train et mobilité durable

Le train a un rôle déterminant à jouer dans la mobilité durable

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°750 Décembre 2019
Par Henri POUPART-LAFARGE (88)

PDG d’Alstom, Hen­ri Pou­part-Lafarge (88) évoque les enjeux de la mobi­li­té durable, le train à hydro­gène et les prouesses tech­niques der­niè­re­ment réa­li­sées en grande par­tie grâce à l’investissement du groupe dans le digi­tal. Entretien.

Quelle est votre vision de la mobilité de demain ?

Pour répondre, il faut d’abord com­prendre les défis aux­quels est confron­tée la mobi­li­té. Le pre­mier de ces défis, c’est l’environnement, où com­ment la mobi­li­té peut contri­buer à réduire notre impact sur le cli­mat. Le second défi concerne l’urbanisation qui, depuis des décen­nies, conduit à une pola­ri­sa­tion de l’espace géo­gra­phique mon­dial. Face à ces deux défis, la mobi­li­té dans son ensemble se doit d’être décar­bo­née et partagée.

La réponse au pre­mier défi est une mobi­li­té élec­trique. Il existe trois types d’alimentation pour une mobi­li­té élec­trique : conti­nue (pour la plu­part des trains aujourd’hui), les bat­te­ries en auto­no­mie (pour les trains jusqu’à une cen­taine de kilo­mètres), et l’hydrogène, sous forme de pile à com­bus­tible, qui est une solu­tion pour les longues distances.

Chez Alstom, nous consi­dé­rons que nous avons un rôle déter­mi­nant à jouer pour rendre la mobi­li­té encore plus verte, au-delà même du fer­ro­viaire. En ce qui concerne l’urbanisation, nous répon­dons aux pro­blé­ma­tiques d’aujourd’hui et réflé­chis­sons à appli­quer cer­taines tech­no­lo­gies du fer­ro­viaire à la voi­ture ou à la route de demain : route élec­trique, centre de contrôle.

La mobi­li­té par­ta­gée impose de contrô­ler les flux, les orga­ni­ser, offrir des empla­ce­ments… Après tout, pour­quoi ne pas gérer le réseau rou­tier de la même manière que l’on gère le réseau de métros ?

Vous avez présenté au mois de juin le nouveau plan stratégique d’Alstom. Quelles en sont les grandes lignes ?

Ce plan répond à notre ana­lyse du mar­ché. Jusqu’à aujourd’hui, nous nous sommes ins­crits dans une phase de glo­ba­li­sa­tion, où les pays émer­gents, après avoir trai­té de la ques­tion de la pro­duc­tion d’électricité, se sont mis à vou­loir trai­ter de celle de la mobi­li­té. Alstom a donc déci­dé de mon­dia­li­ser ses opé­ra­tions pour être au plus près de ses nou­veaux clients. Nous avons ain­si désor­mais des usines et des centres d’ingénierie sur les cinq continents.

Nous sommes main­te­nant entrés dans une phase de défi envi­ron­ne­men­tal. Pour y répondre, nous devons inno­ver pour offrir des ser­vices et des pro­duits de plus en plus sophis­ti­qués. Il faut tra­vailler à éco­no­mi­ser l’énergie et décar­bo­ner les trains. Dans ce domaine, le train à hydro­gène repré­sen­te­ra une par­tie impor­tante de la solu­tion. La par­tie chaîne de trac­tion per­met­tra de gagner 15 à 20 % de consom­ma­tion d’énergie, ce qui est énorme.

C’est-à-dire ? Quelles sont les échéances ?

Tout est beau­coup plus rapide qu’on ne le pen­sait. Nous avons lan­cé un train à hydro­gène en Alle­magne et sommes actuel­le­ment en dis­cus­sion sur la France et l’Angleterre. En très peu de temps, beau­coup de réseaux se sont enga­gés à la sor­tie des trains die­sel entre 2035 et 2040, ce qui fina­le­ment est demain à l’échelle de notre industrie.

Nous réflé­chis­sons sur tous les gou­lots d’étranglement du train à hydro­gène. Nous tra­vaillons sur des piles à com­bus­tible, sur l’intégration, l’écosystème. Le train lui-même n’est pas l’en-jeu prin­ci­pal. Nous devons veiller à la mise en place du trans­port de l’hydrogène, à la pro­duc­tion d’hydrogène dans les dépôts fer­ro­viaires, etc. L’hydrogène a la com­plexi­té de se baser, en réa­li­té, sur une nou­velle éco­no­mie. Voi­là pour­quoi elle fini­ra, sans doute, par mettre tout le monde d’accord. Beau­coup de nou­veaux métiers vont naître de cette inno­va­tion. Les sta­tions-ser­vice vont devoir elles-mêmes s’équiper en élec­tro­ly­seurs, et peut-être même en pan­neaux solaires.

Sur quels autres produits innovez-vous ?

Nous déve­lop­pons par ailleurs le digi­tal. Il est dans nos métiers deve­nu incon­tour­nable pour gagner en effi­ca­ci­té éco­no­mique et envi­ron­ne­men­tale. Mettre en place un nou­veau sys­tème de signa­li­sa­tion ou de ges­tion du tra­fic, per­met de gagner, par rap­port au sys­tème actuel, 20 à 30 % de capa­ci­té en plus. Quand on connaît le coût de la construc­tion d’une ligne de che­min fer et tous les pro­blèmes envi­ron­ne­men­taux que cela pose, cela paraît évident. Nous inves­tis­sons aus­si beau­coup dans les tech­no­lo­gies digi­tales pour gagner en capa­ci­té, en fia­bi­li­té pour que les sys­tèmes puissent fonc­tion­ner 24 h/24 et qu’ils soient capables de se répa­rer de manière auto­nome dans la journée.

Il faut mettre en place une main­te­nance pré­dic­tive pour pré­voir les pannes et empê­cher qu’elles n’arrivent. Pour nous assu­rer de la fia­bi­li­té du sys­tème com­plet, nous dis­po­sons aujourd’hui d’outils, de centres de contrôles qui per­mettent de pré­voir si un acci­dent sur­ve­nait quelque part, les impacts que cela cau­se­rait sur le reste du réseau. Nos deux grands axes stra­té­giques d’innovation sont donc l’environnement de manière géné­rale, et le digi­tal qui vient sou­te­nir l’efficacité envi­ron­ne­men­tale. Cela implique une ligne de fron­tière plus ténue entre le fabri­cant et l’exploitant. La mis­sion de faire fonc­tion­ner le métro 24 h/24 devient par­ta­gée entre l’opérateur et le fabri­quant qui entre­tient son maté­riel. Nous nous posi­tion­nons comme un par­te­naire très fort des opérateurs.

Quels grands projets emblématiques souhaiteriez-vous évoquer ?

Nous pour­rions bien sûr par­ler du Grand Paris Express, de la ligne Charles-de-Gaulle Express, de la nou­velle ligne de métro à Mont­réal et d’autres pro­jets encore, mais je vou­drais insis­ter sur les sys­tèmes digi­taux très poin­tus sur les­quels nous inves­tis­sons. Nous tra­vaillons par exemple sur la signa­li­sa­tion de la ligne grande vitesse Paris-Lyon où bien­tôt deux à trois trains seront ajou­tés chaque heure, ce qui cor­res­pon­dra à un TGV toutes les quatre minutes.

Autre pro­jet emblé­ma­tique : l’Avelia Hori­zon, le nou­veau TGV pour SNCF. Une autre façon d’améliorer l’efficacité consiste à aug­men­ter la capa­ci­té d’un train. Dans la confi­gu­ra­tion actuelle, il comp­te­ra envi­ron 640 places à confort équi­valent. En col­lant deux TGV de ce type l’un à l’autre, nous attein­drons 1300 places toutes les quatre minutes. En 30 ans, nous sommes donc pas­sés de TGV de 350 places (700 à deux), avec une fré­quence de départ toutes les 10 minutes, à 1300 places toutes les quatre minutes. Nous avons ain­si qua­dru­plé la capa­ci­té de la même ligne ! Une fré­quence très régu­lière de trains est aujourd’hui beau­coup plus impor­tante que l’augmentation de la vitesse.

Nous tra­vaillons, par ailleurs, à Lille sur un nou­veau sys­tème de signa­li­sa­tion pour aug­men­ter la fré­quence de pas­sage d’un métro toutes les 60 secondes contre 90 aujourd’hui. Cela est certes moins visible qu’une nou­velle ligne, moins visible que le Grand Paris Express, mais en terme tech­no­lo­gique, cela est plus impor­tant, et en termes d’efficacité, plus impres­sion­nant. Sur le RER A, nous sommes pas­sés de 20 à 24 trains par heure. Le RER A, c’est 1,2 mil­lion de pas­sa­gers par jour alors que le péri­phé­rique c’est envi­ron 300000. Il faut savoir qu’entre deux tiers et trois quarts des ingé­nieurs d’Alstom sont des ingé­nieurs informatiques !

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