Organiser l’économie des ressources
DES RESSOURCES ÉPUISABLES
Le financement de la transition énergétique est difficile
L’accroissement démographique mondial, estime Gilles Rotillon, est exceptionnel depuis le milieu du XVIIIe siècle. Il s’explique par l’accumulation des connaissances qui a notamment provoqué des progrès sur la santé et par l’exploitation des ressources naturelles. L’homme dépend des ressources épuisables : pétrole, gaz, charbon, biomasse, minerais. Actuellement, il n’y a pas d’horizon proche quant à la substitution du charbon, du pétrole ou du nucléaire.
Renouvelable ou épuisable
Les ressources renouvelables sont une solution intéressante. Or, elles sont souvent transformées en ressources épuisables : les poissons, les forêts, la biomasse, etc.
Soixante ans de maturation
Les innovations mettent au moins soixante ans avant d’atteindre la maturité : le coton et les textiles ont connu une période de développement de 1761 à 1862, le ferroviaire et l’industrie lourde de 1831 à 1917, la production de masse de 1882 à 1973, l’information depuis 1961. Pour l’environnement, on peut dater le démarrage en 1972 et, plus de quarante ans après, la maturité semble encore très éloignée.
Quant au gaz de schiste, d’une part c’est aussi une ressource épuisable qui ne peut donc pas être un substitut définitif au pétrole ou au gaz, et d’autre part il présente deux inconvénients majeurs.
Il provoque des pollutions locales de l’eau à cause de sa technologie d’extraction, et surtout il est un nouveau vecteur d’émissions de gaz à effet de serre, en l’occurrence du méthane qui a un pouvoir de réchauffement beaucoup plus élevé que le carbone.
Il n’est pas sûr que la substitution qui s’opère entre charbon et gaz de schiste en faveur de ce dernier aux États- Unis soit de nature à diminuer à long terme les émissions.
Financer et accepter
Dans le contexte actuel de dettes publiques, les États ont des contraintes très fortes de financement et ne peuvent pas financer au niveau souhaitable la transition énergétique, et, pour ce qui concerne l’investissement privé, l’absence de prix (ou le très faible prix comme sur le marché européen) du carbone rend les investissements peu rentables. Du coup, les objectifs annoncés ont peu de chances d’être atteints. Il s’agit moins de capacité à financer que de volonté politique de le faire au niveau qui permettrait de se passer de 80 % de fossiles.
Ce qui est en cause, c’est la reconnaissance d’un nouvel arbitrage entre les biens privés et les biens publics (ou communs) dont le climat est un exemple (en attendant la biodiversité). Pour l’instant le manque d’acceptabilité sociale renvoie au refus de cet arbitrage. On ne perçoit que la perte de pouvoir d’achat en oubliant de préciser qu’il s’agit seulement du pouvoir d’achat de biens privés. Tout le monde veut des routes, des hôpitaux, des enseignants, des policiers, mais le climat n’est pas encore perçu comme il devrait l’être.
Il existe une disparité importante de l’utilisation des ressources énergétiques sur Terre. Un Américain consomme entre 6,5 et 7,2 Tep (tonnes équivalent pétrole) par an alors qu’un Africain n’en consomme que 0,9. Si l’on consacrait la totalité des terres arables à la production de viande, cela ne permettrait de nourrir que 40 % de la population mondiale au même niveau qu’un Français moyen d’aujourd’hui, soit 100 kg par an, pour ne pas parler des 124 kg par an d’un Américain moyen.
DÉCHETS ET FLUX DE MATIÈRE
Jean-Guillaume Péladan, lui, souligne que l’économie classique a longtemps fait l’hypothèse de ressources naturelles inépuisables. Cette hypothèse est devenue incapacitante, rendant la science économique classique aveugle et obsolète.
Comptabiliser les ressources, les intégrer aux modèles économiques, tel est l’objet de « l’économétrie des ressources », nouvelle frontière de la science économique. Quel flux de matières solides utilisons-nous pour vivre ? Un Français jette en moyenne dans sa poubelle un kilo par jour, soit 0,36 tonne par an.
Mais, lorsque nous réalisons le bilan matière de la France et que nous le calculons par habitant, le résultat est bien supérieur : c’est environ 27 tonnes de matières solides par an et par tête qu’il nous faut, soit soixante-dix fois plus que ce que nous mettons dans notre poubelle.
Des kilos plutôt que des euros
Étudier nos modes de vie et le métabolisme de notre société sous l’angle des ressources utilisées constitue la base d’une gestion éclairée de notre planète et de nos économies. L’économie classique parle en euros et les ressources que nous utilisons sont totalement gratuites, comme l’eau de nos nappes phréatiques.
L’économétrie des ressources est la nouvelle frontière de la science économique
En un mot, elles n’existent pas économiquement, alors qu’elles sont très précieuses. Certes, certains coûts écologiques commencent à être visibles.
Par exemple, les déchets ont aujourd’hui un coût significatif et en augmentation, notamment à travers la taxe d’enlèvement des ordures ménagères et plus récemment via les éco-contributions. Le principe pollueur-payeur reste encore peu appliqué dans les pays de l’OCDE, et balbutiant, voire souvent inexistant, dans le reste du monde.
PENSER EN RÉSEAUX
Pour Dominique Luzeaux, la vision systémique est un outil complexe et puissant pour penser et organiser la matière en réseaux. Pour fabriquer deux sacs en plastique, par exemple, il faut 30 % d’énergie en moins et trois fois moins d’eau que pour fabriquer un sac en papier. Pour livrer des sacs en papier, il faut sept fois plus de camions que pour livrer des sacs en plastique. Le bilan carbone est donc meilleur pour les sacs en plastique.
La physique au chevet de l’économie
Si nous attendons que les prix nous disent la vérité écologique, nous risquons d’attendre longtemps. L’autre intérêt d’oublier les euros pour compter les kilos de matière, les kilowattheures d’énergie ou les litres d’eau, c’est de retrouver des unités physiques, qui ont l’énorme avantage d’être de vrais invariants, très loin des monnaies fluctuantes. L’économie des ressources est donc un outil central de la transition énergétique et écologique.
Qu’en conclure, si ce n’est que l’indicateur à la mode n’apporte qu’une vue très partielle sur une question ? Une vision systémique est nécessaire pour cartographier l’ensemble des interactions d’un système ainsi qu’une analyse du cycle de vie pour chaque système. On définit le système et son contexte, l’intérieur et l’extérieur, les interfaces du système et la vue globale du système sur toute sa vie.
L’analyse du cycle de vie est une démarche systématique pour évaluer les impacts environnementaux : extraction ; fabrication ; transport ; usage ; fin de vie ; extraction. Elle permet de quantifier la chaîne de valeur, d’identifier à chaque étape les leviers réduisant la pression d’un produit sur les ressources et l’environnement, d’éviter les transferts de pollution d’une étape à l’autre, et ensuite de faire des compromis.
Des cycles… véritablement cycliques
Quelle analyse d’impacts associer au cycle de vie ? Ce dernier concerne l’acquisition de matériaux bruts et de composants, la fabrication, l’emballage, etc. Les intrants sont les matériaux bruts, l’énergie, les autres ressources. Les sortants sont les produits, les rejets, les émissions, les déchets, le bruit, etc. Les impacts sont la diminution des ressources, la réduction de la couche d’ozone, l’eutrophisation, le changement climatique.
Un enjeu fort est d’accompagner le changement des cycles de vie linéaires actuels par des cycles de vie « cycliques » (un juste retour à la dénomination originelle), c’est-à-dire introduire les déchets comme des matières premières. La cartographie des flux matière-énergie complexifie certes considérablement les graphes, mais elle est indispensable. Il y a là de la place pour de la recherche et des idées innovantes.
La complexité des outils théoriques ne doit pas masquer le fait qu’ils sont avant tout au service des décideurs, et que des décisions doivent être prises dès aujourd’hui du fait du contexte planétaire.
Il n’est donc pas question d’attendre que les outils soient parfaits avant de décider.