Notre foi dans ce siècle
Voilà un livre original à plus d’un titre. D’abord parce qu’une partition à six mains n’est pas si fréquente surtout lorsqu’il s’agit de trois personnalités connues du public, intellectuels mais aussi hommes d’action responsables qui, au lieu de s’opposer pour s’affirmer comme on le voit souvent, se conjuguent et se complètent dans une même espérance.
Original aussi, car ce livre s’enracine dans une foi chrétienne partagée, et que, partant de là, il propose plusieurs utopies réalisables importantes. Comme le souligne son titre, ce livre apporte un espoir, pour nous qui vivons dans ce siècle, pour notre continent et pour le monde.
Car, comme l’affirment nos auteurs, “ ce monde va mieux. Bien mieux. ” Et c’est une raison supplémentaire pour relever les défis qu’il pose : les inégalités, l’impuissance des politiques, l’homme instrumentalisé par cette même politique, mais aussi par l’économie ou par la science…
Abordant les problèmes du monde, la deuxième partie du livre décrit alors des solutions concrètes qui se veulent à la fois utopiques et responsables. C’est dire qu’elles ouvrent “ des chemins à défricher ”, et qu’elles sont volontairement limitées dans leurs ambitions pour être réalisables.
D’abord l’Europe – trait d’union fort entre les trois auteurs – toujours chantée et promue, comme on le sait, par le talent de Michel Albert, appelée à se fédérer et à en inventer les moyens. C’est aussi notre Patrie qui, dans cet ensemble, prend aujourd’hui un nouveau poids. Et parce que nous aimons notre France comme une mère, le mot de “ matrie ” nous est suggéré.
Un chapitre est consacré à une nouvelle économie sociale de marché. Chapitre courageux au moment où la Soziale Markt Wirtschaft allemande affronte les difficultés que l’on sait, alors que le capitalisme rhénan résonne des accords du “ Requiem allemand ”. Malgré tout les auteurs parient sur l’avenir de ce modèle où les références à l’homme demeurent essentielles et commandent aux lois d’airain de l’économie.
Tout naturellement la mondialisation, ses enjeux et ses risques font l’objet de longs développements. On n’oublie pas en les lisant que l’un des auteurs a été directeur général du FMI et que son expérience des situations concrètes a sans doute inspiré largement ces réflexions.
Comment réduire la pauvreté, conséquence prêtée, souvent à tort, aux excès de la mondialisation ? La réduire c’est “ réhabiliter le don ” car celui-ci “ établit une histoire de fraternité entre les hommes ”.
L’Église catholique elle-même est appelée à se réformer et les auteurs proposent des mesures concrètes car “ sa structure actuelle ne peut être maintenue sans risques pour sa mission ”.
Certes ces sujets ne sont pas nouveaux, même s’ils sont tous actuels. Ce qui est original, c’est non seulement qu’ils sont traités avec la clarté d’exposition et la limpidité auxquelles Jean Boissonnat a visiblement prêté son talent, mais c’est surtout que ces réflexions débouchent sur des propositions, on l’a dit, utopiques mais vérifiables. On en compte vingt, très variées, de l’énergie à l’immigration, de la sécurité au diaconat des femmes. Elles sont toutes “ discutables ” et l’on doit espérer qu’elles seront discutées car elles touchent aux sujets les plus importants.
Bien sûr, certains critiqueront la sévérité des jugements portés sur les États-Unis, leurs entreprises et leur politique sociale, d’autres estimeront que les institutions et les structures répondront mal aux espoirs des auteurs, craignant que leur efficacité se réduise à mesure que croît le champ de leurs ambitions. On s’offusquera peut-être de prétendre dissoudre la Patrie dans la Matrie !…
Mais l’essentiel n’est pas là. Au moment où ce siècle, à l’aube de son devenir, se pose avec acuité la question des relations entre le fait religieux et le gouvernement des nations, ce livre apporte une contribution importante. Ses auteurs sont informés et lucides. Pendant des années, ils ont agi sur les affaires du Monde. Ils connaissent la question. Il faut les lire.