Alexandre M. Bayen (95), où mènent les équations aux dérivées partielles…
Professeur à Berkeley depuis treize ans, il y dirige depuis 2014 l’Institute of Transportation Studies. C’est un gros institut, au budget annuel de 25 millions de dollars, 40 professeurs et 200 chercheurs.
Cette fonction lui vaut un vaste bureau, suffisamment grand pour y contenir une impressionnante bibliothèque de livres de sciences. Les dizaines de mètres de rayonnages témoignent d’une passion du savoir, mathématique en première ligne, et d’une fidélité à l’héritage familial.
Un superbe héritage : surtout des scientifiques du côté masculin, des personnalités plus littéraires du côté féminin. Quelques polytechniciens : son arrière-grand-père maternel, Roland Chauvigné (1908), ses grands-oncles Robert Chappey (36) et Charles Trédé (35).
DE QUI TENIR
Son grand-père, Maurice Bayen, fut une éminence de la physique française : entré à la rue d’Ulm en 1921, camarade de promotion d’Alfred Kastler, il y étudia les spectres d’étincelle de l’argent, du mercure et du tungstène. Agrégé de physique en 1925, il suivit aussi à Paris les cours d’art dramatique du Conservatoire.
Dessin : Laurent SIMON
La passion pour le théâtre ne le quitta plus. Mobilisé en 1939 comme lieutenant d’artillerie, fait prisonnier, il fut interné dans un camp d’officiers, l’Oflag IV‑D en Silésie. Deux tentatives d’évasion, l’une manquée en septembre 1941, l’autre réussie le 14 octobre 1941, relatées dans un livre (Gallimard, 1946) le ramenèrent en France, où il termina son doctorat.
Il s’engagea dans la Résistance, fut de l’épopée tragique du Vercors. En 1945, il participa à la campagne d’Alsace ; puis captura en Allemagne et rapporta au laboratoire de physique de l’ENS des centaines de pièces d’équipement scientifique ; ainsi qu’une fusée de proximité américaine Pozit, engagée dans la bataille des Ardennes.
En 1946, il partit accompagné de sa jeune femme, ancien interne des hôpitaux de Paris, réorganiser l’enseignement en Indochine. De retour en France, il fut nommé directeur de l’Enseignement supérieur, et dirigea le palais de la Découverte, avant de terminer sa carrière universitaire comme recteur de l’académie de Strasbourg.
Sa collection personnelle d’ouvrages scientifiques fait désormais partie de la bibliothèque de son petit-fils à Berkeley, légitimement fier d’un tel grand-père !
À BONNE ÉCOLE, DE LISZT À L’X
Tout comme lui, Alexandre Bayen mena de front des études scientifiques et de conservatoire artistique, de piano quant à lui. Son compositeur favori est Franz Liszt. Après quelques pas dans la composition et l’improvisation en style classique, en particulier sous le pseudonyme d’Ivan Schriegoerman (anagramme de Sergei Rachmaninov, qui servit à des canulars), il s’est produit à l’amphi Poincaré, en Russie, au Grand Hôtel de Cabourg durant sa scolarité à l’École, à l’initiative de Patrice Holiner, dans des œuvres très techniques de Liszt.
Il collectionne les livres, écrits, partitions et autographes de musiciens romantiques du XIXe siècle, et possède une connaissance presque exhaustive des enregistrements de piano de ce répertoire.
Alexandre Bayen vécut son enfance à Paris, fit ses études secondaires à Henri-IV, puis sa prépa à Louis-le-Grand, qui l’impressionna par la ferveur de sa méritocratie républicaine ; et par l’excellence de ses enseignants, tout particulièrement Jacques Chevallet – pour son intégrité et son dévouement au succès de ses étudiants.
À l’École, la qualité des cours l’enthousiasma, celui de Patrick Huerre (mécanique des fluides) en particulier. Il fut un élève heureux et assidu. Nous avons évoqué ensemble le si attachant Jean Salençon, dont les cours de mathématiques appliquées et de mécanique eurent une attirance profonde pour AMB.
INFLUENCER LES POLITIQUES PUBLIQUES
Après l’X, Alexandre Bayen poursuivit par un master puis un doctorat à Stanford, dans le département d’aéronautique et d’astronautique (1998−2003) : une nouvelle professeure l’orienta sur le contrôle de l’espace aérien. Il fut aussi chercheur visiteur au centre Ames de la Nasa (2000- 2003). L’année 2004, il dirigea l’une des voies de recherche du Laboratoire de recherches balistiques et aérodynamiques du ministère de la Défense, à Vernon.
L’université de Californie à Berkeley le recruta comme professeur en 2005. Bien dans sa peau, Alexandre Bayen est attachant. Il met à l’aise son interlocuteur par son empathie, sa droiture et sa franchise, sa volonté de vous aider, autant qu’il le peut.
Ainsi, les services scientifiques de l’ambassade de France et le consulat général, à San Francisco, tablent sur son aide, précieuse. Il est aussi, depuis vingt ans, d’une fidélité sans faille à La Jaune et la Rouge.
D’une parole fluide et rapide, il s’exprime avec une constante clarté, et non sans dilection. Son travail : « Il faut avoir un certain contentement intellectuel dans ce qu’on fait : j’aime créer des modèles mathématiques, les étudier, les utiliser pour illustrer des solutions possibles à des problèmes de société.
Ainsi, on peut avoir beaucoup d’influence sur les politiques publiques, par une expertise scientifique au service du bien commun. »
RETOUCHE
article mis à jour le 18 juin 2020
Alexandre Bayen (95) a depuis septembre 2018 une casquette de plus, consultant chez Uber, société dont le siège se trouve à San Francisco donc à deux pas de Berkeley où il est professeur – à l’université de Californie, et où il y dirige l’Institut d’étude des transports, et depuis mai dernier, le programme de développement aérospatial. En janvier 2018, il a lancé une nouvelle étude, FLOW, au budget de deux millions de dollars : une équipe d’une dizaine de chercheurs applique des algorithmes d’apprentissage par renforcement pour en équiper les futurs véhicules autonomes, tant camions que voitures.