Olegh Bilous (48), 1927–2004

Dossier : ExpressionsMagazine N°612 Février 2006Par : André LUC (48), caissier de la promotion 48

Notre cama­rade Olegh Bilous est décé­dé le 11 décembre 2004 dans la plus grande soli­tude et le plus grand dénue­ment, après avoir mené une vie de clo­chard pen­dant dix années.

Com­ment, après un excellent démar­rage pro­fes­sion­nel, en est-il arri­vé à une telle situation ?

Le plus pro­bable est qu’il souf­frait d’une mala­die men­tale carac­té­ri­sée par le refus de toute rela­tion sociale : la schi­zo­phré­nie, dont les mani­fes­ta­tions ont été pro­gres­si­ve­ment en empirant.

Déjà à l’É­cole, ses cama­rades de casert avaient remar­qué que Bilous n’a­vait aucune rela­tion en dehors de l’É­cole : jamais de sor­tie, jamais de » syn­thé « . Son père était décé­dé depuis long­temps. Sa mère était dans un hos­pice à Saint-Laurent-du-Pont (Isère) et elle décé­da vers 1950, pen­dant qu’il était à l’É­cole : ses cocons n’en ont rien su !

Le hasard du clas­se­ment l’a conduit à inté­grer le corps des poudres et, après une thèse sur l’en­ri­chis­se­ment par dif­fu­sion gazeuse à l’u­ni­ver­si­té de Min­nea­po­lis, il a été enga­gé par le CEA en jan­vier 1954, pour mettre au point une méthode indus­trielle de sépa­ra­tion des iso­topes de l’u­ra­nium, dans le but d’ob­te­nir l’en­ri­chis­se­ment de l’u­ra­nium à un taux per­met­tant d’a­bord la réa­li­sa­tion de la bombe ato­mique puis le fonc­tion­ne­ment des cen­trales nucléaires civiles, que nous connais­sons bien maintenant.

À par­tir de 1956, il a diri­gé avec suc­cès, à Saclay, une petite équipe d’in­gé­nieurs dont le tra­vail en génie chi­mique a conduit à la construc­tion et à la bonne marche de l’u­sine de Pier­re­latte. Il aimait son tra­vail et fai­sait avan­cer les études de manière très posi­tive en choi­sis­sant de façon judi­cieuse les moyens de cal­cul les plus per­for­mants du moment, aux États-Unis, puis en fai­sant réa­li­ser un impres­sion­nant simu­la­teur ana­lo­gique pour opti­mi­ser le pro­ces­sus de démar­rage de l’enrichissement.

Mais il avait une manière très per­son­nelle de diri­ger son équipe : com­mu­ni­quant très peu ora­le­ment, il gui­dait et contrô­lait le tra­vail de ses col­la­bo­ra­teurs par notes manus­crites, sou­vent dif­fi­ciles à déchiffrer.

En dehors du tra­vail, il sem­blait vou­loir tou­jours réduire le temps à pas­ser avec autrui. Ain­si, à la can­tine, son repas consis­tait en trois yaourts, vite ava­lés. En voi­ture, il condui­sait à tom­beau ouvert et s’a­mu­sait de la frayeur de ses passagers.

Je tiens ces anec­dotes de Pierre Dela­rousse, un des ingé­nieurs ayant tra­vaillé sous la direc­tion de Bilous, au CEA, entre 1956 et 1960, qui a gar­dé de lui un sou­ve­nir ému et admiratif.

Ensuite il devient dif­fi­cile de suivre la trace de notre ami car beau­coup de ceux qui l’ont côtoyé pro­fes­sion­nel­le­ment sont décé­dés. Je cite­rai plus par­ti­cu­liè­re­ment Georges Besse, tra­gi­que­ment dis­pa­ru en 1986, Claude Fré­jacques, décé­dé en 1994, qui ont été ses patrons.

Sa schi­zo­phré­nie s’est aggra­vée jus­qu’à néces­si­ter des trai­te­ments en hôpi­tal psychiatrique.

Une pre­mière fois, entre 1970 et 1975 en Aus­tra­lie, où il avait été envoyé en mis­sion. Georges Besse l’a fait rapa­trier et lui a pro­cu­ré un emploi sans res­pon­sa­bi­li­tés dans la Socié­té d’in­gé­nie­rie USSI dont il était le direc­teur géné­ral. Son second séjour en psy­chia­trie eut lieu à Sainte-Anne, à Paris, en 1983.

En 1987, à 60 ans, il a ces­sé toute acti­vi­té et a déci­dé de ne pas per­ce­voir ses retraites.

Il a vécu quelque temps en hôtels à Bou­logne-Billan­court, en uti­li­sant un petit capi­tal dont il dis­po­sait. Puis il est par­ti aux États-Unis et au Cana­da de 1989 à 1997. On ne sait rien de cette période.

Bilous, qui ne s’é­tait jamais marié, n’a­vait plus aucune famille vivante et, lors­qu’il est reve­nu de ses voyages sans un sou, il a choi­si la vie de « Sans Domi­cile Fixe » dans les rues de la ville qu’il connais­sait bien : Boulogne-Billancourt.

Entre 1997 et 2004, je l’ai ren­con­tré plu­sieurs fois, soit à l’é­glise ortho­doxe, où il était assi­du à la messe du dimanche, soit dans un foyer d’ac­cueil, en lui appor­tant un peu d’aide de la Caisse de Secours.

Je n’ai jamais réus­si, soit direc­te­ment, soit par l’in­ter­mé­diaire de per­sonnes dévouées, à le per­sua­der de régu­la­ri­ser sa situa­tion auprès des dif­fé­rentes caisses de retraite.

Mais il ne parais­sait pas souf­frir de cette condi­tion qu’il avait choi­sie. Il ne buvait jamais d’al­cool, avait une san­té solide qui lui a per­mis de sup­por­ter plu­sieurs hivers très froids. Il pas­sait son temps à feuille­ter des maga­zines, à s’en­qué­rir de nour­ri­ture et d’un endroit où pas­ser la nuit.

Fina­le­ment, à 77 ans, il est tom­bé malade et a été recueilli par les pom­piers qui l’ont trans­por­té à l’hô­pi­tal Ambroise Paré – contre son gré ! – où il décé­da deux jours après.

La Caisse de Secours a finan­cé ses obsèques, aux­quelles plu­sieurs cama­rades de pro­mo­tion ont assis­té, et ses cendres ont été dis­per­sées au « Jar­din du Sou­ve­nir » du cré­ma­to­rium du mont Valé­rien, où une plaque com­mé­mo­ra­tive rap­pelle que cet endroit a été son der­nier refuge.

Commentaire

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Moat­ti Alexandrerépondre
20 juin 2011 à 14 h 23 min

article
Mer­ci de cet article.

Je le consulte au moment où nous bou­clons notre numé­ro SABIX consa­cré à Besse, à l’oc­ca­sion du 25° anni­ver­saire de sa mort. J’a­vais sou­ve­nir que Besse avait aidé Bilous, ce que l’ar­ticle confirme puis­qu’il l’a fait ren­trer à l’USSI.

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