« Nous avons besoin de visionnaires proches du terrain »
À l’heure où les réseaux de télécommunication et d’énergie sont omniprésents et en pleine transformation, le groupe Firalp connait une recrudescence de son activité. Ce constructeur de réseaux est en effet l’un des principaux acteurs du secteur en France. Quels sont les grands enjeux actuels de son développement dans le contexte de la décarbonation ? Éléments de réponse avec Bertrand Alloin, président de Firalp.
Pouvez-vous présenter l’activité du groupe FIRALP ?
Notre groupe est un spécialiste national de la construction et de la maintenance dans le domaine de la distribution d’énergie. Notre activité se structure autour de plusieurs métiers : réseaux électriques (50 %), réseaux numériques (25 %), territoires connectés et éclairage public (10 %), gaz et chauffage urbain (10 %) et enfin électricité industrielle et tertiaire. Nous sommes une ETI indépendante de 3000 personnes réparties sur soixante sites en France.
Le contexte économique est-il favorable à vos activités ?
Grâce à la transition énergétique et à la transition numérique, nous sommes très sollicités ! Cette forte demande nous permet de nous développer, surtout au travers d’une croissance organique (entre 6 et 10 % chaque année).
Comme toutes les entreprises, nous avons connu la crise du COVID, et la hausse du carburant et des matières premières nous a fortement impactés. Cependant ces difficultés nous font progresser en faisant émerger de nouveaux défis tels que maîtriser nos coûts ou réduire nos consommations de gasoil.
Quels sont les leviers de votre croissance ?
Ces dix dernières années, de nouvelles activités ont émergé (la télégestion, le pilotage intelligent en ville…) qui transforment nos villes et nos territoires. Le déploiement de la fibre optique est une condition nécessaire à ces développements. C’est pourquoi le plan France Très Haut Débit (PFTHD) a été lancé en 2014 par le gouvernement. Aujourd’hui, s’il reste environ 20 % du réseau à déployer, la France fait figure de premier pays d’Europe pour l’équipement en fibre optique.
En outre, la création de milliers de fermes solaires et éoliennes a injecté beaucoup d’énergie décarbonée dans le réseau. Les énergies renouvelables ont donc obligé Enedis à reconfigurer son réseau et à le rendre plus solide, plus adapté pour recevoir de nombreux points d’injection,ce pour quoi il n’avait pas été conçu au départ.
Le contexte climatique a également un impact : les intempéries de plus en plus violentes et fréquentes accélèrent l’usure naturelle du réseau. Nous intervenons donc fréquemment pour réparer ou rénover. Enfin, on consomme tout simplement de plus en plus d’électricité, et cette augmentation génère de l’activité supplémentaire pour les bâtisseurs d’infrastructures que nous sommes.
Comment réagissez-vous au contexte actuel de décarbonation ?
Notre activité demande une grande puissance. Nous avons de nombreux poids lourds, des engins de chantier, plus de 4000 véhicules immatriculés au total ! Pour le moment, nous sommes contraints de consommer du gasoil. Mais en décarbonant progressivement, notre but est d’émettre moins de CO2 tout en maintenant ou augmentant notre productivité. Les attentes des candidats, de nos clients ou fournisseurs, nous incitent plus que jamais à prendre ce virage environnemental.
Quelle est votre stratégie pour décarboner vos activités ?
En 2021, nous avons fait faire le bilan carbone du Groupe sur les 3 catégories d’émissions (le 3e scope correspondant aux émissions indirectes). Si la combustion d’énergies fossiles représente plus de 20 % de nos émissions, la grosse majorité provient des « intrants » c’est-à-dire tout ce que l’on achète ou ce que l’on sous-traite.
Notre objectif : réduire notre empreinte carbone de 10 % pour 2025, et de 20 % en 2030 (sur les 3 scopes) en suivant une feuille de route stricte. Celle-ci comprend notamment : un changement dans nos habitudes de déplacement et de gestion des déchets, l’achat de nacelles, de poids lourds et de véhicules électriques, le recyclage des matériaux que nous excavons, et l’achat de matériaux de construction à bas carbone (béton, enrobé, plastique…). Nous travaillons sur tous ces sujets et espérons même être en avance sur nos objectifs.
Quels sont les enjeux actuels de la construction et de la maintenance des réseaux ?
On peut distinguer deux enjeux. D’abord, il s’agit pour nous de tenir la cadence sur les marchés classiques boostés par les énergies renouvelables. Ensuite, il nous faut absorber les marchés émergents. Pour réussir ce défi, notre filiale RESONANCE prend en charge les grands projets nationaux et les nouvelles activités (l’installation de bornes électriques, le biogaz…). Mais ces nouveaux marchés ne doivent pas nous faire oublier nos clients historiques qui sont le socle de notre activité. SOBECA, qui intervient sur les travaux de génie civil, restera notre filiale principale.
Au fond, les contraintes environnementales seraient plutôt des opportunités de croissance pour votre société ?
Absolument ! Photovoltaïque et biogaz sont des énergies d’avenir et des nouvelles perspectives d’activité pour nous, tout comme les bornes de recharge électriques. Néanmoins, il ne faut pas négliger l’investissement nécessaire en terme de formation. Aller vers de nouvelles activités nécessite aussi de former nos équipes à de nouveaux savoir-faire. C’est ce que nous nous employons à faire actuellement sur la construction et la maintenance des bornes électriques.
Quelles sont les perspectives de carrières que vous pouvez proposer aux jeunes ingénieurs ?
Notre croissance est souvent freinée par un manque de main‑d’œuvre, à tous les niveaux (cadres, ouvriers, chargés d’exploitation). Pourtant nous sommes une entreprise de travaux publics qui a beaucoup à offrir : des valeurs fortes, du savoir-faire, des moyens pour réussir. Nous avons mis en place des parcours d’intégration qui permettent d’accueillir progressivement les nouveaux collaborateurs. Par ailleurs, nous misons beaucoup sur l’alternance (10 % de notre effectif avec un objectif d’embauche de 50 %). Pour y parvenir, nous proposons un tutorat structuré avec un suivi mensuel. Nous avons aussi noué des relations étroites avec de nombreuses écoles (tout niveau confondu) pour mieux nous faire connaître auprès des jeunes et faciliter nos recrutements.
Nous avons notamment besoin d’ingénieurs pour encadrer et manager. Pour s’intégrer et réussir, les ingénieurs sortis des grandes écoles doivent montrer un intérêt pour la production et le chantier (en général, ils y passent un an avant d’encadrer). Cette double compétence « manageur » et « opérationnel » est très importante chez nous.
Quelle place donnez-vous à l’innovation ?
Nous voulons avoir cinq ans d’avance dans notre secteur d’infrastructure et de travaux. Aux postes de direction, nous avons besoin d’ingénieurs à la fois visionnaires, conceptuels (process) et opérationnels. Nous consacrons beaucoup de moyens et d’investissement (2 % des résultats chaque année) sur 3 axes : digitalisation, mécanisation et formation. Nous développons des applications numériques : l’objectif est de digitaliser au maximum les process de gestion des travaux (préparation, planning, facturation, etc.).
La mécanisation doit permettre quant à elle de réduire les nuisances, l’accidentologie et la pénibilité. C’est un sujet passionnant pour des ingénieurs généralistes ! La formation est également dans notre ADN : nous avons construit une école interne « La Fabrik » et un hôtel à proximité de notre siège (Nord de Lyon) pour internaliser 90 % de nos formations avec une exigence beaucoup plus élevée que dans les centres de formation externes.