Obaldiableries
J’ignore si René de Obaldia est un fervent lecteur de De la démocratie en Amérique. En tout cas, son théâtre nous parle de nous-mêmes. Il demeure tout en même temps merveilleusement classique, par la largeur et l’intemporalité de son thème de prédilection : la bêtise humaine.
Le Théâtre 14 – Jean-Marie Serreau vient de monter Obaldiableries : trois brefs divertissements. Dans l’un d’eux, un mari, ardent au travail et dévoué à sa femme, rêve d’emporter le super grand prix à un jeu télévisé, afin de pouvoir offrir à son épouse une croisière que ses moyens limités de petit cadre à la Compagnie des Eaux ne lui permettent pas de payer.
En vue d’acquérir les connaissances encyclopédiques nécessaires à la réalisation de son dessein, il apprend par cœur des dictionnaires entiers. Surmené, mélangeant tout, il se décide à faire appel à un “professeur de jeux télévisés ”, donnant, à domicile, des leçons particulières. Pour notre parfaite réjouissance, nous assistons alors à celles-ci.
La faconde du professeur, si elle ne parvient pas à conférer aisance à l’impétrant, malgré d’hilarants exercices de décontraction, exerce du moins une puissante attraction sur sa femme. De sorte qu’arrive ce qui devait arriver, mais conclut Obaldia :
Un cocu de plus, un cocu de moins
Ça ne fait pas dérailler les trains.
Dans un autre, nous voyons un vétérinaire psychanalyser une petite chienne nommée Choupette, amenée à la consultation par sa propriétaire, personne de naissance et de distinction, encore jeune mais récemment divorcée. La chienne en effet souffre d’un syndrome terrifiant : la nuit, elle se change en chien des Baskerville. Il faut dire que sa maîtresse lui lit du Conan Doyle le soir, pour l’occuper et nourrir son esprit canin.
Pour commencer le traitement, le vétérinaire place un os dans la gueule haletante de Choupette. Il explique doctoralement à la jeune femme éplorée ce principe, peut-être pas d’une stricte orthodoxie lacanienne mais peu importe, que :
Chien qui ronge un os
Laisse pisser le mérinos.
Tout le reste suit, du même ton obaldien où les mots s’entrechoquent et rebondissent les uns sur les autres en un feu d’artifice de trouvailles éblouissantes. Jacques Charron évoque quelque part dans ses souvenirs la jubilation qu’il éprouvait à se “mettre en bouche ” un texte de Obaldia.
On comprend cette félicité en écoutant le premier divertissement : sur le mode rap, un Noir du genre sans-papiers monologue devant le public sur sa vie de misère et de dérision. Une splendide illustration, mi-satirique, mi-déchirante, des situations contemporaines et du langage les accompagnant.
La mise en scène est de Thomas Le Douarec, qui se consacre en ce moment à Obaldia : c’est aussi lui qui a mis en scène Du vent dans les branches de sassafras, actuellement jouée au Ranelagh. Je n’ai pas vu cette autre pièce, parodie de western bien-pensant, créée en 1965.
Je peux donc seulement vous parler de la mise en scène des Obaldiableries. Elle m’a paru, par instants, un tantinet trop chargée, trop agitée. Avec Obaldia, il convient de ne se départir jamais de la finesse dont Le Douarec fait d’ailleurs presque tout le temps preuve. Il ne s’agit donc que de nuance ; notre gaieté fut complète, et sans mélange.