Nourrir la population, préserver la planète
Depuis plus de trois ans maintenant et le premier confinement à la suite de la Covid-19, nous nous sommes habitués à voir des rayons vides dans les grandes et moyennes surfaces alimentaires. Et ce phénomène a touché toute l’Europe. Nous n’avions pas connu cela depuis l’essor de la distribution et le développement de l’agriculture à la sortie de la Seconde Guerre mondiale. Jusqu’alors, dans les groupes coopératifs agricoles et plus généralement chez les agriculteurs, les objectifs étaient le développement et la diversification de la production, ainsi que la recherche de « débouchés valorisés ».
Mais une succession de phénomènes d’origines apparemment différentes (fièvre porcine africaine, prix d’achat du lait en baisse au regard des charges de production, sécheresse, difficultés à mettre en place des outils de stockage ou d’irrigation en eau, recherche d’une meilleure qualité de vie des agriculteurs, guerre en Ukraine, influenza aviaire, plus grande difficulté à recruter, inflation vertigineuse des matières premières agricoles et des prix de l’énergie…) nous a conduits à nous poser la question de la disponibilité des aliments et dans certains cas à planifier des « rationnements ». Ces crises successives ont aussi mis en évidence la question de l’accessibilité du plus grand nombre à une alimentation de qualité. Cela a aussi fragilisé la filière de l’agriculture biologique, que l’on voyait se développer d’année en année.
“L’agriculture est à la fois contributrice, victime et partie de la solution dans la décarbonation.”
Ce bouleversement de la chaîne de valeur « de la fourche à la fourchette » est profond et on doit l’analyser en considérant aussi les enjeux de décarbonation et plus largement de durabilité. On dit que l’agriculture est à la fois contributrice, victime et partie de la solution dans la décarbonation. Elle est surtout, comme beaucoup de secteurs, en difficulté aujourd’hui vis-à-vis de ces objectifs de transformation environnementale, ne sachant pas bien comment mesurer la situation actuelle, définir une cible, et encore moins tracer le chemin pour y parvenir. Enfin, les banques qui contribuent fortement au financement de l’agriculture et de l’agroalimentaire vont renforcer dans les prochaines années leurs exigences en termes de mesure d’impact environnemental envers les projets et sociétés qu’elles financent.
Ainsi, avec la réémergence d’une réflexion sur la souveraineté alimentaire, de nombreuses questions se posent, en particulier : comment garantir un meilleur revenu aux agriculteurs ? Comment maîtriser les prix de vente aux consommateurs ? Tout en réussissant la bascule de l’ensemble de la chaîne de valeur vers la neutralité carbone et plus largement la transformation environnementale ? Dans cette période d’incertitude, il est intéressant à la fois d’explorer des initiatives micro et de se poser les questions macro. Le présent dossier vise à donner, par la contribution de responsables impliqués aux deux niveaux, un aperçu des défis à affronter et de la maturité des démarches engagées.