Où sont les hommes ?

Dossier : La météorologie partie 2Magazine N°748 Octobre 2019Par Maëlezig BIGI

En 1849, les météo­ro­logues pro­fanes des quatre coins de la France pour­sui­vaient un idéal d’observation ascé­tique, s’astreignant à des mesures rou­ti­nières et rédui­sant leur rôle à celui de chambre d’enregistrement, pour limi­ter au maxi­mum l’influence de leur sub­jec­ti­vi­té. À la même époque, Urbain Le Ver­rier orga­ni­sait le tra­vail d’observation à l’Observatoire impé­rial de Paris en tâches répé­ti­tives, de manière à res­treindre l’autonomie et l’investissement intel­lec­tuel des obser­va­teurs astro­no­miques, qui auraient pu biai­ser les rele­vés 1. Un siècle plus tard, le déve­lop­pe­ment des ordi­na­teurs et des moyens de télé­com­mu­ni­ca­tion a per­mis d’automatiser une par­tie de ces rele­vés, et sur­tout la réso­lu­tion des équa­tions atmo­sphé­riques, réa­li­sant l’utopie de Lewis Fry Richard­son. En 2049, après l’observation et le cal­cul, cet idéal d’objectivité méca­nique aura-t-il fini par s’imposer éga­le­ment dans le domaine de la prise de décision ?

Vers une météo probabiliste

C’est en effet une des issues pos­sibles au déve­lop­pe­ment des pré­vi­sions pro­ba­bi­listes, basées sur les modèles d’ensemble. Rom­pant avec la logique déter­mi­niste, typi­que­ment incar­née par le bul­le­tin météo­ro­lo­gique, le pro­ba­bi­lisme pro­pose de quan­ti­fier les incer­ti­tudes, plu­tôt que de lais­ser aux pré­vi­sion­nistes le rôle d’arbitre du temps qu’il va faire. Cou­plées avec des modèles de pro­duc­tion ou de ges­tion des risques, les pro­ba­bi­li­tés météo for­me­raient alors une des briques d’algorithmes de prise de déci­sion for­ma­li­sés en amont des situa­tions à gérer.

Algorithmes versus prévisionnistes

Si l’avenir de la pro­fes­sion de pré­vi­sion­niste, par­ti­cu­liè­re­ment dans sa dimen­sion pru­den­tielle, est pro­fon­dé­ment remis en ques­tion par ces trans­for­ma­tions, la pré­vi­sion météo­ro­lo­gique consti­tue plus lar­ge­ment un théâtre pri­vi­lé­gié de la lutte entre hommes et machines pour la com­pé­tence déci­sion­naire à l’heure des big data. Un second enjeu se niche au cœur de cette lutte, celui de la défi­ni­tion des types de ratio­na­li­té qu’embarquent ces algo­rithmes, et avec eux, rien moins que l’avenir du monde. Si, face à l’incertitude, une par­tie des déci­sions sont délé­guées aux machines, quels inté­rêts maxi­mi­se­ront-elles ? Ceux de la pla­nète et de la jus­tice ou plu­tôt ceux de la finance ? Et qui en déci­de­ra ? L’intensité actuelle du déve­lop­pe­ment des modèles d’ensemble, aux éche­lons natio­naux, euro­péens et mon­diaux, pro­met que les pro­chaines décen­nies seront déci­sives à cet égard.

Face à la com­plexi­té tou­jours plus grande des situa­tions à pré­voir et à leurs consé­quences ver­ti­gi­neuses, les météo­ro­logues et la com­mu­nau­té des pré­vi­sion­nistes des dis­ci­plines envi­ron­ne­men­tales connexes ne doivent pas abdi­quer leur rôle cri­tique en la matière.


1. Locher (Fabien) (2009), « Le ren­tier et le baro­mètre : météo­ro­lo­gie “savante” et météo­ro­lo­gie “pro­fane” au XIXe siècle », Eth­no­lo­gie fran­çaise, vol. 39, n° 4.


Cet article fait par­tie d’une col­lec­tion de points de vue et de rêves sur la « météo en 2049 »…

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