Obligation scolaire et parcours à la carte
Il se publie à jet continu des livres sur l’école, son état de délabrement et les effondrements sociétaux à venir qu’il nous promet. Dernier opus paru : La débâcle de l’École ; une tragédie incomprise (L. Lafforgue‑L. Lurçat – F.-X. de Guibert éd.). La plupart de ces ouvrages s’en prennent à Mai 1968, cause de tous les maux : Sous les pavés, la plage. Questionnons nos prolixes auteurs : Sous le constat, les propositions ? Mais de propositions, point. C’est le Christ dans cette blague d’outre-Quiévrain où, après moult miracles dont la résurrection de Lazare et la guérison du paralytique, croisant un malheureux en pleurs au bord de la route et lui ayant demandé : Pourquoi ce désarroi ? à la réponse Je suis belge, Jésus s’assit à ses côtés pour pleurer avec lui…
Tâchons de mieux faire !
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Scolarité obligatoire
En durée, le cursus de scolarité obligatoire c’est le parcours École primaire-Collège. La solution de continuité qui s’installe à l’articulation des deux est le premier obstacle à lever. L’obligation de formation jusqu’à 16 ans doit trouver à se déployer dans un cadre pédagogique unifié, avec ses spécificités continues et son impératif central d’accès à une culture partagée et à une compétence citoyenne que la notion de « socle commun » peut résumer.
Socle commun et succès à l’excellence : ce n’est pas contradictoire
Tout enseignant de classe de sixième constate le fléchissement fréquent des comportements et des acquisitions apparentes des élèves dans les premiers mois de l’année. Le passage du maître unique à l’éparpillement des enseignants spécialisés déstabilise l’élève et induit hétérogénéité des interlocuteurs éducatifs et de leurs consignes, d’immédiates stratégies d’évitement, de recherche de la moindre résistance, qui ruinent les souvent indiscutables efforts des pédagogues précédents.
Unification nécessaire donc, fusion de l’école et du collège en une entité pédagogique unique, avec ses objectifs, ses progressions, ses méthodes et pour partie (j’y reviens) ses maîtres. Unification qui s’inscrit dans cette logique : la scolarité obligatoire est une fin en soi, logique dont l’actuelle approche de fait du collège comme antichambre du lycée est l’exact contre-pied ! Règle à énoncer : Le citoyen se forme à l’école obligatoire et elle a pour vocation première de former le citoyen. Comment ?
Une difficulté sera à cerner complètement et résoudre en deuxième partie.
L’objectif de formation citoyenne (apprentissages de base, solides mais simples – exigences et usages du comportement social, dialogue, tolérance, respect de la loi, ouverture à l’autre, écoute, discipline – compréhension du monde comme il est et comme il va, curiosité, questionnements, réflexion guidée) implique des activités par classes d’âge, dans la diversité hétérogène des origines et des aptitudes qui, conduites par des maîtres référents polyvalents, ne s’inscrivent pas dans la recherche de l’excellence des parcours individuels, mais dans la perspective d’un épanouissement collectif à travers la reconnaissance et la complémentarité des différences.
Un mi-temps de formation citoyenne
Cette formation, objectif essentiel, ne couvrira néanmoins pas, pour la réserve énoncée, la totalité du champ scolaire. Elle peut être de mi-temps. La classe d’âge y est sous l’autorité, je l’ai évoqué, d’un maître référent, polyvalent, c’est-à-dire maîtrisant bien un champ culturel large, « instituteur » de tout le cursus obligatoire dont il serait plus que satisfaisant qu’il domine bien l’ensemble des programmes des actuels baccalauréats de l’enseignement général et… qu’il soit bien formé aux techniques de groupe.
Ce mi-temps de formation « citoyenne » sera validé et débouchera sur la délivrance d’un certificat de (bonne) fin de scolarité obligatoire, brevet d’insertion citoyenne (voire civique), Br.I.C. dont les modalités sont à préciser mais qui pourrait jouer le rôle de l’ancien et « historique » certificat d’études primaires : expression écrite et orale, argumentation, éléments d’expression artistique, techniques calculatoires de base, éléments d’histoire et de géographie, éléments de SVT (sciences et vie de la terre), éléments de physique-chimie, notions élémentaires sur le corps humain, éléments de secourisme, notions élémentaires sur les institutions, la loi, le droit, éléments de maîtrise corporelle (hygiène sportive et gestes sportifs : courir, sauter, lancer, nager).
Double cursus
Le principe du mi-temps « citoyen » peut s’étendre à la scolarité en lycée, participant à une découverte « générationnelle » guidée de la complexité du monde. On pourra alors en creuser davantage les contenus, en redéfinir les enseignants et l’orienter à terme vers la délivrance d’un certificat de (bonne) fin de scolarité secondaire, Ba.I.C., où Ba, pour baccalauréat, remplacera le Br (brevet) du Br.I.C.
Vie active ou lycée ; vie active ou enseignement supérieur
Dans les deux cas, ce principe de « socle » doit être complété pour rendre la formation initiale à son autre devoir : l’épanouissement personnel par la recherche de l’excellence individuelle. Il ne s’agit plus là de réussite collective minimale, mais bien d’amener chacun, en fonction de ses goûts et de ses aptitudes, au meilleur de ce qu’il peut devenir.
D’où nécessairement un second mi-temps, « à options ». L’élève y va accumuler des unités de valeur ciblées, validant des étapes (courtes) d’acquisition de connaissances et de compétences au fil d’un enseignement en groupes restreints. Les critères d’âge sont ici abandonnés. Un groupe n’est formé que sur la base d’acquis antérieurs dans le seul champ à travailler, garantissant son homogénéité. Les disciplines sont dissociées. Les progressions individuelles également. Les champs d’étude sont choisis. On doit en attendre une motivation renforcée. L’enseignement reprend ici sa forme la plus classique, confié à des maîtres spécialistes de leur discipline.
Vie active ou lycée
C’est le cumul des unités de valeur acquises qui dessine le profil personnel, au-delà du socle commun, de l’élève, et qui permet, en fin de cycle (scolarité obligatoire-lycée), une mesure réaliste de ses aptitudes au succès dans l’étape suivante. À la clé, évidemment, un principe de sélection.
En fin de scolarité obligatoire, un choix : vie active ou lycée. Dans les deux cas, la structure d’accueil définit ses propres critères, en termes justement d’unités de valeur acquises. On notera que le principe des deux mi-temps ouvre la porte à une possibilité d’alternance, le second mi-temps pouvant aussi (à partir de quatorze ans) se concevoir en termes de préprofessionnalisation.
En fin de lycée, nouveau choix : vie active ou enseignement supérieur, avec le même cadre : accueil sur critères définis par l’aval en termes d’unités de valeur cumulées.
La connaissance, par le milieu scolaire, des critères de son aval, constitue la base d’une orientation non plus subie mais choisie de l’élève, à même de définir son effort à partir de ses objectifs et des contraintes qui dès lors s’y rattachent explicitement.
Dans la voie du ressaisissement
Voilà. Des bases sont jetées. Bien entendu, tout reste encore à bâtir et concernera les nouveaux profils du corps enseignant, sa formation repensée à la lumière de cette prospective, la redéfinition des services des maîtres comme du sens de leurs missions, l’autonomie des établissements (et leur reconfiguration !) pour que le système envisagé soit adaptable aux spécificités locales et efficacement réactif, sans compter, indispensable et urgente, une réforme complète de l’encadrement (chefs d’établissement, inspection) pour que la perspective ouverte vive et trouve son essor.
Mais enfin, deux pistes sont indiquées et je ne vois pas ailleurs, sauf passéisme improductif, d’engagement possible dans la voie d’un ressaisissement du système.