Où localiser mes entrepôts en Europe ?

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°608 Octobre 2005Par François SOUBIEN
Par Grégoire de BELENET (94)

Les pré­oc­cu­pa­tions logis­tiques ne sont pas nou­velles, mais force est de consta­ter que, depuis quelques années, elles ont pris une impor­tance consi­dé­rable et qu’elles ont chan­gé de sta­tut. Par­mi les réflexions que se posent les entre­prises indus­trielles, celle de la recon­fi­gu­ra­tion de leur réseau phy­sique de dis­tri­bu­tion est plus que jamais d’actualité.
Com­bien d’entrepôts dois-je avoir et où les loca­li­ser ? Com­ment opti­mi­ser à la fois mes coûts logis­tiques tout en amé­lio­rant mon niveau de ser­vice et assu­rant une réac­ti­vi­té tou­jours accrue face aux nou­velles exi­gences ? Les entre­prises traitent ces ques­tions de plus en plus à l’échelon euro­péen. Nous assis­tons à une ten­dance qui consiste à orga­ni­ser la dis­tri­bu­tion non plus par pays, mais selon des régions supra­na­tio­nales ou paneuropéennes.
Nous détaillons ce phé­no­mène dans cet article, en nous inté­res­sant à ses rai­sons et en appor­tant des élé­ments de démarche pour per­mettre à une entre­prise indus­trielle d’aborder la question.

Vers une centralisation croissante de l’entreposage

Il n’existe certes pas de modèle de logis­tique type. Les ten­dances sont diverses et dépendent notam­ment des mar­chés, de la géo­gra­phie et de la nature des pro­duits et de l’or­ga­ni­sa­tion des entre­prises. Le niveau de cen­tra­li­sa­tion d’un sché­ma de dis­tri­bu­tion dépend en par­ti­cu­lier de consi­dé­ra­tions en termes de ser­vice et de pro­duits. Si l’exi­gence de réac­ti­vi­té du mar­ché est forte, le réseau sera rela­ti­ve­ment décen­tra­li­sé. Si la valeur des pro­duits est éle­vée et la durée de vie des pro­duits faible, la cen­tra­li­sa­tion du stock s’a­vère géné­ra­le­ment optimale.

Glo­ba­le­ment, nous assis­tons cepen­dant à un phé­no­mène d’in­té­gra­tion géo­gra­phique qui se tra­duit par le déve­lop­pe­ment d’in­fra­struc­tures logis­tiques mutuelles cou­vrant plu­sieurs pays. Les entre­pôts natio­naux tendent ain­si à se trans­for­mer en entre­pôts trans­na­tio­naux, par exemple un entre­pôt pour l’Eu­rope de l’Ouest et un entre­pôt pour l’Eu­rope de l’Est. Ce phé­no­mène se com­bine à la réduc­tion du nombre de niveaux de dis­tri­bu­tion dans les structures.

L’é­vo­lu­tion de struc­ture de la demande immo­bi­lière vient confir­mer cette ten­dance. En effet, la part des entre­pôts de forte capa­ci­té (supé­rieurs à 10 000 m²) devient de plus en plus impor­tante. Une enquête réa­li­sée par PEA Consul­ting en 2004 auprès de 80 mul­ti­na­tio­nales implan­tées en Europe vient éga­le­ment confir­mer la volon­té des entre­prises de trans­for­mer des struc­tures de dis­tri­bu­tion natio­nales vers des struc­tures supra­na­tio­nales. Les réponses indiquent que plus de 40 % des entre­prises sou­haitent réduire le nombre de leurs entre­pôts natio­naux. Cette réduc­tion se fait au pro­fit de l’ou­ver­ture d’en­tre­pôts ser­vant plu­sieurs pays. D’autre part, près de 30 % des entre­prises pos­sé­dant déjà des entre­pôts supra­na­tio­naux sou­haitent aller plus loin dans la réduc­tion du nombre de ces entrepôts.

Une évolution qui s’explique par quatre raisons majeures

1. La recherche continue de baisse des coûts

Plu­sieurs types de gains peuvent être obte­nus au tra­vers de la concen­tra­tion d’un réseau de dis­tri­bu­tion physique :

  • cette concen­tra­tion per­met en pre­mier lieu aux entre­prises d’ex­ploi­ter des éco­no­mies d’é­chelle dans la construc­tion et l’ex­ploi­ta­tion des ins­tal­la­tions logistiques ;
  • en rédui­sant le nombre de points d’en­tre­po­sage, les entre­prises peuvent éga­le­ment tirer par­ti de ce que l’on appelle la » loi de la racine car­rée « , et réduire les quan­ti­tés de stocks dits de sécu­ri­té néces­saires pour four­nir un niveau don­né de ser­vice à leurs clients. Par exemple, selon cette règle, le pas­sage d’un sys­tème décen­tra­li­sé repo­sant sur l’u­ti­li­sa­tion d’un entre­pôt natio­nal ou régio­nal dans une quin­zaine de pays euro­péens à un sys­tème entiè­re­ment cen­tra­li­sé dans un seul entre­pôt paneu­ro­péen per­met, toutes choses égales par ailleurs, de réduire la quan­ti­té de stocks de sécu­ri­té d’en­vi­ron les trois quarts ;
  • la réduc­tion du nombre de liai­sons de trans­port dans les réseaux de dis­tri­bu­tion per­met de mas­si­fier les flux. Cette mas­si­fi­ca­tion des flux entraîne certes un allon­ge­ment des dis­tances, mais conduit aus­si à une nette aug­men­ta­tion de la taille moyenne des envois, c’est-à-dire à une mas­si­fi­ca­tion des envois per­met­tant pré­ci­sé­ment de com­pen­ser tota­le­ment ou par­tiel­le­ment la hausse des coûts de trans­port induite par les distances ;
  • enfin, la sim­pli­fi­ca­tion de la struc­ture de dis­tri­bu­tion apporte des gains admi­nis­tra­tifs qui peuvent se révé­ler importants.

2. L’évolution des réseaux industriels et des canaux de vente

La logis­tique, maillon clé entre les fonc­tions indus­trielles et com­mer­ciales, a pour devoir de s’a­dap­ter aux évo­lu­tions de ces der­nières. Or ces ten­dances poussent vers la concen­tra­tion de la distribution :

  • en amont, nous obser­vons une réduc­tion du nombre des sites de pro­duc­tion, et la spé­cia­li­sa­tion crois­sante par pro­duit, afin de réa­li­ser des éco­no­mies d’é­chelle. Les sites mul­ti­pro­duits, géné­ra­le­ment à voca­tion natio­nale, deviennent ain­si mono-pro­duits et à voca­tion supra­na­tio­nale. Les phé­no­mènes de délo­ca­li­sa­tions hors d’Eu­rope viennent éga­le­ment modi­fier le pay­sage indus­triel et réduire le nombre de sites pré­sents sur le continent ;
  • en aval, le déve­lop­pe­ment et la concen­tra­tion de la grande dis­tri­bu­tion ont un impact indé­niable sur l’or­ga­ni­sa­tion des réseaux de dis­tri­bu­tion des fabricants.

3. Le développement de l’intégration européenne

Les phé­no­mènes de cen­tra­li­sa­tion sont natu­rel­le­ment liés à la stan­dar­di­sa­tion non seule­ment de la pro­duc­tion mais éga­le­ment de la dis­tri­bu­tion des pro­duits, et de fait des modes de consom­ma­tion en Europe. L’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion de la demande s’est accé­lé­rée avec l’é­lar­gis­se­ment récent de l’U­nion euro­péenne vers les pays d’Eu­rope cen­trale et orien­tale et la consti­tu­tion d’un mar­ché glo­bal de plus de 450 mil­lions de consommateurs.

La logis­tique n’é­chappe pas non plus aux phé­no­mènes de délo­ca­li­sa­tion comme le témoigne l’aug­men­ta­tion de la demande d’en­tre­pôts de grande capa­ci­té dans cer­tains pays d’Eu­rope de l’Est, en par­ti­cu­lier la Pologne, la Répu­blique tchèque et la Hongrie.

4. L’émergence de réseaux de transport paneuropéens

L’é­vo­lu­tion de l’offre des pres­ta­taires de trans­port, et en par­ti­cu­lier la struc­tu­ra­tion de réseaux de mes­sa­ge­rie euro­péens, est à la fois une consé­quence, mais rend éga­le­ment pos­sible les phé­no­mènes de concen­tra­tion de la dis­tri­bu­tion. Deux pres­ta­taires majeurs, Geo­dis et DHL, viennent, par exemple, de lan­cer sur le mar­ché en 2005 des offres de mes­sa­ge­rie euro­péenne (Euro­First pour Geo­dis et Euro­plus de DHL) dont la qua­li­té de ser­vice tend à s’ap­pro­cher du niveau de pres­ta­tion que l’on trouve dans les réseaux de mes­sa­ge­rie domes­tiques de référence.

La démarche d’optimisation de son réseau de distribution

Quelle est, pour une entre­prise don­née, la confi­gu­ra­tion opti­male de son réseau de dis­tri­bu­tion ? La réponse à cette ques­tion ne peut être don­née a prio­ri, car elle dépend for­te­ment de la struc­ture des flux et des coûts logis­tiques (nombre et empla­ce­ment des usines, loca­li­sa­tion de la demande, taille des com­mandes, nature des pro­duits trans­por­tés, coûts logis­tiques uni­taires…). La méthode la plus rigou­reuse pour recon­fi­gu­rer un réseau logis­tique passe par l’u­ti­li­sa­tion d’un modèle, qui, à par­tir d’un his­to­rique de don­nées de flux et de stocks, éven­tuel­le­ment extra­po­lé pour prendre en compte l’é­vo­lu­tion pré­vi­sion­nelle de la demande par zone géo­gra­phique, opti­mise sous contrainte une fonc­tion de coûts logis­tiques, en ayant recours à la pro­gram­ma­tion linéaire.

Cette fonc­tion de coût doit prendre en compte les coûts logis­tiques dans leur globalité :

  • trans­port (appro­vi­sion­ne­ment des entre­pôts et trans­port de distribution),
  • entre­po­sage (coût de main-d’œuvre et d’infrastructures),
  • stocks (coût de pos­ses­sion et d’obsolescence).

L’op­ti­mi­sa­tion doit éga­le­ment prendre en compte un cer­tain nombre de contraintes, par exemple :

  • le niveau de ser­vice que l’on sou­haite offrir aux clients, comme les délais de livrai­son maximums,
  • le sou­hait de ne pas remettre en cause une par­tie de l’or­ga­ni­sa­tion actuelle, pour des rai­sons sociales notamment.

La com­plexi­té du pro­blème à trai­ter jus­ti­fie l’u­ti­li­sa­tion d’un moteur d’op­ti­mi­sa­tion (du type Ilog, Inovia…) capable de sug­gé­rer le bon réseau logis­tique. Trou­ver quels sont les entre­pôts à ouvrir par­mi N empla­ce­ments pos­sibles sup­pose en effet d’ex­plo­rer 2 puis­sance N pos­si­bi­li­tés, ce qui rend aléa­toire la recherche de solu­tion par tâtonnement.

Conclusion

La volon­té de trans­for­mer les struc­tures de dis­tri­bu­tion natio­nales vers les struc­tures supra­na­tio­nales nous semble mani­feste. Seuls quelques élé­ments pour­raient ralen­tir ou remettre en cause cette tendance :

  • l’aug­men­ta­tion des coûts de transport,
  • la faci­li­té accrue de ges­tion de stocks mul­ti­dé­pôts via la mise en place d’un sys­tème d’in­for­ma­tion plus performant,
  • les attentes accrues des clients en termes de service.

Nous assis­tons donc à une phase de pro­fond rema­nie­ment du pay­sage logis­tique euro­péen. La ten­dance à la concen­tra­tion déve­lop­pée ici s’ac­com­pagne d’autres ten­dances de fond, comme la pour­suite du phé­no­mène d’ex­ter­na­li­sa­tion et du rôle crois­sant joué par les pres­ta­taires logis­tiques, ou, plus récem­ment, comme le déve­lop­pe­ment d’une coopé­ra­tion entre indus­triels pour mutua­li­ser leurs flux à des­ti­na­tion des dis­tri­bu­teurs. Face à l’exi­gence de réponse aux besoins du mar­ché d’une part et d’a­mé­lio­ra­tion de la ren­ta­bi­li­té d’autre part, la logis­tique n’a pas fini d’é­vo­luer à l’é­che­lon européen.

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