de col­lecte de la don­née, la pro­blé­ma­tique de la qua­li­té et du sui­vi persiste. 

Afin d’exploiter le poten­tiel tech­no­lo­gique de l’IA et créer de la valeur, il nous semble indis­pen­sable de pou­voir s’appuyer sur une don­née nor­ma­li­sée et stan­dar­di­sée. À par­tir de là, l’IA aura, en effet, voca­tion à ouvrir de nou­velles pers­pec­tives en termes de recherche d’informations, d’analyse, de valo­ri­sa­tion et de syn­thèse des don­nées, voire de conso­li­da­tion et de rap­pro­che­ment de dif­fé­rents repor­tings et sources : rap­port RSE, taxo­no­mie, CSRD… 

Et pour conclure, quel est l’impact de la réglementation dans ce cadre ? 

M‑P.P : Jusque-là, l’harmonisation et la stan­dar­di­sa­tion du repor­ting sur la dura­bi­li­té et la per­for­mance extra-finan­cière n’étaient pas for­cé­ment une prio­ri­té pour toutes les entre­prises. En Europe, la CSRD est un élé­ment struc­tu­rant et va per­mettre d’accélérer sur ce sujet stratégique. 

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