Nous sommes en (économie de) guerre ?
Un demi-millier de nouveaux X nous rejoignent ce mois-ci, dont la grande majorité vient de prendre la direction de La Courtine pour apprendre la position du tireur couché, quelques chants mili, à courir en rangers et à manger comme quatre. Celles et ceux des anciens qui ont un certain contact avec les promotions récentes peuvent être frappés par un phénomène qu’ils n’auraient pas pronostiqué lorsqu’ils étaient eux-mêmes sur le Platâl (et même sur la Montagne) : la tradition militaire a singulièrement regagné en importance ces dernières années parmi les élèves.
Les remises des bicornes et des tangentes sont redevenues des événements, un hymne de Polytechnique (l’« ode à Vaneau ») a été composé il y a une dizaine d’années qui est régulièrement chanté par une chorale impeccable en GU, et la carrière sous les drapeaux attire plus qu’auparavant. Pour prendre l’exemple de la 2021, pas moins de 12 de ses élèves, dont deux femmes, ont choisi les forces armées en fin de 3A. Quand avions-nous compté autant de vocations combattantes pour la dernière fois ?
On peut faire coïncider cette tendance à peu près avec le démarrage de la guerre à l’est de l’Europe, depuis l’invasion de la Crimée jusqu’à la phase la plus tragique qui est en cours. Mais, si le Président de la République évoquait en 2022 l’entrée de notre pays « dans une économie de guerre », en pratique on en est loin. On serait plutôt, vu des acteurs concernés, dans une économie de la programmation militaire. Ce qui tombe bien puisque c’est le thème de ce dossier de rentrée.
La loi du même nom, « LPM », qui dans une heure n’aura plus de secret pour vous, a en gros l’âge de notre République ; elle est un miroir de l’ambition que les pouvoirs publics veulent se donner pour nos armées et pour l’industrie de défense. C’est un outil certes important d’allocation de moyens, mais elle recèle des paradoxes typiques de notre pays pris dans l’étau de la contrainte financière publique et de la nostalgie de sa grandeur passée. En matière de comptabilité nationale la règle est l’annualité budgétaire : les autorisations de gager ou dépenser l’argent du budget général sont données par le Parlement chaque année, et pour une seule année.
La LPM, dont l’envergure est typiquement quinquennale, ne peut donc être qu’indicative. Le fait qu’elle le soit lui confère en échange une ubiquité bien connue de ceux qui sont intéressés à son contenu. La LPM est l’argument en défense, pour les industriels, les armées, face aux scrutateurs de Bercy et aux gouvernants du jour d’après : la négocier âprement pour qu’elle soit aussi dotée que possible, s’y référer fréquemment pour maximiser son statut en pratique. On se souvient à cet égard d’un passage à l’acte fameux, ce jour de juillet 2017, où le futur ex-chef d’état-major Pierre de Villiers s’était gendarmé en termes crus devant des parlementaires contre une mesure de régulation budgétaire qu’il jugeait trop défavorable. Aucune LPM ne garantit contre son propre détricotage, même si elle constitue indéniablement un certain rempart.
En situation d’économie de guerre, ce que le pays a connu entre 1914 et 1918 et dans l’année qui a précédé la défaite de mai-juin 40, la part de l’effort de défense était en pourcentage de PIB de 20 à 30 fois ce qu’elle est aujourd’hui. Lorsque c’est la survie même qui est en jeu, la loi de programmation militaire n’est probablement pas l’outil adapté. L’actuelle est exécutée avec des dépenses militaires qui tangentent les 2 % du PIB par le dessous. CQFD.
Bonne rentrée à tous et bienvenue aux 2024 !
Lire aussi : La loi de programmation militaire (LPM) : techniques et politique
Commentaire
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Historiquement, il me semble que le terme « économie de guerre » se réfère au Legal Tender Act qui a permis au Congrès Américain de financer la guerre de sécession en émettant des billets verts. J’imagine que le Président de la République fait référence à cette possibilité dans son discours, compte tenu du niveau de dette de l’Etat ? Article à prévoir par un économiste dans une prochaine J&R ?