Nostalgies

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°562 Février 2001Rédacteur : Jean SALMONA (56)

Les sai­sons portent en elles des états d’âme, sans doute parce que nous sommes des ani­maux sen­sibles à la tem­pé­ra­ture, à la cou­leur du ciel, aux par­fums que l’air apporte. Ain­si de l’hiver, époque des rémi­nis­cences embru­mées et du sen­ti­ment du temps qui passe.

Aus­si, pro­fi­tons des der­nières semaines de l’hiver pour nous offrir un petit coup de nos­tal­gie avant que le grand vent de prin­temps emporte, avec nos sou­ve­nirs, et pour un an, toute vel­léi­té de regar­der en arrière.

Trois quatuors français

On écoute par­fois avec sym­pa­thie et curio­si­té une œuvre d’un com­po­si­teur peu connu, pour faire plai­sir à un ami, ou sim­ple­ment par hasard. Mais, quelque opti­miste que l’on soit, on n’espère pas décou­vrir le mythique chef‑d’œuvre oublié. Eh bien, cela finit par arri­ver : le Qua­tuor de Jour­neau est un chef‑d’œuvre, un authen­tique chef‑d’œuvre.

Jour­neau, né en 1898, a tra­ver­sé le siècle et nous a quit­tés en 1999, com­po­si­teur par plai­sir comme d’autres sont, par plai­sir, jar­di­niers ou poètes. Sa musique est res­tée connue du seul cercle de ses proches.

Son qua­tuor, écrit en 1927, vient d’être enre­gis­tré par le Qua­tuor de Chartres1. Il s’agit d’une œuvre en 4 mou­ve­ments, qui emporte l’enthousiasme dès la pre­mière écoute, car elle pro­cure un plai­sir d’une rare qua­li­té. Pour sim­pli­fier, disons qu’elle se situe dans la filia­tion des qua­tuors de Ravel (sur­tout) et Debus­sy, avec des thèmes, des har­mo­nies, une pâte musi­cale, une archi­tec­ture, une sen­sua­li­té, une sûre­té d’écriture, qui devraient en faire l’une des œuvres majeures du réper­toire de la musique de chambre fran­çaise du XXe siècle.

Pour­quoi ce qua­tuor est-il res­té pra­ti­que­ment incon­nu à ce jour ? Mys­tère. Mais vous qui, lorsque vous sai­sit le vague à l’âme, met­tez sur votre lec­teur de CD le Qua­tuor de Ravel, cent fois enten­du, en regret­tant qu’il n’en ait pas écrit un deuxième, cou­rez l’écouter, toutes affaires ces­santes, avec une tar­tine de foie gras et un verre de Châ­teau Cha­lon, rien de moins : ce n’est pas tous les jours que vous ferez une telle découverte.

Sur le même disque, deux autres qua­tuors : celui de Daniel Lesur (une Suite pour qua­tuor), une œuvre très forte, com­pa­rable, elle, aux qua­tuors de Bar­tok, qui fut écrite à la mémoire de Marc Legrand, X 35, frère de cinq autres cama­rades, tom­bé au com­bat en mai 1940 ; et le 3e Qua­tuor de Jean-Louis Petit, plus dif­fi­cile d’écoute, mais dont le mou­ve­ment cen­tral est un petit diamant.

Au total, un disque superbe, vraiment.

Trois disques de pure nostalgie

Depuis le film Bue­na Vis­ta Social Club, la musique cubaine est à la mode. Ou plu­tôt, c’est à qui décou­vri­ra un musi­cien de La Havane âgé mais vivace, qui, avec un peu de chance, aura été à la pêche avec Hemingway.

Les sœurs Faez2, deux extra­or­di­naires vieilles dames à la voix éraillée mais juste, chantent bolé­ros, séré­nades, tan­gos, sans sen­si­ble­rie et avec la même acui­té que Gise­la May chan­tant Kurt Weill. Les musi­ciens sont excel­lents, et la nos­tal­gie est au rendez-vous.

Ruben Velas­quez, lui, en un disque dénom­mé Yedra, chante des chants tra­di­tion­nels qui ont jalon­né le Moyen Âge entre Tou­louse et Cor­doue, les uns en occi­tan, d’autres en cas­tillan, d’autres en judéo-anda­lou, avec des arran­ge­ments musi­caux extrê­me­ment raf­fi­nés qui non pas res­ti­tuent mais recréent très intel­li­gem­ment l’atmosphère de cet âge d’or, où coha­bi­taient les trois reli­gions du Livre, ou plu­tôt l’idée que nous nous en fai­sons aujourd’hui3.

Enfin, sous le titre Some of these Days, les Dixie­land Seniors, quatre cama­rades de la pro­mo­tion 45, qui ont recons­ti­tué avec trois amis l’ensemble qu’ils avaient for­mé à l’époque, jouent des stan­dards du jazz New Orleans, par­mi les­quels Some of these Days, bien sûr (popu­la­ri­sé par… Sartre dans La Nau­sée), High Socie­ty, Basin Street Blues, et bien d’autres4.

Que vous ayez vécu l’époque du Tabou et du Lorien­tais réel­le­ment ou par lit­té­ra­ture inter­po­sée (Boris Vian, en par­ti­cu­lier), vous retrou­ve­rez dans ces pièces jouées avec l’enthousiasme juvé­nile et un peu naïf sans lequel le jazz dixie­land n’est pas authen­tique le sou­ve­nir réel ou rêvé d’une époque presque mythique aujourd’hui, celle de la France au len­de­main de la Libé­ra­tion, où Saint-Ger­main-des- Prés n’était pas un quar­tier de mai­sons de mode et où la Série noire révé­lait aux Fran­çais Ray­mond Chand­ler et James Had­ley Chase.

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1. 1 CD REM 311 335
2. 1 CD ERATO 8573 80218 2
3. 1 CD WARNER 8573 83293 2
4. 1 CD – Contac­ter D. Pélis­sier, 01.42.89 .95.18.

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