Officier de marine
Le métier de marin d’État présente de nombreuses facettes, autant qu’en contient le large spectre des missions de la Marine nationale. Il est à la fois marin et militaire, mais aussi policier lorsqu’il participe à la lutte contre les trafics illicites (drogue, clandestins, armes, etc.), ambassadeur lors des escales en pays étrangers, humanitaire pour porter assistance à des populations sinistrées en zone côtière.
REPÈRES
Le Livre blanc de 2008 s’intitule Défense et Sécurité nationale et définit la stratégie de sécurité nationale comme ayant pour objectif de parer aux risques ou menaces susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation. Il redéfinit les quatre grandes fonctions stratégiques que sont la prévention et la dissuasion d’une part, la protection et l’intervention d’autre part, en notant que c’est la combinaison de ces différentes fonctions, dans un agencement qui doit demeurer souple, qui permet d’assurer la sécurité nationale, tout en introduisant une nouvelle fonction baptisée connaissance-anticipation, fonction en quelque sorte à la fois transverse et préliminaire à toutes les autres.
Le patrouilleur de service public Grèbe
Comme le précisait récemment l’amiral Pierre-François Forissier, chef d’état-major de la Marine, lors d’une intervention publique aux « Mardis de la mer », il serait tout à fait réducteur de ne voir dans la marine qu’une « armée de mer », car son caractère de marine nationale lui confère naturellement une responsabilité, entière ou partielle, dans tous les domaines où l’État a besoin d’agir en mer.
Le porte-avion et l’importance du porte-avions dans la qualité particulière des relations entre la Marine nationale et la Navy (le CVN John C. Stennis et le Charles-de ‑Gaulle) photo JC Stennis media dept
Alors que de profondes réflexions ont été engagées pour adapter notre outil de défense aux menaces du monde actuel, il est, me semblet- il, assez naturel, de replacer notre marine dans le contexte du dernier Livre blanc, et d’examiner ainsi, non seulement son action aujourd’hui, mais ce que l’on attend d’elle pour demain. Cela nous permettra de constater que son adaptation continue, et en particulier celle de ces dernières années, la met en mesure de répondre aux attentes de notre pays, même si elle doit continuer à utiliser au mieux la polyvalence, pour pallier quelquefois l’absence sur place de moyens strictement adaptés.
La Marine nationale maintient des navires sur toutes les mers du globe
Le besoin de connaissance et d’anticipation correspond tout à fait au souci du bon officier de quart de naviguer sur l’avant. C’est pour cela, et depuis fort longtemps, que la marine maintient des navires sur toutes les mers du globe, à la fois yeux et oreilles, mais aussi bras armé, prêt à agir.
La prévention repose en priorité sur la veille et la coopération ; à ce titre, la marine, qui est ou qui peut être naturellement en contact direct avec presque tous les pays, possède une position privilégiée qui lui permet de renseigner, de converser, de surveiller, et le cas échéant de gesticuler.
Une force stratégique
Un état-major en mer
Pour contribuer à la résolution d’une crise, ou pour participer à un conflit, la marine peut être amenée à déployer un groupe aéronaval articulé autour du porte-avions Charles-de-Gaulle, et deux groupes amphibies organisés autour des bâtiments de projection et de commandement Mistral et Tonnerre capables d’accueillir un étatmajor interarmées de conduite de forces.
Il est inutile de rappeler ici le rôle fondamental de la marine dans le domaine de la dissuasion : elle est chargée d’assurer la permanence à la mer de la force océanique stratégique, garante de la capacité de frappe en second de la dissuasion. Pour ce faire, elle met en oeuvre quatre SNLE, et utilise le concours de sous-marins nucléaires d’attaque, de navires de lutte anti-sous-marine et de chasseurs de mines pour assurer le contrôle des abords du port de soutien. En outre, les Rafale embarqués sur le porte-avions doivent être en mesure de mettre en oeuvre les missiles qui constituent une partie de la composante aéroportée.
L’intervention reste la fonction la plus classique ; c’est elle qui fait appel au volet « armée de mer » de notre marine.
On notera que 80% de la population mondiale se trouve à la portée des moyens d’action du porte-avions opérant en haute mer, c’est-à-dire dans les eaux internationales, ce qui fait du porte-avions un moyen souple utilisable en toute indépendance. On ne dira jamais assez, par ailleurs, l’importance du porte-avions dans la qualité particulière des relations entre la Marine nationale et la Navy.
Les eaux territoriales
Le La Pérouse déroutant un vraquier Baltic Trader surpris en train de dégazer au large de Brest
Une attention toute particulière est donnée, dans le Livre blanc, à la fonction protection du territoire national et de sa population. Lorsque l’on parle de territoire national, on a souvent tendance à oublier que celui-ci comprend les eaux territoriales, et encore plus qu’une souveraineté partielle s’étend sur toute la Zone économique exclusive (ZEE) qui, elle, se prolonge jusqu’à 200 milles nautiques des côtes. La France en possède 11 millions de km2, ce qui la place au deuxième rang mondial, juste et, de peu, après les États-Unis, et au sixième rang mondial au regard des surfaces sur lesquelles l’État exerce une souveraineté au moins partielle. Si l’on ajoute le fait que la majeure partie de nos approvisionnements arrive par voie de mer, on comprend combien le rôle de la Marine nationale y est fondamental.
La « Sauvegarde maritime », dont la définition récente résulte directement de l’évolution du monde, s’est mise en place progressivement depuis 2003, et son concept a été reformalisé très récemment, en 2007. Contrôle des approches, exercice de la souveraineté nationale relèvent en tout ou partie de la « sauvegarde maritime ».
La France possède le détroit international le plus fréquenté au monde, celui du Pas-de-Calais
Il s’agit d’un véritable continuum qui va de l’emploi de chasseurs de mines et des sémaphores aux abords de nos côtes, à la surveillance exercée à proximité de côtes étrangères parfois lointaines destinée à identifier et à contrer les trafics illicites et l’immigration clandestine, en passant par le contrôle des zones économiques exclusives, la lutte contre le terrorisme et la sécurisation des voies de communication.
La sauvegarde maritime regroupe en mer des missions de défense et le soutien à l’action civile de l’État, et se matérialise par la défense maritime, c’est-à-dire la défense du territoire à partir de la mer, la défense des droits souverains de l’État en mer, la maîtrise des risques liés à l’espace maritime.
Les intérêts français
Ainsi, au-delà des missions strictement militaires, la Marine nationale assure une présence permanente dans les zones où se trouvent des intérêts français. Dans ce cadre, ses bâtiments et ses aéronefs mêlent les actions de l’État en mer, qu’elles soient à caractère civil ou à caractère militaire. Relèvent ainsi de la sauvegarde maritime la surveillance maritime (contrôle naval, lutte antiterroriste, piraterie), la lutte contre les activités illicites (pêche, drogue, immigration illégale, piraterie), la sauvegarde des personnes et des biens, la protection de l’environnement, la lutte contre la pollution (recherche des infractions et lutte contre leurs conséquences avec des moyens propres et des moyens affrétés).
Quelques exemples d’actions menées dans le cadre de la « sauvegarde maritime »
La recrudescence des actes de piraterie
La piraterie mérite un commentaire particulier, à la fois parce qu’elle a connu, ces dernières années, une croissance sans précédent, et parce qu’elle constitue un réel danger pour la sécurité de nos approvisionnements. « Les pirates utilisent les failles de la législation et de la réglementation qui font que la mer est un espace de liberté assez peu régulé. Il serait cependant dommage de remettre en cause ce principe de liberté des mers. En revanche, une meilleure régulation serait la bienvenue… Mais, les pirates sont des délinquants qui visent le profit maximum avec le risque minimum. Il faut donc faire en sorte que la piraterie rapporte moins et devienne très risquée1. »
Lutte antipollution : le 27 janvier 2007, le vraquier Baltic Trader, surpris en train de dégazer au large de Brest, est arraisonné et dérouté par le La Pérouse.
Assistance et sauvetage : malmené par une tempête, un convoi se trouvait à 35 km à l’ouest du Finistère quand, à 4h20, le câble entre le remorqueur Letojanni et la barge qu’il convoyait a cédé. Au terme d’une manoeuvre acrobatique, les marins du remorqueur Abeille Bourbon sont parvenus à prendre en laisse la barge de 96 m qui, secouée par des vagues de 10 m, menaçait de s’échouer sur l’île de Batz.
Opération de police des pêches en Guyane : l’opération « Tassergal » s’est déroulée en octobre-novembre 2007 ; elle avait pour but de contraindre les embarcations de pêches (tapouilles) brésiliennes à respecter, dans la zone économique guyanaise, la réglementation. L‘emploi de la force a été nécessaire pour arraisonner et dérouter une dizaine de « tapouilles » brésiliennes.
Opération Nautilus 08 : le patrouilleur Arago a participé, durant plusieurs semaines, à une opération de surveillance et de contrôle des migrations clandestines vers l’Europe et particulièrement vers l’Italie. Au cours de cette opération, l’Arago a repêché 6 corps sans vie au sud de Malte et conduit 277 migrants sur Lampedusa.
Lutte contre le terrorisme : du 24 février au 9 juin 2006, le groupe aéronaval a été déployé en océan Indien, accompagné de la frégate britannique HMS Lancaster. Constituée autour du porte-avions Charles-de-Gaulle, la Task Force 473 a été engagée en soutien des forces coalisées de l’opération « Enduring Freedom » et de la Force internationale d’assistance pour la sécurité en Afghanistan (FIAS).
Dans le cadre d’Enduring Freedom, les bâtiments du groupe aéronaval ont contribué à la surveillance maritime de la mer d’Arabie, afin de dissuader et d’empêcher les mouvements de groupes terroristes et les trafics illicites.
Lutte contre la piraterie : la frégate Courbet en patrouille au nord-est de la Somalie, dans le cadre de l’opération Enduring Freedom, a porté assistance, le 27 janvier 2006 au matin, à un bâtiment de commerce victime d’une attaque de pirates, le cargo Osman Mete, battant pavillon turc, en transit entre Durban et la Turquie, a été attaqué par une embarcation rapide de pirates armés d’un lance-roquettes et d’armes automatiques. Les pirates ont ouvert le feu sur la passerelle du cargo turc. Le cargo a émis un appel de détresse qui a été reçu par la frégate Courbet en patrouille dans la zone. L’intervention coordonnée de la frégate et de son hélicoptère Panther a permis de mettre en fuite les assaillants.
En octobre 2008, neuf pirates somaliens ont été capturés par la Marine nationale au large (100 milles nautiques) des côtes somaliennes ; à bord de leurs embarcations ont été découverts de l’armement individuel et antichar ainsi que du matériel d’abordage.
Intervention de la frégate Courbet pour la mise en fuite des assaillants d’un cargo
photo marine nationale
Les failles de la réglementation
Le terrorisme maritime présente, avec la piraterie, le point commun d’utiliser les failles de la réglementation internationale. Celle-ci s’appuie sur la convention de Montego Bay qui, établie au temps de la guerre froide, crée les zones économiques exclusives, met un peu d’ordre dans la taille des eaux territoriales et réglemente la circulation des navires de combat, en laissant aux grandes marines, alliées objectives, la libre circulation interocéanique.
Les missions de sauvegarde maritime représentent, chaque année, un potentiel d’environ 7000 jours de mer et 5000 heures de vol
Fort peu de contraintes pèsent sur les navires non militaires qu’utilisent justement tant les pirates que les terroristes. Mais les choses sont en train de bouger, car déjà, face à l’explosion des actes de piraterie au large de la corne d’Afrique, l’ONU a déjà autorisé les marines militaires à intervenir, avec l’accord du gouvernement somalien, dans les eaux territoriales du pays. La réponse à la diversité des missions découlant de la sauvegarde maritime est fournie par la polyvalence des moyens de la marine dont l’activité s’inscrit en coordination avec l’action des autres administrations et celle d’acteurs privés, pour assurer un usage licite des mers et y fournir sûreté et sécurité.
Groupe amphibie d’intervention avec le BPC Tonnerre photo marine nationale/Franck Seurot
La sauvegarde maritime est assurée par une « posture permanente » concernant tous les espaces maritimes et d’une densité évidemment plus forte au voisinage immédiat des approches européennes et françaises.
Pour les missions strictement de défense, leur définition et leur conduite relèvent du Chef d’état-major des armées (CEMA), dont le bras armé est le commandant de zone maritime, contrôleur opérationnel.
Le préfet maritime
Pour les actions civiles de l’État en mer, la chaîne de commandement est placée sous l’autorité du Premier ministre, dont le bras armé est, en métropole, le préfet maritime. En 1800, Napoléon Bonaparte crée, par une loi, le corps des préfets de département ; quatre jours plus tard, il crée les préfets maritimes, par décret pris en Conseil d’État, avec un texte reprenant les mêmes termes que ceux de la loi relative aux préfets de département.
Le commandant de zone maritime et le préfet maritime sont un seul et même personnage
Le préfet maritime est chargé « de la sûreté des ports, de la protection des côtes, de l’inspection de la rade et des bâtiments qui y sont mouillés ».
En 1928 s’y ajoutent des pouvoirs de police, sur la côte et la rade et les pêches, ainsi que la protection du cabotage.
Bien qu’en 1930 la police des pêches soit passée à l’Inscription maritime devenue depuis « Affaires maritimes », le rôle et les pouvoirs du préfet maritime n’ont cessé de se renforcer : d’abord chargé de coordonner les moyens de toutes les administrations susceptibles d’opérer en mer en cas d’urgence dans certains domaines en 1972, s’y ajoute en 1978 la coordination des opérations lors d’accidents, et enfin, en 2004, la coordination au quotidien pour ce qui touche à l’action de l’État en mer.
L’atout de la synergie
Prise en laisse d’un convoi par le remorqueur Abeille Bourbon photo marine nationale/Daniel Ferrelec
Pour remplir sa mission de coordonnateur de l’action de l’État en mer (AEM), le préfet maritime ne dispose d’aucun moyen en propre. C’est le ministère de la Défense qui fournit les moyens hauturiers, aériens et côtiers permettant de maintenir la « posture de sauvegarde maritime », ainsi que les remorqueurs de haute mer, les bâtiments antipollution et les hélicoptères de sauvetage.
C’est le ministère des Finances qui, avec la section « garde-côtes » des douanes, fournit des moyens aériens et nautiques de surveillance des façades maritimes et des pollutions en mer.
C’est le ministère chargé des Transports qui fournit et arme les Centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage (CROSS), ainsi que les vedettes de surveillance des pêches.
Enfin, c’est la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM), organisme de droit privé, qui fournit et arme, avec du personnel bénévole, les vedettes de sauvetage qui assurent 60% des sauvetages en mer.
Chaque administration agit dans son domaine de compétence, avec ses moyens propres, et c’est la synergie qui en résulte qui constitue l’atout principal du système.
Cette organisation particulière n’est pas le fait du hasard : pour des raisons de coût et d’efficacité, la France avait préféré renforcer un système original reposant sur une mutualisation de moyens, plutôt que de créer un corps de « garde-côtes ». Ce choix a été confirmé récemment dans l’avis exprimé sur le Livre vert destiné à définir une politique maritime intégrée de l’Union européenne, par l’Académie de marine, qui avait été officiellement sollicitée : « La France dispose de longue date… d’une organisation relevant du Premier ministre qui donne aux préfets maritimes la responsabilité de la coordination des différentes administrations qui concourent à l’action de l’État en mer. Cette organisation qui donne satisfaction et qui est sans nul doute la plus économique…»
Ce qui importe, ce n’est pas tant qu’existe un corps de « garde-côtes », c’est que la fonction « garde-côtes » soit assurée convenablement, et elle l’est.
L’imprévu à tout moment
Le métier de marin d’État a beaucoup changé. Si l’époque des grandes découvertes, où l’on partait sans savoir vers quelle terre on se dirigeait ni ce que l’on pourrait y trouver, est depuis longtemps révolue, la mer demeure un espace d’aventure, où l’imprévu peut survenir à tout moment. Le marin qui quitte le port, relié en permanence aux centres de commandement par les moyens de communications spatiaux, peut à tout moment se voir attribuer une nouvelle mission, assistance à un navire en difficulté ou à une population victime d’une catastrophe naturelle, relocalisation et identification d’un danger pour la navigation, interception d’un pollueur ou d’un trafiquant, intervention pour un navire détourné par des pirates, évacuation de ressortissants menacés par une crise locale.
Mais une constante demeure : le navire de la Marine nationale emporte avec lui un morceau de France, et donc rien de ce qui touche à l’un quelconque des intérêts de l’État ne saurait lui être indifférent. Cela était vrai du temps de la Marine royale, cela l’est encore, sinon plus aujourd’hui.
1. Amiral Pierre-François FORISSIER, chef d’état-major de la Marine, Les Échos, 2 décembre 2008.