Nucléaire : les usages de demain se développent dès aujourd’hui !
Énergie bas carbone, le nucléaire a vocation à jouer un rôle décisif dans la réussite de la décarbonation du bouquet énergétique, d’une part, et des processus et industries les plus énergivores, d’autre part. Alors que se dessinent aujourd’hui les contours du nucléaire de demain et l’émergence de nouveaux usages, le CEA est en première ligne pour y contribuer et accompagner les industriels, et plus largement la société, dans cette transition. Philippe Stohr (X92), directeur des énergies au sein du CEA, nous en dit plus.
Quel regard portez-vous sur le contexte énergétique actuel ?
Nous vivons actuellement une crise énergétique et géopolitique sans précédent, qui font de l’énergie, une préoccupation majeure pour toutes les composantes de la société. En ce contexte particulier, la transition vers une énergie bas carbone se poursuit, et doit s’accélérer si nous voulons atteindre nos objectifs 2050. Une certitude est de plus en plus partagée, celle que nous allons avoir besoin de toutes les formes d’énergies bas carbone disponibles : les renouvelables, l’hydraulique et le nucléaire. Le CEA y travaille depuis de nombreuses années et a été, disons, un précurseur dans cette approche. L’Agence Internationale de l’Energie (AIE) rappelle régulièrement le rôle que le nucléaire peut jouer. RTE, le gestionnaire de réseau de transport d’électricité, a également mis exergue dans un rapport qui a nécessité deux années de travaux, les atouts d’un bouquet équilibré combinant le nucléaire aux énergies renouvelables. Le rapport prospectif « Futurs Énergétiques 2050 » a été publié en 2021.
Plus récemment, cet été, la France et plus largement l’Europe du sud ont connu vagues de chaleur, incendies, inondations, qui sont des illustrations concrètes des effets du réchauffement de la planète, un sujet largement documenté par les scientifiques et les experts depuis les 15 dernières années. Ces phénomènes de très forte intensité ont accéléré la prise de conscience des Français face à l’évolution du climat… Par ailleurs, le conflit ukrainien, pose la question de la sécurité d’approvisionnement en énergie aussi bien en termes de quantité suffisante d’énergie, et notamment de gaz pour alimenter l’Europe, qu’en termes de coûts, avec des prix records du gaz et de l’électricité en comparaison aux précédentes décennies.
Quels sont le rôle et la place du nucléaire dans la décarbonation de notre mix énergétique ?
Depuis le lancement du programme nucléaire en France, dans les années 70 et 80, le nucléaire est utilisé pour produire de l’électricité. Toutefois son potentiel dépasse largement cette dimension. C’est aussi un moyen de produire une énergie thermique bas carbone qui peut être utilisée pour décarboner les processus industriels dans des secteurs dits énergo-intensifs (métallurgie, cimenterie, chimie…). Le nucléaire peut également être utilisé pour produire massivement de l’hydrogène, qui est considéré comme un des principaux vecteurs de décarbonation de la mobilité, domaine où de nombreux progrès sont possibles. Au-delà des applications industrielles et de mobilité, on peut également recourir au nucléaire pour alimenter des réseaux de chaleur urbains, une piste que de nombreux pays explorent actuellement. D’autres pays s’intéressent aussi au dessalement de l’eau de mer. Il est clair que les usages du nucléaire dépassent la production de l’électricité et qu’il est, aujourd’hui, urgent de les revisiter pour décarboner les principaux secteurs de l’économie et notre société de manière plus large.
Dans ce cadre, pouvez-vous nous rappeler le positionnement du CEA ?
Le CEA est un acteur historique dans le domaine du nucléaire avec différentes missions : soutenir les acteurs industriels aussi bien au niveau des centrales du parc électronucléaire existant que des installations du cycle nucléaire depuis la fabrication du combustible nucléaire jusqu’à son retraitement avec un objectif de gestion optimisée du recours à l’uranium naturel et des déchets radioactifs.
Il travaille aussi sur l’anticipation des besoins industriels et s’inscrit dans une démarche continue d’optimisation des performances du réacteur, du combustible nucléaire, de la sûreté des installations.
Le CEA est également fortement engagé dans le développement du nucléaire de demain et travaille sur les nouveaux usages des réacteurs pour décarboner les systèmes énergétiques locaux, l’électricité, la chaleur et l’hydrogène, ainsi que sur les nouveaux procédés pour les installations du cycle. À plus long terme, le CEA mène aussi des travaux pour imaginer des futurs énergétiques, avec des projets innovants comme celui d’une raffinerie nucléaire produisant des carburants de synthèse en alliant hydrogène, carbone capturé et électricité et chaleur d’origine nucléaire.
Le futur du nucléaire ne peut également se concevoir sans une maîtrise de son passé. La filière nucléaire doit être en mesure de gérer, de manière responsable et dans le respect de l’environnement, ses activités passées : assainissement et démantèlement de sites, conditionnement et gestion des déchets induits. Ce sont des domaines d’activités pour le CEA, tant opérationnels que de recherche.
Comment contribuez-vous au développement de ce nucléaire du futur ?
Nous avons au CEA une très forte activité de recherche et développement dans les différents sujets que j’évoquais précédemment, avec des études de conception, des travaux expérimentaux en laboratoire ou dans des installations dédiées, de la modélisation et simulation. Dans cette démarche, l’innovation n’est pas seulement technique, elle est aussi méthodologique. Il s’agit par exemple de trouver de nouvelles manière de travailler et de collaborer avec différentes composantes d’un écosystème en pleine évolution. Dans le cadre du programme France 2030, le CEA accompagne des start-ups dans le développement de leurs projets. En parallèle, nous mettons en place des programmes expérimentaux avec des entreprises et industriels à qui nous donnons accès à nos infrastructures de recherche et à nos moyens de simulation. Le CEA contribue activement au renouveau de cet écosystème nucléaire et organise régulièrement des séminaires, des « bootcamps » afin de créer des espaces propices aux échanges, à l’idéation, mais aussi pour attirer de nouveaux acteurs sur ces sujets d’innovation nucléaire.
Quel est le rôle que peuvent jouer les lecteurs de la revue, les polytechniciens, dans le développement de cette industrie dans les années à venir ?
Nous avons besoin du nucléaire pour atteindre la neutralité carbone à horizon 2050. Aujourd’hui, nous avons encore de nombreux challenges techniques et d’innovation à relever. Le nucléaire a besoin de talents et de compétences pour décarboner la planète, assurer la compétitivité et la souveraineté de la France. J’invite donc les étudiants et les jeunes diplômés qui ont une appétence pour les sujets énergétiques et qui veulent contribuer à développer le bouquet énergétique de demain à nous rejoindre !
J’invite également les lecteurs qui évoluent dans des domaines industriels et qui, dans ce cadre, sont confrontés au quotidien à l’enjeu de la décarbonation de leur process et de leurs sources d’alimentation énergétique, à venir partager leurs questionnements, leurs enjeux et leurs pistes de réflexion avec le CEA. Nous pourrons explorer des solutions, en mettant à leur disposition nos expertises et transférant des technologies que nous avons développées. En effet, c’est ensemble que nous pourrons renouveler notre approche du nucléaire et développer les usages de demain.
Et pour conclure ?
Dans le contexte actuel d’urgence climatique, de tensions et de questionnement sur l’approvisionnement énergétique de notre pays, l’objectif du CEA est d’accélérer l’innovation et son transfert vers la société pour tenir nos engagements en matière de décarbonation et atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Nous vivons un moment charnière qui est porteur d’opportunités. La mobilisation des talents, des compétences, des expertises et l’implication des industriels et de la société nous permettront de relever ensemble ce défi. Et notre ambition est d’accompagner ce changement au bénéfice de la société !