Optimiser la consommation de ressources dans le secteur du bâtiment
Compte tenu de la place du bâtiment dans les impacts environnementaux de notre mode de vie, l’optimisation de la consommation des ressources dans ce secteur est un levier non seulement précieux mais même indispensable pour améliorer la situation. L’auteure, qui est directrice générale adjointe du groupe Bouygues, témoigne. Des solutions existent et sont efficaces, mais elles se heurtent aux imperfections des bases de données que doivent exploiter les outils numériques à cette fin.
En matière d’environnement, les défis auxquels nous sommes confrontés sont immenses. Lutte contre le réchauffement climatique, adaptation à ses effets, préservation de la biodiversité, de l’eau et des ressources naturelles… Concernant le changement climatique, les réflexions ont été nombreuses et les différents scénarios de transition envisagés, prenant en compte à la fois les questions d’atténuation mais également les questions d’adaptation, convergent tous vers une consommation d’énergie, en particulier d’électricité, qui explose. Les innovations technologiques, existantes ou en cours de développement, ne pourront être disponibles à temps et en volume suffisant. La réflexion sur nos modes de vie, de consommation, est indispensable. La sobriété est incontournable. Quelle place pour les technologies, en particulier les technologies autour de la data, dans ce contexte ?
Le secteur du bâtiment
Parmi tous les secteurs, le secteur de la construction est l’un de ceux qui a le plus d’impact que ce soit sur l’énergie, sur l’eau ou sur les ressources naturelles. Mais ce secteur répond à des besoins essentiels : se loger, se déplacer, bénéficier d’infrastructures performantes de santé ou d’éducation. La question est donc : comment répondre à ces besoins de façon optimisée, plus économe, moins impactante ? Alors oui ! le secteur est l’un des plus impactants, mais il est également porteur d’espoir, porteur de solutions. Grâce à la révolution numérique, son grand atout est qu’il est capable d’offrir de nombreuses solutions pour optimiser la consommation de ressources, ressources naturelles, eau, énergie, et adopter des pratiques durables. À toutes les étapes du cycle de vie, de la préconception à l’exploitation en passant par la phase de construction, des solutions émergent pour éviter ou au moins optimiser la consommation de ressources.
L’écoconception, une étape cruciale
Pour optimiser la consommation de ressources, il est essentiel d’adopter une approche multidisciplinaire lors de la conception des bâtiments.
Grâce au BIM, Building Information Modeling (maquette numérique) et au jumeau numérique, les architectes, ingénieurs, concepteurs et autres professionnels peuvent collaborer étroitement dès le début du projet.
En intégrant différentes expertises, il est possible d’identifier des solutions novatrices et efficaces pour minimiser la consommation de ressources, tout en garantissant la fonctionnalité et la sécurité du bâtiment. Pour ce faire, des données de différentes natures sont indispensables : impact carbone des différents matériaux, coût carbone du transport, données techniques sur l’inertie… Elles vont alimenter les outils de conception, de BIM ou de jumeau numérique, en leur permettant de réaliser des approches prédictives pertinentes. Malheureusement, elles sont encore souvent incomplètes, approximatives voire manquantes, ce qui rend le travail d’optimisation plus fastidieux. Dans l’exemple présenté ci-dessus, dès le départ une conception robuste et économe en énergie et sur un modèle énergétique dynamique de haute granularité comprenant environ 500 000 variables.
Ce modèle a été construit en s’appuyant sur le jumeau numérique et a été utilisé pour prédire la façon dont le bâtiment allait fonctionner. Cela a permis de savoir « comment », « pourquoi » et « où » l’énergie allait être utilisée et, surtout, économisée. Les solutions d’optimisation multidisciplinaires (Multidisciplinary Design Optimization – MDO) ou de Generative Design permettent également des gains de matière considérables. Sur différents projets Bouygues Construction a ainsi pu réaliser des gains considérables, en concevant par exemple un parking de même capacité mais avec un étage en moins ou en économisant plus de 140 tonnes d’armature sur une paroi de soutènement.
L’économie circulaire
Le réemploi des matériaux de construction offre aussi une possibilité majeure de minimiser les émissions de GES et d’économiser des ressources. Plutôt que d’utiliser des matériaux neufs, il est souvent possible de trouver des ressources provenant de bâtiments démolis ou de matériaux recyclés. Cette approche permet de réduire les prélèvements de ressources naturelles et de limiter la quantité de déchets de construction. Mais le réemploi nécessite une approche territoriale. Il nécessite une bonne connaissance de l’offre de matériaux à proximité. Ce n’est possible à grande échelle que par une collecte et une analyse de la data. De nombreuses plateformes voient le jour, mais les modèles économiques associés doivent être repensés pour garantir la viabilité des acteurs.
La data, un enjeu fort en phase d’exploitation
Pour atteindre l’optimisation des consommations d’énergie du bâtiment, il est évidemment crucial d’optimiser son exploitation. Grâce à l’analyse par IA des datas collectées dans les immeubles résidentiels et tertiaires ou sur des sites industriels, des solutions d’optimisation des consommations d’énergie sont disponibles.
Pour le neuf, les jumeaux numériques peuvent ainsi être utilisés pour ajuster les systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation, permettant une utilisation plus efficiente des ressources énergétiques. En rénovation, cette analyse permet d’identifier les points faibles et de prendre des mesures correctives pour améliorer l’efficacité. La collecte et la centralisation des données sont les premières étapes pour faire de l’optimisation énergétique.
Ce sont les étapes les plus critiques, car les données sont très souvent hétérogènes, issues de sources multiples, exogènes pour certaines, et pour la plupart n’ont jamais été exploitées. Les données ainsi collectées peuvent ensuite être analysées avec des solutions de data visualisation. Ces premières analyses de données permettent d’étudier les gisements potentiels et de mettre en place des actions d’efficacité énergétique, notamment sur les équipements les plus énergivores. Des contrats de performance énergétique visant la réduction de la consommation d’énergie du client sur plusieurs années peuvent être ensuite passés.
Utiliser l’IA
La mise en place d’une plateforme d’Energy Management (comme Smarteo et PEM Connect, développées par Equans) permet d’améliorer sensiblement la consommation énergétique. Des résultats tangibles sur plusieurs projets montrent des gains d’au moins 10 %, pouvant aller jusqu’à 80 %. Une fois la donnée collectée et analysée, des algorithmes d’intelligence artificielle peuvent être utilisés pour non seulement identifier les tendances et corrélations entre les variables, mais aussi prédire les consommations de référence et détecter les anomalies. C’est ce qui a été fait par les équipes d’Equans sur la piscine Yvonne-Godard (Paris xxe) pour améliorer l’analyse des consommations d’énergie et d’eau.
Mutualisation des espaces et l’hybridation des usages
Comment concilier les besoins croissants d’espaces, de logements, d’infrastructures, avec les défis environnementaux ? Cette injonction peut paraître contradictoire mais l’analyse des taux d’usage des différentes infrastructures bâtimentaires, du taux de vacance des logements, du remplissage des parkings… permet d’envisager une autre option, celle d’intensifier les usages, permettant de moins construire et de mieux utiliser. L’avantage environnemental en est évident. Moins de matières, moins d’émissions de gaz à effet de serre…
On peut faire appel à la mutualisation : des utilisateurs plus diversifiés pour un même lieu et un même usage, comme l’utilisation de locaux scolaires par des associations en dehors des heures de cours. On peut aussi hybrider l’espace, c’est-à-dire lui donner des fonctions différentes en fonction du moment, grâce à des dispositifs de cloisons amovibles, de meubles escamotables ou de portes.
Une exploitation numérique
Dans tous les cas le numérique, la data en particulier, est indispensable. Indispensable pour mesurer le potentiel d’intensification. C’est ce qui permettra d’en voir la faisabilité, notamment économique. Indispensable aussi pour concevoir des bâtiments multifonctionnels permettant de maximiser l’utilisation des espaces existants et d’éviter ainsi des travaux de construction supplémentaires. Les outils numériques, alimentés par des données fiables et pertinentes, sont donc aujourd’hui indispensables pour répondre aux enjeux environnementaux immenses qui se dressent devant nous. Les solutions émergent, à toutes les étapes du cycle de vie du bâtiment, permettant de contribuer à optimiser la consommation de matières, d’eau ou d’énergie. Les exemples concrets se multiplient avec des gains mesurés, chiffrables. Mais la capacité à disposer de données fiables et pertinentes, capables d’alimenter les processus de décision et d’optimisation, reste encore à parfaire. C’est un prérequis indispensable pour accélérer encore.
En couverture : Bâtiment IntenCity de Schneider Electric, construit par Bouygues Immobilier.