Olegh Bilous (48), 1927–2004
Notre camarade Olegh Bilous est décédé le 11 décembre 2004 dans la plus grande solitude et le plus grand dénuement, après avoir mené une vie de clochard pendant dix années.
Comment, après un excellent démarrage professionnel, en est-il arrivé à une telle situation ?
Le plus probable est qu’il souffrait d’une maladie mentale caractérisée par le refus de toute relation sociale : la schizophrénie, dont les manifestations ont été progressivement en empirant.
Déjà à l’École, ses camarades de casert avaient remarqué que Bilous n’avait aucune relation en dehors de l’École : jamais de sortie, jamais de » synthé « . Son père était décédé depuis longtemps. Sa mère était dans un hospice à Saint-Laurent-du-Pont (Isère) et elle décéda vers 1950, pendant qu’il était à l’École : ses cocons n’en ont rien su !
Le hasard du classement l’a conduit à intégrer le corps des poudres et, après une thèse sur l’enrichissement par diffusion gazeuse à l’université de Minneapolis, il a été engagé par le CEA en janvier 1954, pour mettre au point une méthode industrielle de séparation des isotopes de l’uranium, dans le but d’obtenir l’enrichissement de l’uranium à un taux permettant d’abord la réalisation de la bombe atomique puis le fonctionnement des centrales nucléaires civiles, que nous connaissons bien maintenant.
À partir de 1956, il a dirigé avec succès, à Saclay, une petite équipe d’ingénieurs dont le travail en génie chimique a conduit à la construction et à la bonne marche de l’usine de Pierrelatte. Il aimait son travail et faisait avancer les études de manière très positive en choisissant de façon judicieuse les moyens de calcul les plus performants du moment, aux États-Unis, puis en faisant réaliser un impressionnant simulateur analogique pour optimiser le processus de démarrage de l’enrichissement.
Mais il avait une manière très personnelle de diriger son équipe : communiquant très peu oralement, il guidait et contrôlait le travail de ses collaborateurs par notes manuscrites, souvent difficiles à déchiffrer.
En dehors du travail, il semblait vouloir toujours réduire le temps à passer avec autrui. Ainsi, à la cantine, son repas consistait en trois yaourts, vite avalés. En voiture, il conduisait à tombeau ouvert et s’amusait de la frayeur de ses passagers.
Je tiens ces anecdotes de Pierre Delarousse, un des ingénieurs ayant travaillé sous la direction de Bilous, au CEA, entre 1956 et 1960, qui a gardé de lui un souvenir ému et admiratif.
Ensuite il devient difficile de suivre la trace de notre ami car beaucoup de ceux qui l’ont côtoyé professionnellement sont décédés. Je citerai plus particulièrement Georges Besse, tragiquement disparu en 1986, Claude Fréjacques, décédé en 1994, qui ont été ses patrons.
Sa schizophrénie s’est aggravée jusqu’à nécessiter des traitements en hôpital psychiatrique.
Une première fois, entre 1970 et 1975 en Australie, où il avait été envoyé en mission. Georges Besse l’a fait rapatrier et lui a procuré un emploi sans responsabilités dans la Société d’ingénierie USSI dont il était le directeur général. Son second séjour en psychiatrie eut lieu à Sainte-Anne, à Paris, en 1983.
En 1987, à 60 ans, il a cessé toute activité et a décidé de ne pas percevoir ses retraites.
Il a vécu quelque temps en hôtels à Boulogne-Billancourt, en utilisant un petit capital dont il disposait. Puis il est parti aux États-Unis et au Canada de 1989 à 1997. On ne sait rien de cette période.
Bilous, qui ne s’était jamais marié, n’avait plus aucune famille vivante et, lorsqu’il est revenu de ses voyages sans un sou, il a choisi la vie de « Sans Domicile Fixe » dans les rues de la ville qu’il connaissait bien : Boulogne-Billancourt.
Entre 1997 et 2004, je l’ai rencontré plusieurs fois, soit à l’église orthodoxe, où il était assidu à la messe du dimanche, soit dans un foyer d’accueil, en lui apportant un peu d’aide de la Caisse de Secours.
Je n’ai jamais réussi, soit directement, soit par l’intermédiaire de personnes dévouées, à le persuader de régulariser sa situation auprès des différentes caisses de retraite.
Mais il ne paraissait pas souffrir de cette condition qu’il avait choisie. Il ne buvait jamais d’alcool, avait une santé solide qui lui a permis de supporter plusieurs hivers très froids. Il passait son temps à feuilleter des magazines, à s’enquérir de nourriture et d’un endroit où passer la nuit.
Finalement, à 77 ans, il est tombé malade et a été recueilli par les pompiers qui l’ont transporté à l’hôpital Ambroise Paré – contre son gré ! – où il décéda deux jours après.
La Caisse de Secours a financé ses obsèques, auxquelles plusieurs camarades de promotion ont assisté, et ses cendres ont été dispersées au « Jardin du Souvenir » du crématorium du mont Valérien, où une plaque commémorative rappelle que cet endroit a été son dernier refuge.
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Merci de cet article.
Je le consulte au moment où nous bouclons notre numéro SABIX consacré à Besse, à l’occasion du 25° anniversaire de sa mort. J’avais souvenir que Besse avait aidé Bilous, ce que l’article confirme puisqu’il l’a fait rentrer à l’USSI.