Saint-Laurent-de-Chamousset.

Nouvelles technologies et aménagement du territoire,

Dossier : Le MultimédiaMagazine N°550 Décembre 1999
Par Yves-Armel MARTIN (87)

Le propre des tech­no­lo­gies de l’information est d’être déma­té­ria­li­sées : il suf­fit d’un réseau et d’ordinateurs pour que l’information cir­cule à la vitesse de la lumière, s’affranchissant des contraintes phy­siques tra­di­tion­nelles. Les ter­ri­toires, qui sont jusqu’à pré­sent pro­fon­dé­ment condi­tion­nés par leur posi­tion géo­gra­phique et la proxi­mi­té ou non d’axes de com­mu­ni­ca­tion, peuvent voir ces tech­no­lo­gies comme une chance de déve­lop­pe­ment ou un risque d’exclusion sup­plé­men­taire. Comme dans le sec­teur éco­no­mique, les ter­ri­toires pion­niers peuvent prendre une avance concur­ren­tielle et béné­fi­cier plus rapi­de­ment que les autres des pos­si­bi­li­tés offertes par le déve­lop­pe­ment de l’Internet.
Cepen­dant pour qu’un ter­ri­toire puisse appuyer son déve­lop­pe­ment sur les tech­no­lo­gies de l’information il est néces­saire d’engager simul­ta­né­ment des actions dans des domaines com­plé­men­taires : celui des infra­struc­tures de télé­com­mu­ni­ca­tion, celui de la for­ma­tion et enfin celui des appli­ca­tions et ser­vices démonstratifs.

Contexte canton rural 11 000 habitants

C’est dans cette pers­pec­tive qu’en 1993 le can­ton de Saint-Laurent-de-Cha­mous­set a déci­dé la créa­tion d’un « réseau cog­ni­tif mul­ti­mé­dia ». Ce can­ton rural réunit 14 vil­lages de moyenne mon­tagne et 12 000 habi­tants. Situé à une heure à l’ouest de Lyon, il a enga­gé depuis vingt ans une poli­tique de déve­lop­pe­ment local basée sur l’in­ter­com­mu­na­li­té, la diver­si­fi­ca­tion éco­no­mique et l’ac­cueil d’en­tre­prises innovantes.

Ces actions connaissent un suc­cès signi­fi­ca­tif puis­qu’en vingt ans, alors qu’il était au départ le can­ton le plus « pauvre » du dépar­te­ment du Rhône, plus de 1 000 emplois ont été créés et 70 entre­prises se sont implan­tées, dont une quin­zaine de haute tech­no­lo­gie. Celles-ci ont béné­fi­cié du sup­port excep­tion­nel de la pépi­nière de pro­jets inno­vants Axone.

Ce déve­lop­pe­ment local par l’é­co­no­mie est accom­pa­gné d’ac­tions sociales, cultu­relles et édu­ca­tives. Et depuis six ans, il est com­plé­té par une poli­tique ambi­tieuse autour des tech­no­lo­gies de l’information.

Les technologies de l’information axe de développement

Les nou­velles pos­si­bi­li­tés offertes par le mul­ti­mé­dia com­mu­ni­cant ont d’a­bord été vues comme une chance pour le monde rural puis­qu’elles lui per­mettent de s’af­fran­chir de son han­di­cap tra­di­tion­nel : l’en­cla­ve­ment géographique.

Cepen­dant rapi­de­ment on s’a­per­çoit qu’un cer­tain nombre de pro­blèmes sont à trai­ter : les tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion sont géné­ra­le­ment asso­ciées à une culture scien­ti­fique et tech­nique qui n’est pas for­cé­ment très répan­due en milieu rural, la topo­lo­gie des vil­lages de moyenne mon­tagne et la faible den­si­té de popu­la­tion n’en font pas un mar­ché ren­table pour les opé­ra­teurs de télécommunication.

En réponse à la pre­mière ques­tion, la com­mu­nau­té de com­munes a com­men­cé (en 1993) par mul­ti­plier les actions de for­ma­tion et de sen­si­bi­li­sa­tion aux nou­velles tech­no­lo­gies auprès du grand public et de per­sonnes relais comme les membres d’as­so­cia­tions artis­tiques, les ensei­gnants, les biblio­thé­caires, les chefs d’en­tre­prise, les élus et les fonc­tion­naires territoriaux.

Afin de per­mettre à cha­cun, quels que soient ses moyens, d’accéder à la socié­té de l’information, nous avons déve­lop­pé des points de consul­ta­tion Inter­net et de créa­tion mul­ti­mé­dia. D’abord dans le centre mul­ti­mé­dia Erasme, où une quin­zaine de machines et un stu­dio de pro­duc­tion mul­ti­mé­dia sont acces­sibles pour 60 F par an et par famille (le tarif des biblio­thèques muni­ci­pales) avec un accom­pa­gne­ment par des média­teurs ; puis dans les biblio­thèques muni­ci­pales qui équipent chaque vil­lage même le plus petit.

Des pro­duc­tions mul­ti­mé­dias mettent en valeur les actions locales, qu’il s’a­gisse d’un site web tou­ris­tique, d’un CD-ROM sur un contrat de rivière, démon­trant ain­si que le mul­ti­mé­dia peut ser­vir et sou­li­gner l’ac­tion locale. Une récente réa­li­sa­tion d’un CD-ROM de vul­ga­ri­sa­tion scien­ti­fique sur la plus ancienne mine d’argent de France, la mine de Pam­pailly, nous a per­mis de valo­ri­ser à la fois les tra­vaux de recherche de l’é­quipe d’ar­chéo­lo­gie des mines de la Sor­bonne et ce patri­moine local inac­ces­sible au public.

Les images et vidéos de plu­sieurs années de fouilles sont ain­si réunies sur un même sup­port et seront pro­po­sées au public dans la pro­chaine « mai­son de la mine » de Brussieu.

Une expé­rience de télé­tra­vail est aus­si conduite avec l’a­ni­ma­tion du Réseau natio­nal de sur­veillance aéro­bio­lo­gique (www.rnsa.asso.fr), et le centre Erasme héberge l’in­tra­net des 14 mai­ries et des dif­fé­rents ser­vices publics locaux.

Aujourd’­hui plus de 1 200 per­sonnes fré­quentent régu­liè­re­ment le centre Erasme, 80 biblio­thé­caires béné­voles sont mobi­li­sés dans les biblio­thèques, et 9 000 heures de for­ma­tion conti­nue y sont dis­pen­sées chaque année.

Les infrastructures

Les actions pré­sen­tées ci-des­sus ont per­mis de faci­li­ter l’ap­pro­pria­tion des tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion par le tis­su local, elles ne résolvent pas par contre le pro­blème des infra­struc­tures : s’il y a plus de 20 opé­ra­teurs de télé­com­mu­ni­ca­tions dans le Rhône, la majo­ri­té d’entre eux n’o­pèrent que dans le quar­tier d’af­faires de la Part-Dieu.

On remarque là les limites des acteurs pri­vés : ce sont les zones les plus ren­tables (les centres urbains) qui béné­fi­cient natu­rel­le­ment des infra­struc­tures et de la concur­rence et ce au détri­ment de l’a­mé­na­ge­ment du ter­ri­toire. Celui-ci est la mis­sion des col­lec­ti­vi­tés locales et en par­ti­cu­lier des conseils géné­raux : ceux-ci gèrent déjà des routes, ont construit les réseaux de dis­tri­bu­tion d’eau et garan­tissent un niveau de soli­da­ri­té territoriale.

Le Conseil géné­ral du Rhône a donc adop­té en 1995 le prin­cipe d’un réseau câblé sur l’en­semble de son ter­ri­toire : les auto­routes rho­da­niennes de l’in­for­ma­tion. Ce réseau doit non seule­ment dis­tri­buer la télé­vi­sion mais aus­si des télé­com­mu­ni­ca­tions à haut débit. Basé sur des tech­no­lo­gies hybrides fibre/coaxial (HFC), ce réseau repré­sen­te­ra 250 000 prises et rac­cor­de­ra 254 com­munes lors­qu’il sera ter­mi­né au début 2001. La moi­tié des prises est aujourd’­hui livrée.

Son opé­ra­teur, Rhône Vision Câble, a pour action­naire majo­ri­taire le groupe UPC (au tra­vers de sa filiale Média­ré­seaux). Le Conseil géné­ral du Rhône finance envi­ron 30 % de l’in­ves­tis­se­ment total (lequel s’é­lève à 1,2 mil­liard de francs), le reste est finan­cé par l’o­pé­ra­teur. En échange de cette par­ti­ci­pa­tion publique, la zone rurale du dépar­te­ment sera des­ser­vie et les ser­vices publics dépen­dant du conseil géné­ral et des com­munes béné­fi­cie­ront d’un accès gra­tuit au réseau.

Ain­si tous les col­lèges, écoles et ser­vices du dépar­te­ment pour­ront être inter­con­nec­tés. L’In­ter­net sur le câble est aujourd’­hui en test mais sera déployé com­mer­cia­le­ment en début d’an­née pro­chaine. L’offre de Média­ré­seaux à Marne-la-Val­lée nous donne des indi­ca­tions sur cette offre : le par­ti­cu­lier béné­fi­cie d’un débit de 512 kbit/s sans limi­ta­tion de tra­fic ni de durée pour un abon­ne­ment de 240 F par mois, loca­tion du câble modem compris.

Nous ver­rons avec inté­rêt dans les pro­chains mois le déploie­ment de l’offre ADSL de France Télé­com qui per­met­tra une saine concur­rence dans le dépar­te­ment en matière de réseau haut débit si tou­te­fois cette offre ADSL ne se limite pas aux zones urbaines.

Les enjeux de l’accès au savoir

En com­plé­ment de la construc­tion de cette infra­struc­ture, le Conseil géné­ral du Rhône s’at­tache à pré­sent à déve­lop­per les usages publics de ces technologies.
Avant de lan­cer dif­fé­rents pro­jets sur la télé­mé­de­cine, les télé­pro­cé­dures admi­nis­tra­tives ou es secours d’ur­gence, l’ac­cent a été pla­cé sur l’é­du­ca­tion et l’ac­cès au savoir.

Le moteur de la nou­velle éco­no­mie de l’in­for­ma­tion étant le savoir, il est prio­ri­taire de déve­lop­per les condi­tions d’ac­cès au savoir et d’ap­por­ter aux ensei­gnants les pos­si­bi­li­tés des tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion pour une péda­go­gie plus effi­cace, plus cen­trée sur l’ap­pre­nant. Un effort impor­tant est donc fait cette année pour l’é­qui­pe­ment et l’in­ter­con­nexion des col­lèges, il est com­plé­té par l’ou­ver­ture de ser­vices en ligne pour les ensei­gnants. C’est ain­si que le centre mul­ti­mé­dia Erasme est main­te­nant rat­ta­ché depuis un an au Conseil géné­ral du Rhône et a enga­gé des expé­ri­men­ta­tions sur l’u­sage péda­go­gique du réseau.

Celles-ci sont conduites en par­te­na­riat avec l’É­du­ca­tion natio­nale et dif­fé­rents acteurs publics et pri­vés comme La Cin­quième ou l’I­NA.

Erasme déve­loppe actuel­le­ment un ser­veur de conte­nus mul­ti­mé­dias péda­go­giques (http://laclasse.com) pour réseau haut débit, il com­prend des res­sources libres de droit et d’autres venant d’é­di­teurs pri­vés ou publics et est des­ti­né à favo­ri­ser l’u­ti­li­sa­tion et le par­tage de docu­ments mul­ti­mé­dias par les ensei­gnants. Le centre héberge des ser­veurs de com­mu­ni­ca­tion (forum, dis­cus­sion, radio Inter­net) ou de tra­vail col­la­bo­ra­tif comme les arbres de connais­sances qu’en­ri­chissent chaque semaine des écoles primaires.

On s’a­per­çoit que des usages très dif­fé­rents d’In­ter­net et des tech­no­lo­gies de l’in­for­ma­tion peuvent voir le jour dans le cadre sco­laire. Il peut s’a­gir de sup­ports de docu­men­ta­tion et de com­mu­ni­ca­tion, mais aus­si d’ap­pren­tis­sage au tra­vail d’é­quipe, de ges­tion de la com­plexi­té et car­to­gra­phie des savoirs. Cette phase d’ex­pé­ri­men­ta­tion pré­pare un déploie­ment sur mille éta­blis­se­ments l’an pro­chain. Des actions de copro­duc­tion mul­ti­mé­dia et de for­ma­tion com­plé­te­ront ce dispositif.

À venir

Ces tech­no­lo­gies ne pour­ront por­ter un déve­lop­pe­ment local durable que si les entre­prises locales se les appro­prient et entrent dans la dyna­mique de la Net-éco­no­mie. Les modèles éco­no­miques et les cultures d’en­tre­prises sont sur le point d’être pro­fon­dé­ment ébran­lés et nous voyons aujourd’­hui une course à la part de mar­ché élec­tro­nique extrê­me­ment valo­ri­sée en Bourse.

Nous pen­sons que la dis­po­ni­bi­li­té de réseaux haut débit, à fac­tu­ra­tion for­fai­taire pour l’u­sa­ger, vont géné­rer de nou­veaux usages et de nou­veaux mar­chés très impor­tants. Les entre­prises qui en béné­fi­cie­ront les pre­mières auront ain­si une com­pé­ti­ti­vi­té accrue.

Avec le déploie­ment des auto­routes rho­da­niennes de l’in­for­ma­tion, le Conseil géné­ral du Rhône sou­haite offrir cette chance sur l’en­semble de son ter­ri­toire et per­mettre aux entre­pre­neurs et aux sala­riés de choi­sir leur envi­ron­ne­ment de vie et de travail.

Pour en savoir d’a­van­tage :
http://www.erasme.org
http://laclasse.com

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