Palestine et Israël, la question démographique
Les Palestiniens savent que le poids du nombre va de plus en plus jouer en leur faveur et ne craignent guère qu’une expulsion massive, tandis que Sharon rêve de faire venir un million de Juifs d’ici vingt ans.
Monsieur Courbage prend la parole le premier
Le point majeur de cette étude est qu’aussi bien les Israéliens que les Palestiniens sont tout à fait conscients de l’importance décisive de la question démographique, même s’il s’y mêle parfois quelques éléments irrationnels.
Les Palestiniens savent que le poids du nombre va de plus en plus jouer en leur faveur et ne craignent guère qu’une expulsion massive, tandis que Sharon rêve de faire venir un million de Juifs d’ici vingt ans. Cependant les journalistes d’Al Ahram ne sont pas sérieux quand ils écrivent que les Arabes israéliens seront la majorité d’Israël en 2035 (16,5 % aujourd’hui).
La première difficulté est de bien savoir de quel Israël on parle, les frontières ont tellement changé ! Nous distinguerons trois entités géographiques différentes :
- Israël d’avant la guerre de juin 1967,
- Israël avec Jérusalem-Est, les « implantations » et le Golan,
- le « Grand Israël » qui est la Palestine du mandat britannique d’avant-guerre plus le Golan (avec donc la Cisjordanie et la bande de Gaza).
La seconde difficulté est de savoir qui est juif. Est-ce seulement une question de religion ? Il semble plus juste d’y ajouter ceux qui leur sont apparentés, mais convenez que ce n’est ni facile ni précis. Ajoutons que 400 000 « colons » israéliens vivent en dehors des frontières d’avant juin 1967.
Dans ces conditions il est intéressant de connaître la proportion des Juifs dans le « Grand Israël ».
En 1948 il y avait 33 % de Juifs pour 2 millions d’habitants.
En 2002 la proportion des Juifs est montée à 55 % pour 10 millions d’habitants dont 6,6 millions en Israël (définition n° 2, avec un million d’Arabes israéliens) et 3,3 millions en Palestine.
On estime que la proportion des Juifs va redescendre à 41 % en 2020 et à 33 % en 2050, pour un total qui alors sera de 25 millions d’habitants.
Bien entendu ces derniers chiffres n’ont de sens que si aucune catastrophe ne se produit ; mais ajoutons que la proportion, en Israël, des Arabes israéliens ne dépassera guère 20 % en 2050.
Ajoutons un élément peu connu : il y a désormais en Israël 125 000 Palestiniens clandestins et 250 000 immigrants étrangers, pour la plupart des chrétiens (Africains, Roumains, Bulgares, Philippins…), il y a même mille Roms !
L’immigration récente est en dents de scie. De 50 000 à 60 000 immigrants par an à la fin des années 1990, elle connaît un maximum en 1999 avec 70 000 immigrants, mais depuis la seconde intifada l’immigration baisse régulièrement jusqu’à 30 000 en 2002. Une part très importante de ces immigrants arrivent de l’ex-URSS : 22 000 en 2001 et 11 000 en 2002. Il faut noter que la proportion des non-Juifs (surtout chrétiens) est en augmentation constante : 33 % en 1996 et 60 % en 2001.
Bien entendu l’évolution de la population ne dépend pas que de l’immigration, elle dépend aussi beaucoup des fécondités respectives, et là les Palestiniens prennent leur revanche. La fécondité palestinienne est en baisse lente, mais elle est encore de six enfants par femme ! Celle des Arabes israéliens est de 4 à 4,5 enfants par femme et celle des Juifs israéliens tourne autour de 2,5 enfants par femme. Les taux annuels d’accroissement correspondants sont respectivement de 3 %, 3 % et 1,3 %. Pour l’avenir on estime qu’en 2020 les deux premiers indices seront voisins de 3,4 enfants par femme tandis que le troisième sera encore de 2,3…
Remarquons d’emblée le caractère tout à fait exceptionnel de cette situation. La plupart des indices nationaux de fécondité sont désormais bien moindres, l’Afrique du Nord elle-même est dès à présent au voisinage de 2 enfants par femme seulement… Il est bien probable que le terrible affrontement politique, et souvent militaire, qui oppose Palestiniens et Israéliens est la vraie raison de cette fécondité remarquable qui fait partie des moyens vitaux de défense et de survie.
Il me reste à vous donner quelques chiffres sur l’espérance de vie, la mortalité infantile et le « multiplicateur de momentum » (en gros le rapport de la population dans trente ans à la population actuelle compte tenu de tous les éléments : natalité, mortalité, immigration, émigration, etc., cette dernière est importante chez les chrétiens palestiniens). Ces multiplicateurs sont de 1,3 pour les Juifs et 1,8 aussi bien pour les Arabes israéliens que pour les Palestiniens.
Pour ces trois groupes la différence d’espérance de vie entre les hommes et les femmes est de trois ou quatre ans (en faveur des femmes naturellement). Ces espérances sont voisines et nettement plus élevées que dans les autres pays du Moyen-Orient : 78 ans pour les Juifs, 76 pour les Arabes israéliens et 72 pour les Palestiniens. De même la mortalité infantile est nettement plus faible qu’au voisinage : 0,5 % pour les Juifs, 0,9 % pour les Arabes israéliens et 2,4 % pour les Palestiniens.
Je termine par un dernier chiffre qui souligne toutes les ambiguïtés de la situation : quelle sera la proportion des Juifs en 2050 dans l’Israël d’avant la guerre de juin 1967 ? Selon les études, selon l’importance des groupes d’immigrants étrangers, ni Juifs, ni Arabes, ce chiffre varie de 58 à 78 %.
Question : Importance des mariages mixtes ?
Réponse : Ils sont très rares comme dans presque tous les pays d’affrontement, Kosovo, Irlande du Nord, etc. Une exception : la Bosnie.
Monsieur Courbage passe la parole à Monsieur Berthomière pour présenter la question des immigrants russes et ukrainiens en Israël
Dans cette question le point important est la rupture de 1989 qui va faire passer la croissance israélienne de 1,25 % par an avant à 2,5 % après. L’immigration des Juifs de l’ex-URSS, et de quelques non-Juifs, monte brutalement à 191 000 en 1991 et est encore à 145 000 en 1992, puis elle décroît lentement. Le phénomène est analogue à celui des premières années d’Israël et pendant quelque temps il y aura jusqu’à 25 journaux en langue russe ! Il y a depuis 1997 un « parti russe » à la Knesset (parti qui s’intitule « notre maison Israël ») et désormais de nombreux magasins d’alimentation non kascher.
Bien entendu cela pose des problèmes de logement et d’emploi. Une anecdote : lors d’un conseil des ministres à Jérusalem l’un de ceux-ci s’effondre victime d’une attaque cardiaque ; la femme de ménage se précipite aussitôt et lui fait un massage cardiaque qui le sauve : c’était une immigrante russe… et une doctoresse renommée !
Au début les Russes s’installent dans les villes – Haïfa, Tel-Aviv, Jérusalem – mais le problème du logement devient si aigu qu’Yitzhak Shamir change de politique et accorde des facilités de logement dans les territoires périphériques, essentiellement dans le Sud et dans les implantations en territoire palestinien occupé.
Il y aura bien aussi un petit mouvement vers le Nord, la Galilée, mais celle-ci reste majoritairement arabe malgré les programmes successifs de « judaïsation » et les minitransferts volontaires (c’est-à-dire les aides accordées aux Arabes israéliens émigrant en Amérique du Nord). Il est vrai qu’il y eut une courte période autour de 1972 où les Juifs furent majoritaires en Galilée (jusqu’à 256 000 contre 218 000), mais cela n’a pas duré et en 2001 les Arabes galiléens dominent par 567 000 contre 538 000.
Dans les implantations israéliennes en territoire palestinien occupé on retrouve de très nombreux Russes. Ainsi 6 000 dans la petite ville d’Ariel, au nord de Jérusalem, 3 000 à Ma’ale Adoumin, à l’est de Jérusalem, et 1 000 à Kyriat Arba, au sud de Jérusalem. On en trouve beaucoup aussi à Jérusalem-Est : la moitié des 33 000 Juifs russes de Jérusalem. À tel point que les Juifs sont devenus majoritaires à Jérusalem-Est en 1993. Cependant là non plus cela n’a pas duré et dès 2000 les Arabes y sont redevenus majoritaires. Sur l’ensemble de la ville de Jérusalem, les Palestiniens qui étaient 25 % en 1967 sont passés à 35 % en 2000.
Monsieur Berthomière termine son exposé par la carte des accords de Camp David (juillet 2000) avec en particulier une bande israélienne tout le long du Jourdain et de la mer Morte et par celle, beaucoup plus raisonnable, des négociations sans lendemain de Taba (janvier 2001)
Questions
Que se passe-t-il au Golan ?
Sur le plateau du Golan, en particulier à cause de la politique suivie par Ehud Barak, les Juifs sont devenus majoritaires devant les Druzes. Ils y sont désormais plus de 16 000.
Votre exposé donne l’impression qu’Israël ne peut vivre que sous perfusion migratoire perpétuelle, est-ce bien votre opinion ?
Je n’irai pas jusque-là, mais il est certain que les Israéliens font face à un problème très grave, une véritable bombe à retardement.
Comment évolue le niveau de vie des Israéliens ?
Bien entendu la situation actuelle retentit beaucoup sur la marche de l’économie et donc sur le niveau de vie, mais il y a aussi une économie souterraine en plein développement et dont il est difficile de mesurer l’impact.
Y a‑t-il beaucoup d’émigrants qui quittent Israël ?
Cette question est d’une estimation très difficile et je suis frappé par la rareté de plus en plus grande des renseignements à ce sujet. Cependant je peux dire que les immigrés russes et ukrainiens repartent très peu. Le fait de devenir rapidement propriétaires de leur logement contribue bien sûr à les sédentariser, même si cela entraîne aussi certaines tensions avec les jeunes couples israéliens.