OIN Paris-Saclay : Les ambitions scientifiques et durables d’un projet hors norme
L’Opération d’intérêt national Paris-Saclay est un projet d’échelle exceptionnelle qui s’inscrit comme un véritable pôle structurant du Grand Paris. Cluster scientifique et technologique et pôle académique de rang mondial, Paris-Saclay se présente comme un territoire durable aux grandes ambitions sur le plan du développement durable et de la responsabilité sociétale.
Le projet consiste à aménager un archipel de quartiers de gare autour de la future ligne 18 du Grand Paris Express. Les nouveaux quartiers durables conjuguent densité, mixité des habitants et usagers, mixité sociale, proposant ainsi un cadre de vie de qualité caractérisé par la proximité. Le projet, favorisant la sobriété foncière, a, dès le départ, instauré et délimité une zone de protection naturelle agricole et forestière.
Peux-tu nous résumer ton parcours depuis l’École ?
J’ai quitté le plateau en 2009 pour rejoindre l’École des ponts pendant trois ans. En premier poste, j’ai intégré la DDT 42 (direction départementale des territoires). J’étais responsable du service planification, aménagement, risques. C’était une très bonne expérience pour découvrir les politiques publiques et les différents rôles des acteurs publics dans l’aménagement du territoire à l’échelle d’un département. J’ai été marquée par la consommation des terres agricoles et naturelles et par notre « lutte » pour les protéger. C’était juste après le Grenelle de l’environnement, puis la loi Alur (accès au logement et urbanisme rénové) est arrivée.
La consommation des espaces naturels et agricoles est un grand sujet dans la planification depuis longtemps en France, qui se renforce de loi en loi, encore dernièrement avec la loi climat et résilience qui invoque le zéro artificialisation nette (ZAN). Par la suite, j’ai fait un passage de 2015 à 2020 au Cerema, un établissement public administratif qui apporte du conseil, de l’expertise, à la fois pour les collectivités et pour l’État en vue de la transition écologique et de l’adaptation au changement climatique. J’encadrais un département multithématique : construction, voirie, aménagement.
Comment as-tu rejoint le projet de l’Établissement public d’aménagement de Paris-Saclay ?
Mon mari et moi avons eu deux belles opportunités de revenir sur le plateau de Saclay : lui au Lab EDF, un des premiers grands centres de R & D installés sur le plateau de Saclay, et moi au sein de l’Établissement public d’aménagement Paris-Saclay (Epaps), l’aménageur de ce grand projet. J’y suis arrivée en septembre 2020 pour encadrer une équipe transversale qui œuvre avec les équipes opérationnelles pour que les projets urbains que l’on conçoit soient les plus durables possible. Avec pour mission également d’élaborer et de mettre en œuvre une stratégie de développement durable et de responsabilité sociétale pour l’Opération d’intérêt national Paris-Saclay, stratégie fédératrice avec tous les acteurs parties prenantes de Paris-Saclay.
Qu’est-ce que l’Opération d’intérêt national (OIN) Paris-Saclay ? Qu’est-ce qui t’a marquée à ton retour en 2020 ?
Quand j’ai quitté l’École polytechnique et le plateau de Saclay en 2009, le projet n’était pas connu des élèves, nous y vivions un peu en autarcie sans nous poser de questions. C’est en 2010 qu’a été créé l’établissement public chargé d’aménager une opération dite d’intérêt national, aux enjeux majeurs, qui s’étend sur les trois agglomérations de Paris-Saclay en Essonne, de Saint-Quentin-en-Yvelines et de Versailles Grand Parc dans les Yvelines, au travers de nouveaux projets urbains « futurs quartiers de gare de la ligne 18 du Grand Paris Express ». L’Établissement est également chargé de coordonner la création du cluster scientifique et technologique de Paris-Saclay et du pôle académique de rang mondial, reposant sur un potentiel en recherche scientifique déjà existant.
Le pôle académique s’est concrétisé par la création de l’Université Paris-Saclay (trois universités, sept grandes écoles dont l’Agro, l’ENS, CentraleSupélec et des centres de recherche) et d’IP Paris (X, Ensta, Ensae, Télécom Paris, Télécom SudParis). Toutes les écoles sont aujourd’hui installées, l’Agro et le pôle biologie pharmacie chimie (BPC) de l’université feront leur rentrée en septembre 2022.
La même loi du Grand Paris en 2010 a créé notre établissement (dirigé par Pierre Veltz, X64, jusqu’en 2015, auteur de Petite ensaclaypédie et Saclay, genèse et défis d’un grand projet, dirigé actuellement par Philippe Van de Maele X81), la Société du Grand Paris (chargée du Grand Paris Express, dont la ligne 18 d’Antony à Versailles est une composante majeure de notre projet) et la zone de protection naturelle, agricole et forestière (ZPNAF), autre composante majeure, véritable atout et poumon vert central du projet. Zone de protection permettant de sanctuariser plus de 4 000 hectares de terres naturelles, agricoles et forestières, stoppant ainsi le grignotage des terres agricoles.
“C’est avant tout un territoire durable qui s’affirme comme un pôle de vie et d’emplois inscrit dans le polycentrisme du Grand Paris.”
Ce qui m’a marquée à mon retour en 2020, c’est l’ampleur de ce projet et l’appréhension des échelles du projet Paris-Saclay au sein du Grand Paris, ainsi que la vitesse à laquelle il se concrétise. Au départ de ce projet, sur un territoire à fort potentiel scientifique, il y a la volonté de remettre la France en bonne position sur la scène internationale en créant un cluster scientifique et technologique, à la fois par la présence d’instituts de R & D de grandes entreprises (sont déjà présents Thales, EDF, Servier, Danone, Renault, TotalEnergies avec l’Institut photovoltaïque d’Île-de-France…), le lancement de start-up sur des filières stratégiques (santé, aérospatiale, énergie, sécurité défense et TIC), en développant des liens et des synergies avec le pôle académique et les grands centres de recherche.
Concernant le pôle académique, c’est déjà une réussite : l’Université Paris-Saclay est 13e dans le classement de Shanghai. IP Paris s’est classé au 43e rang mondial et au 1er rang français pour sa première participation au THE (Times Higher Education). Cette visibilité permettra à l’École polytechnique et à ce pôle académique de favoriser des parcours diversifiés et de renforcer la recherche.
Aujourd’hui, Paris-Saclay représente 15 % de la R & D française. C’est avant tout un territoire durable qui s’affirme comme un pôle de vie et d’emplois inscrit dans le polycentrisme du Grand Paris.
Peux-tu nous présenter les contours géographiques de l’Opération d’intérêt national de Paris-Saclay ?
Ce territoire de Paris-Saclay est vaste ! Le territoire représente un bassin de vie de 650 000 habitants et plus de 350 000 emplois. Il rassemble 27 communes et s’étend sur trois intercommunalités. L’opération urbaine s’organise autour de trois principaux pôles constituant le cluster scientifique, technologique et d’innovation : le campus urbain en Essonne sur les communes de Palaiseau, Orsay, Gif-sur-Yvette (600 ha, 7 km d’est en ouest), Saint-Aubin et Saclay ; c’est à l’est du campus urbain que l’on retrouve le campus IP Paris ; le quartier de Satory-Ouest, intégré à la commune de Versailles ; un nouveau quartier à Guyancourt, face au Technocentre Renault.
Les limites de ces nouveaux quartiers compacts ont été posées, on y intensifie l’existant, on recycle des friches (friches Thales du domaine de Corbeville et sur Guyancourt) ; ils forment comme un archipel autour de la grande zone de protection (ZPNAF), laquelle préserve l’équilibre rural-urbain. Cette présence de grands espaces de nature offre un cadre de vie exceptionnel. L’EPA est l’aménageur de ces nouveaux quartiers qui se veulent des démonstrateurs de la ville durable. Il est chargé de l’animation et de la coordination des acteurs autour du programme d’action de la zone de protection naturelle, agricole et forestière du plateau de Saclay.
Pourquoi cette mixité est devenue un besoin ?
Le campus urbain est un sacré pari. On réunit les écoles et les logements étudiants, les entreprises et leurs salariés, des logements familiaux, de grands équipements et des commerces et services de proximité qui animent les centralités de ces nouveaux quartiers : cette mixité programmatique et sociale est un fondement de l’aménagement du campus urbain. Cette proximité et les synergies créées entre étudiants, chercheurs, entreprises sont fondamentales pour l’innovation, même à l’heure du télétravail.
L’objectif est aussi de créer des nouveaux quartiers de ville durables en y amenant une vie urbaine avec des habitants, en favorisant le lien avec les tissus urbains déjà existants. Une grande place est donnée aux espaces publics et aux espaces de végétalisation (lisières paysagères aux franges des coteaux boisés et des terres agricoles). À l’EPA, nous travaillons de plus en plus en concertation avec les usagers afin qu’ils s’approprient les nouveaux quartiers. Nous attachons de l’importance à animer ces quartiers en lien avec les collectivités locales par des événements, des visites et par la mise en valeur du patrimoine (château de Corbeville).
Pourquoi une stratégie développement durable et responsabilité sociétale pour l’OIN Paris-Saclay ?
Nous avons souhaité réaffirmer notre ambition et les grands objectifs pour l’OIN Paris-Saclay en relation avec toutes les parties prenantes, au premier rang desquelles les collectivités et le pôle académique avec qui nous travaillons en concertation étroite au quotidien. L’EPA est l’aménageur, mais c’est collectivement que nous allons faire de Paris-Saclay un territoire durable et responsable. C’est un territoire qui va créer beaucoup d’emplois et de valeur, mais il faut que ça profite à toutes et tous, que ce ne soit pas qu’un territoire des élites. Il doit avoir un effet de levier sur l’ensemble du territoire, avec des objectifs d’inclusion sociale et scolaire.
Quelles sont les innovations durables de ces aménagements ?
Toutes les innovations au service de la durabilité, de la sobriété et de la résilience du projet doivent s’accorder avec les orientations politiques et les équations économiques, d’où l’importance de travailler en concertation avec tous les acteurs et surtout les élus. En termes de sobriété foncière, nous avons cité plus haut le recyclage de friches artificialisées et polluées.
Nous voulons des quartiers alimentés en énergie renouvelable. Très tôt il y a eu la conception d’un réseau d’échange de chaleur et de froid, fondé sur la géothermie, qui permet d’alimenter à hauteur de 50 % en énergie renouvelable le campus urbain. On travaille actuellement sur une stratégie de développement du photovoltaïque pour nos quartiers afin de promouvoir l’autoconsommation des bâtiments. En tant qu’aménageur, nous sommes prescripteurs auprès des preneurs de lots immobiliers et maîtres d’ouvrage des espaces publics et nous visons des quartiers sobres en ressources et en carbone. Parmi nos actions clés citons notre engagement dans le pacte Fibois avec l’objectif de construire 40 % des surfaces avec du bois et des matériaux biosourcés.
Sobriété carbone
Pacte FIbois : pourcentage obligatoire de bois biosourcé issu de forêts gérées durablement et produit à 30 % au minimum en France. 40 % des mètres carrés construits incluent des matériaux bois ou des matériaux biosourcés.
Source : La Stratégie développement durable et responsabilité sociétale de Paris-Saclay. Le Manifeste.
La gestion des eaux pluviales se fait de plus en plus à ciel ouvert, créant ainsi des espaces publics qualitatifs qui favorisent le rafraîchissement, la nature en ville. Le jardin argenté ou jardin de pluie à côté de Centrale a d’ailleurs reçu un prix du paysage. Dans le cadre de l’économie circulaire, les terres excavées de nos chantiers des espaces publics sont recyclées à plus de 80 % et nous transformons des limons inertes en terres végétales pour nos espaces publics. Nous avons le projet de travailler davantage sur le réemploi des matériaux pour les futures constructions. À propos des circuits courts, nous avons créé un site internet Manger local à Paris-Saclay pour rapprocher producteurs et consommateurs, en partenariat avec les collectivités et avec l’association Terre & Cité.
Aujourd’hui, on réfléchit même au recyclage des urines ! Des recherches ont été faites par Fabien Esculier (2003) et une expérimentation est lancée sur un bâtiment avec une collecte séparative des urines pour pouvoir demain les épandre sur les terres agricoles voisines et profiter de l’azote comme fertilisant naturel des terres agricoles. C’est un cercle vertueux avec un double impact : moins d’urines à traiter et moins de fabrication d’engrais de synthèse pour les terres agricoles. Nous cherchons avec nos opérateurs et partenaires à garder la fibre de l’innovation dans la réalisation du projet urbain.
Qu’en est-il de la question des mobilités, un point complexe de l’aménagement du plateau ?
La mobilité ne peut être déconnectée de l’aménagement. 60 000 usagers sont attendus sur le campus urbain en 2026 ! Le projet Paris-Saclay est intimement lié au projet de la ligne 18 du Grand Paris Express dont l’arrivée est prévue pour 2026. Cette ligne est l’épine dorsale des futurs quartiers et améliorera l’accessibilité de Paris-Saclay depuis Paris. En attendant, Île-de-France Mobilités et les agglomérations autorités organisatrices de la mobilité renforcent la performance des transports en commun. On se projette avec l’arrivée de la ligne 18 sur les futurs pôles d’échanges multimodaux pour concevoir de nouvelles lignes et améliorer encore la performance des transports en commun, afin de diminuer la part modale de la voiture solo. De nombreuses voies dédiées aux transports en commun ont été créées, d’autres sont en réflexion.
Concernant le vélo nous avons récemment validé le schéma directeur cyclable du plateau de Saclay avec nos partenaires ; le développement d’infrastructures cyclables et de services associés encouragera l’usage du vélo. Nous réfléchissons également avec les collectivités aux axes pertinents pour favoriser le covoiturage vers et depuis le campus.
“Le projet Paris-Saclay est intimement lié au projet
de la ligne 18 du Grand Paris Express.”
Le stationnement est un gros sujet sur nos quartiers, pour en faire moins et mieux nous favorisons le foisonnement dû aux différents usagers et la mutualisation des places vacantes de différents parkings (projet d’innovation Park’in Saclay). Le stationnement est un levier essentiel pour l’évolution des mobilités dans des quartiers denses.
Le quartier de Satory est conçu pour être un quartier apaisé dédié aux cycles et aux piétons avec une stratégie de stationnement en entrée de ville (parkings silos)…
Pour développer la mobilité électrique nous avons équipé le campus urbain de bornes de recharge pour les voitures électriques et nous venons de lancer, avec le pôle académique et la communauté Paris-Saclay, une concession avec l’opérateur Clem’ pour gérer et exploiter les bornes de recharge pour les voitures électriques et proposer une offre d’autopartage, afin de favoriser le verdissement des flottes de véhicules des écoles et le développement d’un service de mobilité à destination des étudiants et des autres usagers. Tous ces projets et toutes ces études œuvrent à améliorer et faire évoluer les mobilités. Enfin, de longue date, du côté des Yvelines, il existe beaucoup d’expérimentations sur le véhicule autonome.
Quel est le plus gros défi de ce projet selon toi ?
Il y a beaucoup de gros défis ! Réussir nos quartiers de gare avec les pôles d’échanges multimodaux et les centralités pour une vraie vie urbaine et un impact sur les modes de vie et pratiques de mobilité. Concernant le cluster scientifique et technique, le défi est d’accueillir de grands groupes et leurs centres de R & D.
Pour la conception des bâtiments, je rêve de réalisations moins carbonées, toujours plus sobres, de quartiers encore plus résilients face au changement climatique. Nous voulons réussir la mixité entre étudiants, salariés et habitants et faire que, demain, on ait un campus urbain qui forme une unité, tout en restant bien connecté avec les tissus urbains de la vallée.
Dans le cadre du futur programme d’action de la zone de protection naturelle, agricole et forestière, nous souhaitons accompagner la transition agroécologique.
Qu’est-ce qui te tient le plus à cœur ?
Que chacun puisse appréhender le projet Paris-Saclay aux bonnes échelles et dans toutes ses dimensions et ne pas le réduire à un quartier et un seul objectif. Alors, avec cette vision globale, le projet prend tout son sens comme territoire durable. J’ai travaillé dans la planification, c’est bien à l’échelle de Paris-Saclay que l’on pourra parler de ZAN (zéro artificialisation nette) par exemple.
Ce qui me tient à cœur, c’est d’aménager un territoire et des quartiers qui soient les plus sobres, résilients et inclusifs possible. Je me suis rendu compte en parlant avec les jeunes qu’ils sont très sensibles à la transition écologique et beaucoup souhaitent travailler dans le développement durable. La relève est assurée.
Ressources
- Développement durable, responsabilité sociétale epaps https://epa-paris-saclay.fr/
- https://www.mangerlocal-paris-saclay.fr/