Un cloud qui libère
Fondée en 1999, l’entreprise française est aujourd’hui le leader européen du cloud et occupe donc une place privilégiée dans le paysage du secteur. Le directeur général d’OVHcloud, Michel Paulin (81), nous donne son point de vue sur les grands enjeux actuels de la relation entre cloud et IA.
Quelle est la spécificité de l’approche d’OVHcloud dans le domaine du cloud ?
En premier lieu, nous estimons que le futur du cloud passe par le multicloud (un client avec plusieurs fournisseurs de cloud) et le cloud hybride (mélange de cloud public, de cloud privés, de cloud edge, et de cloud qui sont dans les data centers des clients eux-mêmes, « on premises »).
En second lieu, nous souhaitons que le cloud soit ouvert, réversible, transparent. De la même manière qu’aujourd’hui la portabilité du numéro de téléphone nous semble évidente dans le secteur des télécommunications, les données doivent être réversibles dans le cloud : c’est une condition sine qua non. Gartner analyse que les clients sont de plus en plus victimes des mécanismes d’enfermement techniques et financiers de certains acteurs. La réversibilité est donc un enjeu majeur, tout comme la prévisibilité des prix.
Aujourd’hui, l’enjeu d’écoresponsabilité des données devient critique. Nous avons été pionniers dans cette approche, en développant et en déployant des technologies de refroidissement par eau qui nous font consommer de 30 à 50 % d’énergie de moins que nos concurrents, et ceci dès 2003. Nous n’utilisons pas l’air conditionné. Nous aurons atteint avant 2025 l’objectif zéro carbone sur l’ensemble de notre chaîne, incluant nos usines et la logistique ; et avant 2030 nous serons à zéro carbone sur la totalité de la chaîne, en incluant nos fournisseurs. À ce stade, nos ressources sont constituées à 79 % par les énergies renouvelables, et elles le seront à 100 % avant 2025.
Enfin, notre modèle industriel est unique. Nous construisons et nous concevons nos data centers et nos serveurs, dans deux usines : l’une à côté de Montréal, et l’autre dans le nord de la France. C’est un modèle qui nous permet d’être plus écoresponsables, mais aussi plus résilients, plus innovants, et de concevoir des solutions parmi les plus compétitives au monde.
Croyez-vous aujourd’hui dans un espace européen du numérique avec des réelles spécificités ?
OVHcloud s’évertue à consolider un écosystème européen. Nous n’avons pas beaucoup d’acteurs capables de rivaliser avec les grandes entreprises américaines ou chinoises, mais ces écosystèmes ayant créé les champions du numérique ne sont pas apparus par hasard. On entend trop souvent que nous ne rivalisons pas à cause d’une incapacité à produire un marketing puissant. Or, ce n’est pas une question de culture : nos géants français du luxe sont la preuve du contraire ! Ces entreprises chinoises ou américaines sont propulsées par la commande publique, par la régulation, par la réglementation et par la confiance des grands groupes locaux : c’est un élément décisif.
Ces réussites montrent aussi l’exemple en termes de relations public/privé avec de grands centres de recherche comme ceux de la NASA, de la CIA, de la NSA. Les grandes universités américaines (Stanford, le MIT, Harvard, Caltech…) créent des écosystèmes vertueux pour favoriser l’innovation. Nous essayons, à notre mesure de contribuer à former cet écosystème favorable.
Notre conviction, c’est qu’il n’y a pas de fatalité : la Commission européenne, les États membres, les universités doivent être exemplaires. Il est dommage que l’on ait tendance à créer et à mettre en avant des partenariats avec de grands acteurs américains plutôt qu’européens, pour une question d’image ou de prestige. Car nous avons dans l’écosystème français de vraies pépites : Tehtris, Whaller, Lydia, Qare, Talentsoft, Linagora, Dataiku, Shift Technology… la liste est longue ! Ce sont des entreprises fantastiques avec des entrepreneurs de grand talent, et des solutions de qualité, qui ne sont aidés ni par les grands groupes ni par l’État.
Plus précisément, que nous manque-t-il à ce niveau ?
Nous ne demandons pas de financement. Ce qui nous manque, ce sont des commandes publiques, et des commandes des grands groupes. Aujourd’hui, l’essentiel s’envole vers des solutions hors de l’écosystème européen.
Que représente pour vous l’enjeu de l’IA dans l’industrie du cloud ?
Tout d’abord, un premier élément de contexte : le cloud va être au cœur de toutes les économies numériques. Le marché du cloud représente déjà 300 milliards d’euros de chiffre d’affaires, ce sera 700 milliards à l’horizon 2025. On estime que le marché du cloud sera plus grand que le marché des Télécoms avant 2027 en Europe. Les technologies du cloud sont un des « tracteurs » de la compétitivité du secteur mais aussi des entreprises qui utilisent le cloud. C’est-à-dire, toute notre économie !
Concernant l’IA, si les entreprises veulent avoir accès à des technologies utilisant des GPU, elles devront utiliser un service cloud. C’est lui qui peut démocratiser l’utilisation de l’IA, sans quoi elle sera réservée aux organisations disposant d’instances GPU, extrêmement coûteuses. Le cloud jouera d’ailleurs ce même rôle pour les technologies quantiques. Le développement démocratique et accessible de ces secteurs passe déjà par le cloud et ce mouvement va encore s’accélérer.
Et si c’est le cloud qui fait avancer l’utilisation et le développement autour de l’IA, il faut que nous ayons en Europe des capacités de cloud indépendantes. Ainsi nous pourrons aider l’écosystème de l’IA à se développer sur des technologies de confiance pour apporter toute la protection nécessaire aux données parfois les plus critiques (santé, finance, administration…). OVHcloud ne travaille pas seul : nous comptons plusieurs centaines de partenaires techniques, commerciaux ou technologiques à travers le monde. Ensemble, nous investissons beaucoup sur le développement de cet écosystème, dans le respect des valeurs européennes de la protection des données.
Réciproquement, l’IA a‑t-elle un impact sur le développement du cloud ?
Tous les outils autour du support, autour du diagnostic, les systèmes dans lesquels on analyse des milliers de données pour être capable de faire des analyses de log, des analyses de metrics, peuvent et doivent utiliser l’IA. Nous voulons être à la fois utilisateurs et promoteurs de l’IA.
C’est donc un enjeu majeur pour le marché dans votre secteur ?
C’est un enjeu de développement, de marché, mais aussi un enjeu de souveraineté. Les valeurs européennes sont aujourd’hui les valeurs les plus avancées concernant la protection des données des individus, des entreprises, des États. Ce débat existe déjà, et il va devenir de plus en plus central : regardez la guerre technologique que mènent les USA et la Chine, il serait inconcevable que l’Europe n’ait aucun rôle dans cette tectonique des plaques numérique !
Il est très important que l’Europe se dote d’une régulation autour du cloud. Le cloud est régulé dans tous les pays, mais pas en Europe. On préfère s’intéresser à la régulation de la taille des bananes ! Récemment, les Américains ont décidé de dépenser 100 millions d’euros en lobbying pour supprimer les régulations de l’espace numérique européen en projet, DSA et DMA. Nous avons certes mis en place le RGPD, dont nous pouvons être fiers, mais l’industrie n’est pas régulée. Or, les États-Unis l’ont fait, tout comme la Chine, l’Inde, Singapour. Nous avons aujourd’hui besoin d’actes et de détermination. La doctrine de l’État a défini des critères très précis et très clairs ; encore faut-il les appliquer.
L’enjeu réside également dans le défi des talents. Nous avons la chance d’avoir en France parmi les plus beaux laboratoires d’IA au monde et sans surprises, les grandes entreprises américaines y installent leurs centres R&D. L’investissement académique est plus que jamais crucial pour garder ces compétences en Europe. Chacun dans son rôle doit contribuer à défendre notre excellence et nos valeurs dans ce domaine.
En bref
- 33 data centers et 400 000 serveurs principaux actifs
- 1,6 millions de clients du groupe
- Leader européen du cloud